Dans le premier tome de Le Grizzli, une série qui devrait en compter de nombreux autres, Matz et Fred Simon racontent une histoire nostalgique des années soixante quand les truands de Paname se trahissaient et se battaient pour un grisbi volé. Et où l’argot était leur langue officielle. Réjouissant.
Le Grizzli, c’est lui, l’homme costaud à la large mâchoire virile et aux épaules de déménageur qui trône sur la couverture. Un dessin qui dit tout de ce tendre balèze, qui doit son nom, lui l’ancien boxeur, à la pilosité abondante de son corps. Il tient pourtant un flingue, fronce le sourcil mais il n’en demeure pas moins un tendre. Un tendre, genre Lino Ventura, et sa mutique douceur. Un tendre marqué années soixante par sa silhouette et sa cigarette au bec, qui rappelle les affiches de films de Becker, Audiard ou Melville. C’est de cet univers des malfrats, des petits et grands truands que s’est inspiré Matz pour cet album que n’auraient pas renié Simonin, René Fallet ou Alphonse Boudard. C‘est en effet une Bd toute cinématographique que nous proposent les auteurs par son sujet et son scénario.
Le début est classique : Bébert la Gambille sort de la Santé, la prison bien entendu pas l’hôpital, après dix ans de purgatoire. Il soupçonne un ancien complice de l’avoir dénoncé pour lui piquer le grisbi. Menacé, Jo, cet ancien ami, pris de panique contacte deux de ses potes : Toine, passionné de canassons et le Grizzli, amateur de belles carrosseries, tous deux rangés des affaires. Les retrouvailles vont être chaudes et épiques, les coups de poings vont valser, les menaces se multiplier, les trahisons se dissimuler. Au milieu de ce boxif, un drôle de flic, surnommé la Ventouse, va essayer de tirer son épingle du jeu. Et c’est parti pour 64 pages qui nous ramènent (pour les plus vieux) ou nous amènent (pour les plus jeunes), plus d’un demi siècle en arrière, du temps comme l’écrit Matz, où « l’homme portait nécessairement le costume-cravate » où l’on « achetait français » et où roulaient des « bagnoles qui avaient de la gueule ».
Il y a donc forcément de la nostalgie dans cette description finement ciselée par le dessin de Simon, dessin auquel il ne manque pas un enjoliveur, une calandre, un réverbère ou une lampe de bureau. On croit voir et entendre Gabin discuter avec Blier dans des dialogues d’Audiard car bien entendu ces contemporains de Frédéric Dard n’ont pas la langue dans leur poche et avant d’être souvent enchristés, ils ont décarré en craignant que la maison bourreman ne leur mettre le grappin dessus.
C’est cet univers à la Albert Simonin, dont Matz écrit dans sa postface que Léo Malet l’appelait « le Chateaubriand de l’Argot », que rendent hommage les deux dessinateurs. Par le texte, les dialogues, le dessin délicieusement rétro, on déambule dans Paris, celui des bouquinistes le long des quais de Seine, celui des champs de course, des petits comptoirs des petits troquets, des téléphones en Bakélite noir. Et des amitiés entre hommes, des amitiés bien viriles nées en Indochine auxquelles de jolies femmes apportent parfois des aides bien utiles. Et un repos du guerrier permettant de mettre coquette au chaud.
Bien installé dans notre fauteuil de velours rouge, entre la dégustation d’un esquimau et d’un paquet de Pop-corn, on se laisse porter par une histoire bien menée avec des personnages attachants et un dessin à la ligne claire parfaitement maîtrisée et adaptée à la période.
Au fait, Matz, le pseudonyme que s’est donné le dessinateur, a une signification en argot. Comme dirait l’autre, elle n’est pas piquée des vers. On ne va pas vous faire tartir. On préfère vous la laisser découvrir page 63 dans un lexique bien utile à l’usage des curieux. Et curieux vous l’êtes assurément de lire cette BD qui appelle rapidement une suite tant le Grizzli est un peu un nounours que l’on aimerait retrouver le soir avant de s’endormir dans son page. Et qui vous raconte une belle histoire de truands pas toujours gentils. Et qui peuvent faire peur.