LES TABLEAUX DE L’OMBRE, UNE BD DE DYTAR ORIGINALE ET LUDIQUE

Jean Dytar nous invite à regarder les oeuvres oubliées des musées. Au Louvre, il y a la Joconde mais aussi Nils, Saskia, Tobias. Si l’on y prête un peu d’attention, ils sauront aussi vous parler, vous toucher, vous émouvoir. Une BD originale et ludique.

JEAN DYTAR TABLEAUX DE L'OMBRE

On connait le « tableau dans le tableau », qui chez Velasquez ou Vermeer, permet d’intégrer dans le cadre de l’oeuvre une autre image produisant une mise en abyme étonnante. On a désormais avec Les tableaux de l’ombre, la BD dans la BD qui permet à Jean Dytar de faire figurer son ouvrage dans les pages mêmes de l’album. Au-delà de l’étrangeté de voir la couverture à l’identique dans les pages centrales, ce procédé permet au dessinateur de briser le cadre d’un récit traditionnel pour le dynamiser et poser la question essentielle : la qualité des oeuvres d’art, se mesure-t-elle, à la période des réseaux sociaux, au nombre de « likes » ou à l’émotion qu’elle procure dans le regard des spectateurs ?

JEAN DYTAR TABLEAUX DE L'OMBRE

 

Avec Jean Dytar, qui nous avait enchantés avec Florida, lui qui sait cacher une formidable érudition derrière une forme et un récit simples, la réponse se devine aisément, mais encore faut-il la donner avec justesse et pertinence. Dans cette thématique déjà traitée par Davodeau ou Taniguchi notamment, le dessinateur lyonnais apporte son originalité en faisant sortir les personnages des tableaux oubliés dans les couloirs du Louvre, le soir quand tous les visiteurs ont quitté les lieux.

JEAN DYTAR TABLEAUX DE L'OMBRE

 

C’est qu’ils ne sont pas contents, ces personnages des tableaux de l’ombre, ces soldats de garde ou ces chiens en laisse, jamais regardés et agacés par le succès de l’incontournable Joconde. La révolte gronde, car pour tous ces oubliés du regard, l’existence est morne et triste. Les journées n’en finissent pas et particulièrement pour cinq tableaux peints vers 1630 par Anthonie Palamades, cinq personnages allégoriques des cinq sens. Nils et sa poule, Saskia et son miroir, veulent se faire entendre ou plutôt se faire voir.

JEAN DYTAR TABLEAUX DE L'OMBRE

La révolte des oubliés ne pourra aboutir, car le poids des modes est trop fort et les moyens d’action limités : détruire les oeuvres célèbres aboutira à la fermeture du musée. Finir chez un collectionneur privé dans un coffre-fort n’est pas un sort enviable. Alors il faudra peut être saisir le regard d’un enfant et plus sûrement devenir le sujet d’une BD intitulée les tableaux de l’ombre par exemple pour avoir la chance d’être enfin vu et regardé. Un BD à succès au secours d’oeuvres inconnues, c’est la magie que propose cet album habilement construit, en évitant les habituels poncifs des « anciens et des modernes ».

JEAN DYTAR TABLEAUX DE L'OMBRE

Le dessin de Jean Dytar est désormais bien identifié avec ce trait noir qui délimite les sujets avec précision et dessine des personnages aux bouilles enfantines. Comme dans La Vision de Bacchus où il s’intéressait aux peintres de la Renaissance italienne, il réussit ici avec maestria à mélanger ce dessin avec la reconstitution imagée des oeuvres classiques. Ces oeuvres sont identifiables mais jamais reproduites à l’identique. Légèrement iconoclate, il n’hésite pas à briser le cadre de La Joconde, la dotant de lunettes de soleil ou la transformant en tableau cubiste. Le dessinateur s’amuse avec les chefs-d’oeuvre classiques, mais les respecte. Il propose simplement un autre regard et sous l’apparence d’une histoire enfantine nous incite à réfléchir sur la notion même de chef-d’oeuvre.

Après avoir lu cette BD jubilatoire, originale, au scénario impeccablement ficelé, quand vous vous promènerez dans un musée, vous ne passerez certainement plus d’un pas rapide dans les salles où aucune oeuvre majeure n’est accrochée. Vous vous attarderez sur un petit tableau, peut être mal éclairé, peut être mal accroché mais dont le personnage vous fera un clin d’oeil pour attirer votre attention, vous inciter à faire un pas de côté. Et qui sait, vous procurer une émotion. Pure et sincère, en dehors des modes.

Les Tableaux de l’ombre de Jean Dytar. Éditions Delcourt, Le Louvre. Parution mai 2019. 72 pages. 14,95€.

Scénariste : DYTAR Jean
Illustrateur : DYTAR Jean
Coloriste : DYTAR Jean
Série : TABLEAUX DE L’OMBRE (LES)
Collection : DELCOURT – LE LOUVRE

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Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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