Avec Le Dieu Vagabond (éd. Sarbacane), l’exceptionnel dessinateur italien Fabrizio Dori nous plonge dans une mythologie grecque qui fait irruption dans nos vies quotidiennes. Des images fantastiques au service d’un conte original.
Il s’appelle Eustis, drôle de nom pour une drôle de silhouette qui évoque des personnages de Magritte : chapeau melon et longue redingote. Précisons qu’il est un peu perdu, Eustis. Il vit dans un champ de tournesols près d’une grande ville. Il picole pas mal. Il raconte des histoires à qui veut l’entendre, comme un devin. En fait, il n’est pas de notre temps. Il n’est pas de l’époque du Dieu unique. Il est issu du Thiase, ce cortège errant de Dionysos. Satyre, divinité mineure du temps d’Hadès ou d’Artémis, ami de Pan, il s’est égaré sur le chemin de Delphes, attiré par une nymphe maléfique : « Entre nymphes et satyres, c’est comme ça que ça marche… ». Il aimerait retrouver ses potes, le bon vieux temps, celui où Dionysos organisait des fêtes royales, et quitter ses mortels qui ne voient pas « les choses clairement » parce qu’ils les recouvrent « constamment d’une couche de paroles ».
Ainsi va le monde et le dessin exceptionnel de Fabrizio Dori qui accompagne Eustis, mais aussi ses compagnons de route : Léandros, héros grec oublié de ne pas avoir accompli de faits d’armes remarquables, ou le professeur, petit humain à la recherche du sphinx. Le lecteur, qui a abandonné son rationalisme le long de ce périple, s’associe à cette quête pour côtoyer Morphée, Hécate, Chiron « psychothérapeute des Dieux » et beaucoup d’autres plus ou moins connus. L’humour, le décalage des époques, le grotesque des situations dissimulent une érudition pointue de cette mythologie grecque trop souvent réduite à quelques clichés.
On voyage ainsi dans un flou chronologique, quand un parc d’attractions d’aujourd’hui se confond avec une décharge transformée en demeure d’Hadès. Ce mélange temporel s’accompagne de dessins exceptionnels qui empruntent à toutes les époques et l’on s’amuse à découvrir les arabesques d’un ciel étoilé de Vincent Van Gogh, que croise d’ailleurs Eustis (normal pour un dieu habitant un champ de tournesols). Les violines rappellent Paul Gauguin, celui de Pont-Aven comme des Marquises. Les arbres fluctuent et flanchent comme dans les toiles des nabis (N.D.L.R. : mouvement artistique postimpressionniste, né à la fin du XIXe siècle de la rencontre de Paul Sérusier avec Paul Gauguin). Les gros plans expressifs sont ceux de Edvard Munch et les silhouettes dorées, celles de Gustav Klimt. De chapitre en chapitre, de rencontre en rencontre, le style graphique change, éclate, étourdit.
Fabrizio Dori prend parti pour son satyre, écrabouillé par LE Dieu qui a empli « le cœur des hommes, de mensonges et d’illusions ». Plus que par la critique, il préfère cependant faire l’éloge, par le dessin, de ces temps dionysiaques qu’il peint avec une beauté indicible.
Eustis retrouve ses oreilles pointues et ses petites cornes frontales. Il retrouve sa nudité et les yeux fixes du léopard qu’il porte sur ses épaules. Une fête flamboyante clôture cet album unique qui donne envie de se plonger encore dans l’univers de Fabrizio Dori, qui avec Gauguin l’autre monde avait déjà ouvert en grand les portes de notre imaginaire. Et de nos yeux.
Le Dieu Vagabond – Scénario et dessin de Fabrizio Dori – Éditions Sarbacane. 160 pages. Parution : 2 janvier 2019. Prix : 25€.
Après avoir étudié à l’Académie des Beaux-Arts de Brera à Milan, Fabrizio Dori
a travaillé dans le domaine de l’art. Il a exposé à Milan, Modène, Vérone, Ravenne, Udine, dans des galeries comme Luciano Inga-Pin, Studio d’Arte Cannaviello, Ninapì, ArteRicambi, Galleria San Salvatore…. Il a publié en Italie le roman graphique Uno in diviso tiré du roman de Alcide Pierantozzi. Il vit à Milan et travaille comme illustrateur et auteur de bandes dessinées. Chez Sarbacane, il est l’auteur et l’illustrateur de Gauguin, l’autre monde qui a remporté un joli succès.