La Loi des probabilités de Rabaté et Ravard, une bd improbable

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Rabaté et Ravard font preuve une nouvelle fois, dans la belle bd La Loi des probabilités, de tendresse et d’empathie. Au pays des rêves et des gens communs. Chez nous, en fait. 

« Une loi de probabilité décrit le comportement aléatoire d’un phénomène dépendant du hasard. » Voilà c’est fait. Si jamais vous aviez oublié vos cours de collège cette définition Wikipedia est là pour vous rafraîchir la mémoire. Maintenant cette loi, vous pouvez l’ignorer à nouveau et la ranger dans votre armoire à souvenirs car elle ne va guère vous servir pour comprendre cette BD. Elle est un titre et c’est tout. À moins que. À moins que ces deux auteurs géniaux, Rabaté au scénario et Ravard au dessin, n’aient voulu à travers ce titre subliminal nous passer un message. Nous dire que tout est possible ? Nous expliquer que la vie vaut d’être vécue ? Nous vanter les mérites du Carpe Diem ? Peut être, mais connaissant les deux compères on doute de leur volonté de nous imposer une réflexion philosophique quelconque. On a l’exemple du précédent ouvrage commis ensemble, Didier, la cinquième roue du tracteur. Bizarrement la BD commençait par la visite de Didier chez le médecin. Il craignait un cancer. Il s’en sortait avec de simples hémorroïdes ! Cette fois-ci, c’est Martin Henry (et pas Henry Martin, la nuance est d’importance, vous comprendrez pourquoi à la lecture), qui se rend chez son cardiologue pour une visite de routine. Diagnostic : « Il ne vous reste que trois mois à vivre… Et je suis large ». 

On ressortirait sonné pour moins que cela. Sonné Henry Martin l’est donc. De retour au bureau il se plonge dans ses rêves les plus fous. Et les plus inaboutis. Il en choisit un totalement hors normes. D’une originalité dingue. D’une imagination débordante. Il décide d’emmener sa femme au Canada voir les baleines. On vous avait prévenus. C’est totalement fou. Mais voilà Rabaté et Ravard ne sont pas Rabaté et Ravard par hasard. Au lieu de se moquer de la petitesse d’un rêve commun, ils transforment ce désir en une douce balade amoureuse, nostalgique, tendre et touchante. De méchanceté il ne saurait en être question. Pourtant, il y aurait des raisons de s’énerver quand ce voyage se fait au côté de Séraphin Lanterne, agent d’assurances. Un patronyme et une profession qui ne vous rappellent rien ? Cherchez du côté de Hergé. Mais c’est bon sang, mais c’est bien sûr : l’ineffable, l’inénarrable, l’insupportable, le détestable  Séraphin Lampion, ennemi juré du capitaine Haddock. Comme le personnage de Tintin, Lanterne est le roi des casse-pieds, mais finalement il est plus naïf que méchant. On ne peut le détester.

Une autre rencontre, plus furtive celle là avec un autre gentil, poète. Jacques Tati, qui avec sa pipe, son chapeau et son long imper va croiser notre route sur un trottoir verglacé canadien. Seule bizarrerie, il glisse allongé comme sur un toboggan, nous saluant modestement.

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On comprend vite que ce mélancolique voyage est l’occasion d’adresser de multiples clins d’oeil à des références majeures de nos auteurs. Gags visuels, quiproquos, se succèdent sans interruption mais avec toujours cette bienveillance que Rabaté porte aux gens ordinaires, qui nous ressemblent tant. Dans leur BD précédente, Ravard faisait exploser les couleurs, donnant à la campagne des allures de toiles de Van Gogh. Rien de cela ici. Il s’agit quand même de la vie et de la mort. Alors l’album, et le personnage central, baigne, comme sur la couverture, dans un bleu-gris monochrome et froid. Et puis on va au Canada, avec des fourrures, des moufles et des bonnets. Pas à la campagne à la période des moissons. Les cases sont larges. Elles laissent la place au calme, aux mots et aux silences. Il a l’air benêt Henry, ou Martin, avec son bonnet, à la table d’un petit café, canardé par des balles de golf. Benêt mais attachant. On a envie de le prendre dans nos bras. Pensez, il n’a plus que trois mois à vivre.

Grand aventurier, il conclut sur la plage, dans un dialogue digne de Racine (ou Corneille) :  « On est bien ici, et si on restait ? ».  À dire vrai on resterait bien avec lui. À regarder les baleines. À observer la vie de nous tous aux rêves surdimensionnés et aux réalisations si modestes. Modeste, un adjectif qui convient bien à ce remarquable album pour lequel nous sommes prêts à parier, qu’en vertu de la loi des probabilité, 99,99% des lecteurs de cette BD, l’apprécieront. Pari tenu. 

La Loi des probabilités de Rabaté (scénario) et Ravard (dessin et couleurs). Éditions Futuropolis. 88 pages. 18€. Parution: 23 Août 2023.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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