Didier Tronchet et Christian Durieux réussissent magistralement l’adaptation d’un roman de Erri de Luca. Une initiation à l’amour, à la vie, d’un adolescent sous l’ombre du Vésuve.
« Vous l’avez lu ? Vous l’avez aimé ? » : les yeux emplis de lumière Christian Durieux, volubile et gentil, est heureux comme un enfant lorsque vous lui confirmez qu’effectivement, vous avez dévoré cette adaptation du roman d’Erri de Luca. Dévoré et adoré. Alors, dans la foulée, il explique comment son éditeur Sébastien Gnaedig, lui a glissé, lors d’un voyage en train, presque incidemment, l’adaptation écrite par Didier Tronchet d’un texte du romancier italien, et de quelle manière ce court récit a constitué aussitôt une « déflagration ». L’enthousiasme de Durieux est réel, et celui du lecteur également devant ce qui constitue un véritable challenge, car l’écriture de De Luca oscille entre poésie, onirisme et réalisme, des adjectifs presque antinomiques mais que les auteurs ont pourtant réussi à rendre compatibles, créant un ouvrage qui nous emmène vers le ciel, ou plutôt vers la lumière jaune, celle de la couverture, celle de l’ouverture vers le futur, vers ce demain qui sera peut être le jour du bonheur.
Ce jaune occupe les premières pages, il domine la silhouette de la ville de Naples plongée dans l’ombre matinale, il éclaire le haut des immeubles d’une cour intérieure. Il attire le regard vers une fenêtre, là-haut, où une petite fille, éternellement figée, les mains sur la poitrine, observe les enfants jouer au football. Sphinge, elle guette le monde d’en bas. C’est vers elle, que le jeune Erri tend son regard, oubliant de capter le ballon. Un point de départ, simple, un début qui suffit au romancier italien pour raconter une histoire envoûtante, enchanteresse, lumineuse et sombre à la fois, comme l’ombre et la lumière de la cour d’immeubles.

Erri est un jeune orphelin, abandonné par sa mère, un enfant de la rue pris en charge par le vieux concierge, Don Gaetano, qui revêt sous le crayon de Durieux, les traits du romancier : moustache, cheveux blancs, visage émacié. De conversation en parties de Scopa, le concierge va initier l’adolescent à la vie. Il lui raconte les années de guerre, lui apprend le passé, lui laisse envisager le futur. Il lui fait même découvrir le désir et la sexualité avec une mystérieuse veuve voilée du quatrième. Pourtant, demeure toujours une silhouette, celle de la petite fille à la fenêtre, disparue un jour pour revenir quelques années plus tard, revisiter l’appartement des origines. C’est elle qui occupe l’esprit de Erri malgré l’écoulement des années. Mais c’est Don Gaetano, qui a le don de lire les pensées des personnes qui l’entourent, qui devient une figure initiatrice, celle qui sait et dévoile peu à peu son passé pour expliquer au jeune Erri les règles du jeu de l’existence.
Un roman de De Luca ne se dévoile pas plus, car le raconter avec les mots ordinaires, c’est faire fuir la magie qui s’envole d’une histoire où Naples, le Vésuve, la maffia finissent toujours par se réveiller. La dure réalité napolitaine se confond dans des cases d’aquarelle, où la violence larvée oscille entre le violet des ombres et le jaune de la lumière, une frontière imagée entre le bien et le mal.

Tout devient enchantement même quand l’histoire devient sombre. Didier Tronchet a gardé de la prose de De Luca son rythme poétique et évanescent. Christian Durieux par son trait juste, empruntant à la ligne claire, son épure, joue avec peu de couleurs pour nous transporter de l’ombre à la lumière. Et inversement. L’ensemble sent bon la nostalgie de l’adolescence, l’initiation à l’amour, au mystère et au secret de l’existence. Il emprunte à la tragédie grecque le destin sombre et la fatalité. Il emprunte à la fable, la morale. Il emprunte à la littérature la puissance de l’imaginaire.
La BD refermée, on comprend la joie non feinte de Durieux, quand le lecteur lui a dit son bonheur de lecture. On peut espérer que lors d’une autre rencontre avec son éditeur un nouveau manuscrit de Didier Tronchet, puisse incidemment tomber du sac. Une adaptation peut être? Un bonheur de création sûrement.

Le jour avant le bonheur. Récit de Didier Tronchet d’après le roman d’Erri de Luca. Dessin de Christian Durieux. Éditions Futuropolis. 80 pages. 17€. Parution : 20/08/2025. Lire un extrait
