Avec la bd L‘Or du spectre, Matz et Xavier signent un thriller contemporain aux allures de fantôme et de western. Haletant de bout en bout.
Oyez, oyez cher(e)s lectrices et lecteurs d’Unidivers. La lecture de cette BD est dangereuse, subversive et même destructrice ! En effet, ces 120 pages vont vous faire regarder votre compagnon, votre compagne, vos meilleurs amis, les membres de votre famille d’une manière différente. Derrière le sourire, les bisous, de chacune, chacun, se cache peut être votre plus féroce adversaire, voire votre pire ennemi. La morale de cette BD immorale est un principe de vie : ne faire confiance à personne.

Pas très réjouissant, il faut en convenir, mais un concept réaliste surtout lorsqu’il est question d’argent, de beaucoup d’argent. C’est un trésor dont il s’agit de trouver l’emplacement, enterré quelque part dans une ville de far-west abandonnée, du côté du Montana ou du Nouveau Mexique, des territoires pas spécialement reconnus pour leur hospitalité et leurs richesses touristiques dans ces années soixante dix.
Pourtant au début tout semble clair : Chuck, beau gosse, sort de cinq ans de prison. Sa beauté n’a d’égale que sa naïveté. Encore que. Dehors, il retrouve sa chérie, Kat. Malgré leur séparation forcée, ils s’aiment toujours. Encore que. Grande voiture, grands espaces, grand amour, ils partent pour Dry Creek où se trouve normalement sous terre « à cinquante pas après le puits, vers l’Ouest » un sac empli de 250 000 dollars, caché avant la tôle. Mais là, alors que la radio égrène des infos sur le procès des grands mafieux, rien ne se passe comme prévu. Au lieu des billets verts, Kat et Chuck trouvent un vieillard, chercheur d’or depuis plus d’un siècle. Le Spectre, c’est lui. Il ressemble un peu au compagnon de Blueberry, Jimmy Mac Clure. Un peu toqué le vieil homme. Encore que. Et puis il y a aussi Stanley, que Chuck avait rencontré en prison et à qui il a confié son secret, un secret qui n’en est plus un en fait. Marié à un indien, c’est un vrai pote Stanley. Encore que. Kat de son côté avait rencontré Clyde, un client d’un resto. Moustachu et beau gosse. Un bon copain simplement. Encore que.


Quatre hommes et une femme pour trois couples, tout est prêt pour l’explosion.
Chacun, chacune se met à suivre la trace de l’ami, de l’amant. Peut être pour le plaisir de fêter des retrouvailles mais plus sûrement pour toucher le pognon avant les autres. A la manière des grands westerns américains, les auteurs nous invitent derrière leurs personnages, à traverser de grands déserts écrasés de chaleur et de poussière. Une Buick Lesabre 1968 fait office de diligence. Un duel meurtrier se déroule dans une rue balayée par le vent comme dans Le train sifflera trois. Cette fois-ci il y aura même des indiens avec des carabines. Et tout ce beau monde se met à tirer dans tous les sens. On se croirait dans une salle en CinémaScope.
Entre flash back et rebondissements, le scénario de Matz ne laisse pas une seconde de répit, faisant des clins d’œil au western, mais aussi aux grandes virées américaines comme celle de Thelma et Louise, dans de larges paysages qui appellent au mystère et à l’action. Matz et Xavier se connaissent parfaitement depuis notamment les quinze albums de la série à succès Tango. On retrouve ici les mêmes ingrédients avec de bonne scènes de castagne, de fusillades et un peu de tendresse d’un érotisme léger. Ici les personnages sont tous ambivalents, pas franchement sympathiques ou détestables mais ils portent en eux un subtil mélange de caractères. Normal puisque on l’a écrit: se méfier même de son meilleur ami.

A scénario enlevé correspondent des dessins échevelés. Xavier est passé maître dans l’art des scènes d’action mais on aime aussi ces cases panoramiques silencieuses aux larges aplats de couleurs qui contrastent de manière saisissante avec les cases mouvementées. On navigue ainsi dans le dessin et dans l’histoire rocambolesque à souhait, de situations dramatiques en situations de théâtre de boulevard ou de Commedia del Arte avec des acteurs capables de changer de masques aux moments décisifs. Dissimulation, tromperie, cynisme, naïveté se côtoient pour notre plus grand plaisir avec un seul dénominateur commun: trahison. Le seul sentiment que ne ressent pas le lecteur à la fin de sa lecture. D’autant que deux autres albums, des mêmes auteurs, sont attendus sur le thème de l’Ouest américain des années 60-70. A moins qu’à leur tour ils nous embrouillent. Allez savoir.
L’Or du Spectre de Matz (scénario), Xavier (dessins) et Maffre (couleurs). Editions Le Lombard. Collection Signé. 120 pages. 22,95€. Parution : 09 mai 2025
