BD Mamie n’a plus tout sa tête et Romain Dutreix non plus

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Dans la bd Mamie n’a plus toute sa tête, publiée aux éditions Dargaud, Romain Dutreix traite des dégâts de la vieillesse avec un humour décapant et une certaine forme de cynisme. Roboratif.

Chères lectrices et chers lecteurs, si vous avez la chance (la malchance ?) de rencontrer Romain Dutreix en dédicace, gardez vos distances, regardez ses mains, veillez scrupuleusement à ce qu’il conserve exclusivement entre ses doigts, des crayons. Souriez-lui, mais n’appelez pas la police, c’est inutile. Elle se doute et le soupçonne. De quoi ? De complicité de meurtre pardi. Complicité uniquement, car il ne fait que le travail postérieur à l’assassinat. Il découpe, congèle, transporte, coule, mais ce n’est pas lui qui porte le coup fatal.

« Car voyez-vous mesdames et messieurs les jurés, ou plutôt, mesdames et messieurs les lecteurs et lectrices, Romain Dutreix dessinateur de son état, agit uniquement par amour familial, filial même. Il a bon coeur au fond, il veut aider, éviter l’Ehpad, le déshonneur, à ses grands-parents. Vous l’avez deviné, mesdames et messieurs, comme pour soulager sa conscience Romain Dutreix en a d’ailleurs fait sa couverture, c’est Mamie qui tue. Papie aussi un peu, certes. À la hache, au couteau. Bref avec ce qui leur tombe sous la main. Dutreix n’est qu’un instrument entre leurs doigts ensanglantés. Oui Romain Dutreix a bon coeur, il n’a qu’une envie : soulager ses grands parents de taches ménagères. Aider à nettoyer, aider à cacher, aider à soulever. Tout cela part d’un bon sentiment. Dans cette histoire, il n’est qu’un bon petit-fils ».

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Une fois les plaidoiries terminées, tel un procureur, il faut pourtant revenir aux faits, rien qu’aux faits. Papie et Mamie perdent un peu, beaucoup, la tête. Ils vivent en 2018, mais ils sont entourés de Waffen SS, d’espions de la Gestapo qui se déguisent en employés de l’EDF, en représentants de commerces. Le dernier en date était l’obersturm-führer Von Lincky chargé de remplacer le compteur du même nom. C’est lui le pauvre qui est en couverture de l’album, un album qui traite d’un sujet sérieux, le lent naufrage de la vieillesse, avec humour et grincement de dents.

On rit pourtant, on rit beaucoup, car le vieux couple insupportable et hors du temps, est malgré tout attachant dans son délire. Ils ont des trognes à faire peur même aux plus grands psychothérapeutes. Le comique de répétition des situations et des dialogues, « on est pendant la guerre, là Madeleine », est impeccable. Entre la sonnerie de la porte d’entrée, le salon, la cave où ont lieu les assassinats et où trône le congélateur-cercueil, on se croirait presque dans une pièce de théâtre de boulevard. On rentre, on sort, parfois vivant, parfois en morceaux. Papie se cache derrière les rideaux. Mamie répète: « mais alors c’est qui ? ».

Vous ajoutez sept papes appelés à la rescousse, un auto portrait hyper réaliste de l’auteur, un flic nouvellement nommé pas particulièrement brillant, et vous obtenez un remarquable album délirant.

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Qui dit policier un peu limité, dit aussi enquête et investigations. Là encore l’album tient ses promesses, car sous des apparences anodines, nous allons de rebondissements en rebondissements avec de multiples pistes qui s’ouvrent et se ferment, et s’ouvrent de nouveau. L’épouse de Romain Dutreix, soupçonneuse à tort bien entendu d’une relation adultère de son mari (l’auteur dans ce domaine là au moins est irréprochable !) a engagé un détective dont les pérégrinations vont le conduire chez les grands parents de Dutreix. À l’entrée d’abord, puis dans la cave, puis dans la cuisine et retour … dans le congélateur. Ajoutez un mythomane SDF qui s’accuse de tous les meurtres, un véritable tueur en série nommé le Tueur au Bolduc et vous obtenez un roman de Série Noire digne de Dashiell Hammett ou de Raymond Carver.

Nous ne pouvons vous en dire plus. Le secret de l’instruction pour une affaire en cours est de mise. Mais vous êtes désormais prévenus. Dans votre librairie, ou au salon de la BD proche de chez vous, une fois la dédicace terminée, vérifiez que Romain Dutreix vous a dessiné des personnages complets, entiers, non amputés. Soyez poli avec lui, on ne sait jamais avec ces gens là. Partez discrètement, sans vous retourner. Il se murmure qu’il serait en liberté surveillée. Il rôde parfois dans les locaux du Canard Enchaîné où il dessinerait. La police le laisserait terminer la suite de l’histoire pour en connaitre tous les détails. Une sorte d’aveu en sorte. Elle avisera ensuite. Nous attendrons donc avec elle.

Mamie n’a plus toute sa tête de Romain Dutreix. Tome 1. Éditions Dargaud. 64 pages. 15,95€.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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