La sortie d’un ouvrage d’un album d’une série est souvent l’occasion de toucher de nouveaux lecteurs. Avec le quatrième tome de L’Épervier, c’est l’opportunité de revenir sur les aventures magnifiques de ce corsaire de Louis XV. À ne pas rater sous peine de noyade.
Bon sang, que cela fait du bien. Une belle BD à la ligne claire, ce trait léger et précis, qui dessine à la perfection la magnifique silhouette de Agnès, marquise de Beaucourt, ou le visage androgyne et balafré de Yann le Kermeur, dit l’Épervier. Des couleurs aussi qui par leur douceur restituent, comme dans un tableau de Boudin, les volutes nuageuses de Bretagne ou la blancheur immaculée de la neige canadienne en ce milieu du XVe siècle.
À ce classicisme inégalé vient s’ajouter un scénario de fiction parfaitement ciselé comme peu de bandes dessinées actuelles en sont capables. Récit historique très documenté, affaires de cœur et d’espionnage, trahisons et volte face, personnages attachants ou repoussants, exotisme et aventure, tous les ingrédients sont présents avec comme seul maître à bord Patrice Pellerin. Il faut dire qu’il le connait bien son compagnon, depuis qu’il a épousé son histoire pour un premier album en 1991. Trente ans que le dessinateur brestois nous a embarqué à bord de la Méduse pour sillonner les mers les plus proches comme les plus lointaines.
Dans un deuxième cycle débuté il y a 11 ans, l’Épervier se voyait confier par Louis XV et son ministre Maurepas, une mission devant le conduire au Canada et la Nouvelle Province Française. Des ennemis intérieurs très proches de la cour, dont la belle Madame de Severac, veulent empêcher son départ puis son périple dans le Nouveau monde. Dans le quatrième tome de ce nouveau cycle (le dixième de la série), la traversée de l’Atlantique est pleine de rebondissements, des personnages dévoilent leurs vrais visages et l’arrivée à Louisbourg s’avère plus compliquée que prévu.
Profitant d’une période de paix sur la plan international, l’auteur choisit de mettre en exergue les services secrets du Roi et de ses « chevaucheurs », des cavaliers chargés de transmettre des missives secrètes dans l’Europe entière. Une grande partie de l’intrigue est sous tendue par ces délais nécessaires de circulation d’informations secrètes alors que se déroulent simultanément des évènements à des milliers de kilomètres les uns des autres. Un vertige que rend à la perfection le récit complexe mais superbement enlevé et compréhensible. En effet, intrigues à tiroir, meurtres inattendus, corruption, le scénario est digne des meilleurs romans policiers historiques et Yann le Kerneur rejoint dans le genre le fameux Nicolas Le Floch créé par Jean François Parot aux origines bretonnes lui aussi et du même siècle que notre corsaire.
À la justesse des dialogues se combine l’exactitude des dessins qui vous emmènent tout en haut des mâts, au sommet de la vague ou dans les riches décors de Versailles, quand le doré omniprésent des tentures éclabousse la page. Tout est juste et tout est beau.
La sortie d’un nouvel album est ainsi l’occasion de faire découvrir à de nouveaux lecteurs cette superbe série. Avec ce nouvel opus, l’occasion est trop belle de vous inviter à sentir l’air du large, à quitter le confinement terrestre pour voyager, rêver à des contrées lointaines. Et dites-vous que vous avez le temps, largement le temps de combler votre retard. Pellerin a mis cinq ans pour réaliser ce dernier opus, le temps de la perfection des BD en train de devenir des « classiques ».