Animer la fin de vie d’un vieillard, c’est la mission d’un jeune infirmier débutant. Dans sa BD émouvante L’animateur, Juanungo raconte avec tact et douceur la naissance d’une amitié improbable. Délicat et puissant.
Aucune couleur mais simplement du gris et du noir. Pas de dessins flamboyants mais un trait fin, minimaliste pour aller à l’essentiel. On ne fait pas dans l’exubérance quand on aborde le thème de la fin de vie car c’est bien de cela qu’il s’agit dans ce magnifique roman graphique de Juanungo, dessinateur argentin, auteur de Donjon Monsters, qui s’est inspiré de l’histoire de son père, réalisateur de film d’animation comme l’est Nazareno, dit Neno, vieil acariâtre dont les jours sont comptés. Allongé sur son lit, en pleine détresse, ce dernier décide comme par un juste retour des choses, de faire souffrir son nouvel infirmier, un jeune homme tout juste engagé, à l’allure de grand benêt, « à la petite mèche molle », mais qui va prendre au fil des pages, une épaisseur rare.
On le comprend de suite, nous sommes dans le domaine de l’émotion, celle qui conduit à considérer le gardien des nuits de Neno comme un « con » puis comme un homme indispensable aux dernières heures. Ils sont bien deux sur le chemin doux-amer de la vie à la mort. Un lutte pour vivre quelques heures encore, l’autre pour l’accompagner dans ce voyage ultime. Entre eux deux, un dernier film d’animation à réaliser où cette fois-ci il s’agit de donner la vie à des objets inanimés. Toujours la vie comme objectif, la donner ou la poursuivre.
Le frère et la sœur, l’ancienne compagne, ses amis du métier sont là pour accompagner Neno mais ils ne sont que de passage, laissant au jeune infirmier l’intimité et les moments de souffrance, de détresse. On le devine, le jeune pataud, maladroit, se révèle au fil de l’avancement du récit un être riche d’empathie et même d’amour. Et les relations malade-soignant, fondées sur le mépris d’une part et la maladresse d’autre part, vont peu à peu se complexifier. Ce cheminement est magnifiquement décrit, étape par étape, qui fait passer la vieille « palourde » dont le renvoi est demandé par Néo, à un ultime « J’ai besoin de toi, fais pas le con ».
Le trait simple mais magnifique de Juanungo évite et remplace les phrases lourdes et compatissantes. Un trait pour esquisser un sourire, des sourcils pour montrer la tendresse, des épaules tombantes pour exprimer le poids d’une mission, suffisent. Les corps disent beaucoup et ils racontent aussi, en toile de fond, les difficultés de l’environnement familial, professionnel, amical, à accompagner la fin de vie. Juanungo dans sa postface raconte celle de son père, source d’inspiration de « L’accompagnateur », ce père qui refusa l’infirmier qui lui était proposé : « Mon père le détestait, et quelques semaines seulement après son arrivée, ma mère lui a demandé de ne plus venir ». Une souvenir douloureux transformé dans la BD en événement heureux. Une forme de catharsis.
Comme dans un film, les dessins des rues, des toits, forment des plans de coupe, pour souffler, pour marquer le temps qui passe et la vie qui se poursuit à l’extérieur pour les autres, ceux qui sont jeunes, qui vont au travail, qui font les courses.
Il semble toujours nécessaire de préciser pour ces ouvrages à la thématique plutôt sombre que cette BD, comme beaucoup d’autres qui traitent de la vieillesse, de la fin de vie, ne sont en aucun manière mortifère. Juanungo traite en fait d’une amitié naissante, suivie pas à pas, d’autant plus forte que l’on sait qu’elle va s’achever dès que commencée. C’est doux comme deux mains qui se saisissent l’une de l’autre. Celle fripée, posée sur le drap d’un lit, d’un vieil intello acariâtre attendri et celle épaisse et lourde d’un jeune homme empoté mais d’une sensibilité rare. C’est doux comme une formidable BD intense en émotions. C’est doux comme la vie qui se poursuit. Pour les autres.
L’animateur de Juanungo. Éditions Delcourt, mai 2023. Collection Shampooing. 256 pages. 19,99€.