Vingt cinq après la parution initiale, les éditions Futuropolis rééditent Les Quatre Fleuves écrits par Fred Vargas et dessinés par Edmond Baudoin. Deux auteurs de référence pour un ouvrage qui n’a pas pris une ride.
Au commencement, dans la mythologie grecque, était la boîte de Pandore, une boite ouverte par une vilaine curiosité, à l’intérieur de laquelle trônaient les malédictions de l’humanité, ainsi libérées.
Ensuite, vint l’inventaire de Prévert dans Paroles, beaucoup moins grave, plus futile. Il s’agissait d’une liste d’objets sans liens les uns avec les autres. Avec le simple plaisir d’aligner des mots.
Enfin vint le sac dérobé par Vincent et son ami, Grégory Braban, à un vieux. Il est lourd ce sac de « trente mille balles », mais il est lourd surtout d’une liste hétéroclite d’objets : des vieux livres, des mouchoirs en papier, un jeu de tarot, une équerre, une carte de policier, une carte de bibliothèque et tant d’autres choses minutieusement énumérées. Comme un rébus pouvant révéler le nom de l’assassin de Vincent, un des deux jeunes voleurs, dont la cuisse fut lacérée de quatre coups de lame post mortem, par le propriétaire de la sacoche dérobée.
« Le sac du vieux, c’est la boîte de Pandore. Il y a tous les péchés du monde là-dedans ».
Pandore, Prévert, un sac dérobé. Etranges apparentements me direz-vous, mais nous ne sommes pas ici dans un roman réaliste à la Simenon ou dans un polar familial de Camilla Läckberg. C’est Fred Vargas qui raconte cette histoire, l’autrice de nombreux romans policiers dont les plus célèbres enquêtes sont menées par le commissaire Adamsberg et son adjoint Danglard. Leurs investigations ne ressemblent à rien de connu et ont fait leurs succès notamment par les références permanentes aux légendes et à l’Histoire. Ici, le passé et la mythologie sont bien présents, comme l’histoire de l’art. Il faut Fred Vargas pour inventer le père de Vincent, notre jeune « héros », complice du vol, pourchassé par l’assassin. Elle en fait un curieux bonhomme « sculpteur de Kronembourg » puisqu’il reconstitue avec des capsules de bière la Fontaine des Quatre Fleuves de Bernin. Des capsules qui peuvent devenir les cailloux semés par le Petit Poucet pour retrouver son chemin.

Bien qu’il s’agisse d’un texte conçu exclusivement pour la forme du roman graphique, Fred Vargas n’abandonne pas ses thèmes de prédilection ni sa propension à l’abondance des
dialogues, taillés à la serpe. Il fallait une connivence parfaite avec le dessinateur, qui était à l’époque son compagnon, pour intégrer ses textes dans un récit dessiné. C’est peu dire que Edmond Baudoin réussit ce challenge. Depuis ses débuts, naturellement, le dessinateur niçois utilise l’entièreté des pages, sans cases ni gaufrier et cette liberté qu’il s’accorde permet d’instaurer des dialogues de manière graphique totalement parfaite. Il ne s’agit pas d’une mise en images d’un texte écrit mais bel et bien d’un ouvrage conçu à quatre mains, qui reçut lors de sa publication initiale en 2000 notamment l’alph’art du meilleur scénario au festival d’Angoulême.
La mise en page est rythmée, variée, facilitant une lecture, qui comme dans un polar traditionnel, vous entraine de page en page à la recherche de l’identité de l’assassin. Des personnages secondaires sont attachants et décalés comme les trois frères de Vincent. « Réglo » est employé de banque. Gratien rêve d’être acteur de théâtre. Gauthier cultive les légumes de la famille, « tremplin pour l’agriculture européenne ». Ils ont doux et attachants. Profondément humains.
L’encre noire de Baudoin colle à la perfection à cette histoire d’un tueur à la serpe, surnommé le Bélier, qui vient peut être de signer son quatrième meurtre. Sombre, l’histoire, l’est bien évidemment et elle nous entraine dans les « boues noires de l’occultisme et de la folie mais on ne peut passer à côté d’autres thèmes chers à Fred Vargas qui glisse dans ses moments sinistres toujours un peu de poésie et parfois même d’humour.

Qui dit Edition anniversaire, dit petit supplément gourmand. On aurait tort de considérer que la parution en fin d’ouvrage du Marchand d’éponges, comme anecdotique. Cette histoire, adaptée d’une nouvelle déjà publiée en 2002, sous le nom de Cinq Francs pièces, et éditée avec les dessins de Baudoin en 2010 chez Librio, est un petit bijou d’irrationalité et d’originalité. Un bonbon acidulé qui laisse longtemps un fort goût en bouche. L’idéal pour souhaiter un bon anniversaire à ce bel ouvrage. Et à leurs deux auteurs.
Les Quatre Fleuves suivi du Marchand d’éponges. Récit de Fred Vargas. Dessin d’Edmond Baudoin. Editions Futuropolis. 288 pages en noir et blanc. 28€. Parution : Feuilleter.
