Les éditeurs nous promettent périodiquement une meilleure répartition des parutions sur l’année. Promesse tenue ? Début de réponse avec quelques publications de ce mois de mars.
La BD, comme l’ensemble des médias, aime désormais s’associer aux anniversaires selon une politique éditoriale à la mode. Dans ce cadre, 2020 est notamment l’année du centenaire de la naissance de Boris Vian. Futuropolis s’associe à cette commémoration en publiant une version illustrée du roman phare, étudié dans toutes les écoles, L’écume des jours (1). Paul et Gaetan Brizzi mettent en images le texte qui raconte la rencontre de Chloé et de Colin, jeune homme, sympathique et un peu désoeuvré. Hélas un jour, Chloé se sent mal. Le docteur Mangemanche diagnostique la maladie : un nénuphar pousse dans son poumon. Pour guérir la douce Chloé, Colin devra trouver des milliers de fleurs. Les auteurs qui avaient déjà illustré L’automne à Pékin semblent avoir troqué les couleurs vives pour une monochromie sépia adaptée à la noirceur du roman.
Autre roman iconique J’irai cracher sur vos tombes (2) est adapté chez Glénat. Facture traditionnelle, mais efficace où de grands dessins racontent la vengeance attendue de Lee Anderson, fils d’une métisse, dont le frère a été lynché parce qu’il était amoureux d’une femme blanche. Ce récit est probablement le plus violent, le plus cru et en même temps le plus représentatif du style « Vernon Sullivan ». À travers une histoire âpre où la sexualité, violente, est omniprésente, Vian dénonce le racisme ambiant et la condition précaire des Noirs dans le Sud des États-Unis. Jomorvan, Emmarouspe et Vargas signent également et simultanément l’adaptation de Les morts ont tous la même peau (3), où Boris Vian poursuit sa thématique du racisme aux États-Unis avec en toile de fond, violence et érotisme. Trois BD pour (re)découvrir l’écrivain sulfureux.
Toujours dans ce créneau d’adaptation romanesque, les éditions Les Arenes publient Pot Bouille (4) d’Émile Zola, roman dans lequel Octave Mouret, juste débarqué à Paris, découvre dans une capitale en pleine rénovation haussmanienne une société bourgeoise qui cache derrière une façade lisse les pires travers humains. Une jolie couverture qui donne envie de découvrir la totalité de l’album.
Revenons au 20e siècle grâce à un ouvrage détonnant, dans tous les sens du terme : La Bombe (5), Alcante, Bollée et Denis Rodier racontent en 450 pages l’histoire de la bombe atomique, une histoire qui n’est qu’une suite de faits incroyables, des mines d’uranium du Katanga en passant par l’Allemagne, la Norvège et tant d’autres pays. Une BD à hauteur d’hommes dont les éditions Glénat nous indiquent qu’elle est comparable à la série TV « Chernobyl ». Le dessin noir et blanc évoquent parfois des BD américaines de science-fiction.
Les éditions Grand Angle aiment traiter du quotidien et de la proximité. Le Voyage d’Abel (6) est conforme à cette ligne éditoriale avec au dessin, Bruno Duhamel auteur de Jamais notamment, et au scénario Isabelle Sivan. À Reclesme, dans un petit village au cœur de la France, Abel vit seul avec son chien, ses deux vaches et ses brebis. Il n’a jamais quitté son village. Pourtant, toute sa vie, il a rêvé de parcourir le monde, et imaginé de lointains voyages. En ce mois de septembre, et ce malgré son âge, Abel a décidé de partir en Éthiopie. Dépaysement garanti.
La maison d’édition La Boîte à Bulles aime les récits humanistes. On attend donc avec curiosité la sortie de Vagues à l’âme (7) de Grégory Mardon dont la couverture nous a séduits. L’auteur nous invite à découvrir une vie, celle de son grand-père, Adolphe Hérault. Dans les années 1930, le jeune Adolphe, surnommé Dodo, travaille dans une boucherie à Douai. Pour partir loin des terrils du nord, il s’enrôle dans la marine nationale. Mais, manque de chance, il se retrouve affecté sur un navire.. à la boucherie du bord ! Un album visiblement dans la lignée de Bruno Loth, auteur vedette de la maison qui s’attache aussi au passé des « gens de peu ».
Terminons avec la parution du tome 2 de Extases (8). Unidivers vous avait présenté l’ouvrage initial qui racontait la naissance de la sexualité, et son épanouissement à l’âge adulte, de Tripp. On vous avait vanté alors l’intérêt exceptionnel du travail de l’auteur si loin de la pornographie présupposée. Laissons la parole au dessinateur qui nous avait confié à l’époque la difficulté de trouver une place en librairie pour ce type de BD : « (…) la sexualité fait fondamentalement partie de nos vies, mais, à cause de la honte, dès qu’il est question d’images, sa représentation est absolument schizophrénique. D’un côté, la pornographie, omniprésente, hyper consommée et passablement déconnectée de la réalité des choses ; et de l’autre, des récits de vie dans lesquels le rapport amoureux est une ellipse, des vêtements ôtés à la hâte sur un tapis, des ombres chinoises, une fenêtre ouverte sur la lune. Moi, je pense qu’il n’y a pas de honte à avoir et que la loi n’a pas à s’immiscer dans les chambres à coucher, tant que ces choses-là se passent entre adultes désirants. C’est une démarche engagée. C’est un acte politique. ». Dont acte et attendons vite la parution complète de cette série vraiment et sincèrement indispensable. Pour les hommes, mais aussi pour les femmes.
En attendant bonnes lectures à tous.
(1) Parution le 6 Mars. 216 pages. 29€.
(2) et (3) Parutions le 11 mars. 19,50€
(4) Parution le 4 Mars. Dessins: Éric Stalner. Auteur : Cédric Simon. 20€.
(5) Parution le 4 Mars. Collection 1000 feuilles. 39€.
(6) Parution le 4 Mars. 72 pages. 16,90€.
(7) Parution le 4 Mars. 15€.
(8) Parution le 11 Mars. Éditions Casterman. 27,95€.