BD LE POIDS DES HÉROS ET LE CHOC DES DESSINS DE DAVID SALA

David Sala a eu deux grands-pères porteurs de mémoire. Une chance, mais aussi un poids. Dans cet album graphiquement somptueux, il nous raconte son enfance entre cauchemars, transmission et oubli. Magnifique.

Il est des histoires trop sombres pour être dessinées en noir et blanc. Elles ont besoin de couleurs éclatantes comme si ces récits étaient suffisamment lourds pour ne pas être lestés par une bichromie sombre et distancielle. Comme si l’outrance des couleurs disait plus que tout, l’horreur de la guerre, de Mathausen, de la dictature franquiste, du nazisme. La couleur brute, sans mélange c’est aussi celle utilisée par les enfants, qui ne connaissent guère les nuances, les demi-tons, les demi-mesures.

David sala

Le Poids des héros est donc avant tout un roman graphique de couleurs, celles de l’enfance alourdie, plombée par le souvenir de deux aïeux et un cadre accroché au milieu d’un mur familial, un portrait du grand père, inquisiteur ou bienveillant selon le regard que l’on y porte. Ce grand-père suspendu seul sur un mur nu, s’appelle Antonio Soto Torrado. Dénoncé, réfugié, interné, malade, il décèdera comme il l’a décidé, quelques semaines après Franco. Il pèse lourd, très lourd ce portrait pour un enfant de 10 ans habitué à des discussions politiques au cours des repas familiaux, à des palabres sur les droits de l’homme, contre la xénophobie, le racisme l’intolérance.

David sala

David Sala, marqué par ces paroles, ces souvenirs récurrents, se savait le seul capable de transmettre cette mémoire. Qu’est ce qu’une vie une fois la mort intervenue, si elle n’est pas racontée, sauvegardée ? Tout au long de ces 180 pages, le dessinateur se déleste peu peu de ce poids auquel un deuxième grand-père, José, combattant, résistant en France contre les Allemands apporte quant à lui un témoignage vivant.

« Je vivais constamment sous la statue imposante de mes grands-parents ».

David sala

Enfant, David Sala est nourri de ce terreau fertile à l’angoisse, aux cauchemars et il faudra des anecdotes plus banales avec les copains, des parties de foot pour que l’adolescence, comme les fleurs magnifiquement dessinées, lui permette de grandir, de s’ouvrir au monde. Ce sont les années soixante-dix qui sont ici illustrées. Papier peint psychédélique, télévision en noir et blanc puis en couleurs, pulls jacquard, cassettes audio, tous ces ingrédients d’une époque révolue parsèment le récit comme une lumière diffuse disant que l’enfance, malgré ce « poids des héros » reste quand même la période de la découverte, de l’enthousiasme, du plaisir.

Le poids des heros david sala

Quand les couleurs explosent, même et surtout pour les situations les plus dramatiques, elles revêtent celles de l’expressionnisme soumis aux états d’âme, déformant les corps et trahissant la douleur. Parfois David s’envole comme les personnages de Chagall, fuyant dans l’espace étoilé une réalité trop difficile. On pense à Munch et à son « Cri ». Un grand-père peut dire alors :

« C’est à travers toi maintenant que mon histoire va survivre. Tu ne dois pas oublier mes souffrances. Tu seras fort de ça mon petit-fils ».

Plus fort, David Sala l’est incontestablement comme il le confie après la parution de son album :

« Je ressens un certain apaisement aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir fait ce que j’avais à faire ».

Finalement, comme pour David, on peut passer à notre tour devant une photo, un portrait d’un de nos ancêtres. Ce cadre posé sur une commode, accroché au mur, on a parfois l’impression qu’il nous parle. Plus sûrement on se parle à soi-même en le regardant. On se dit alors qu’il serait bien de laisser une trace pour que nos petits enfants ne nous inventent pas une vie à notre insu. C’est ce que fait avec un talent graphique inouï David Sala en rendant ses souvenirs personnels, universels.

David sala

Le Poids des héros de David Sala. Éditions Casterman. 184 pages. 24€. Parution le 19 janvier 2022. Prix BD RTL du mois – 2022.

Consultez le site de David Sala

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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