BD. Le dessinateur Ernesto Anderle porte son regard sur Modigliani

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Avec Modigliani, paru aux éditions Stenkis, le dessinateur italien Ernesto Anderle fait dialoguer peinture et bande dessinée. Il trace avec poésie le portrait d’un peintre de génie et d’un artiste maudit.

Avec Modigliani, ce qui compte c’est le regard. Le sien d’abord, celui que sa mère décrit ainsi à sa petit fille : « les yeux de ton père, c’était comme deux planètes ». « Comme une lumière à l’intérieur », complète Utrillo. Le regard de ses œuvres ensuite ou plutôt l’absence de regard, une manière d’atteindre l’âme de ses modèles, sujet unique de ses tableaux. « Sur aucun tableau de Modigliani ne figure plus d’un sujet. Pour lui le portrait était un moyen de se connaitre à travers les autres, d’entrer en lien direct avec la personne représentée, de se refléter en elle, de la regarder dans les yeux, de la connaître en profondeur », écrit Ernesto Anderle qui, à sa manière à lui, essaie de dire l’âme de Modigliani, celle qui sous ses pinceaux prend la forme d’un cygne volant vers le ciel et l’éternité. Avec ce roman graphique, l’auteur s’attache avant tout à décrire un homme hanté par l’art et l’envie d’aimer. À travers le témoignage de la mère de Modi à sa petite fille, ou de Maurice Utrillo, ami de beuverie, apparaissent son extrême sensibilité et fragilité, jusqu’à la rencontre avec une modèle, Jeanne, Jeanne Hébuterne, qui accompagnera l’italien au cours des trois dernières années de sa vie.

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Utrillo, interné à l’asile de la Pitié-Salpétrière raconte la misère, la souffrance, l’alcool, la drogue dans ces années de début du XXème siècle, cette période où « l’esprit de l’art avait débarqué à Paris… et il en avait fait le centre du monde ». En quelques traits et moments choisis on découvre Renoir, riche et perclus de rhumatismes à la fin de sa vie, ou le caractère abject de Picasso, le seul à vivre de son art. Modigliani, intransigeant, incorruptible, lui le sculpteur qui a dû abandonner la pierre pour des raisons de santé, se perd dans les tentations d’un monde nouveau. Avec Utrillo notamment il erre de bordels en théâtres et de théâtres en bordels. Peu importe car Modigliani était beau ! L’art était beau. Et rien ne compte plus qu’une couleur, qu’un trait, qu’un visage, qu’un corps.

Ernesto Anderle mélange par des couleurs sourdes qui rappellent les tableaux du peintre italien et des traits souples cette dualité, laideur et beauté, désespoir et amour. Il brosse à grands traits les repères biographiques et privilégie, notamment par de magnifiques planches pleines pages, l’invitation au rêve.

La fille de Modigliani, Jeanne, comme sa mère, écoute l’histoire de son père. Elle non plus n’a pas de regard. Sans doute que le peintre aurait aimé percer son âme. Elle voit mais surtout elle écoute l’histoire de la rencontre de ses parents à l’Académie. Modi dessine Jeanne et c’est magnifique. De suite le trait magique montre la fragilité et la beauté du modèle qui fuit son père et ses principes, pour partager la misère du peintre italien. Amedeo va peindre son amour dans plus d’une vingtaine de toiles, mais jamais nue, comme la nécessité d’une distance à mettre entre le corps trivial et l’amour incommensurable. Cette passion Ernesto Anderle en traduit toute la force et la nature avec des images allégoriques qui quittent le sol pour la plupart. Jeanne et Modi sont ailleurs, ils volent avec les cygnes, à la manière des personnages de Chagall. Ils nagent avec les poissons. Ils se moquent de la misère, du froid, de la neige jusqu’à ce que la maladie rattrape Modigliani et tue Jeanne Hébuterne qui se défenestrera du cinquième étage.

En 2017, Seksic et Le Henanff avaient privilégié la biographie de Modigliani, racontant sa vie avec un dessin réaliste et documenté. Ernesto Anderle préfère traduire des émotions. Les évènements de l’existence ne sont plus que des supports de sentiments d’artistes à la sensibilité exacerbée.

Amedeo Modigliani, Jeanne Hébuterne, réunis dans le même tombeau, dix ans plus tard, en 1930, demeurent le symbole des artistes maudits, au génie reconnu trop tard mais aussi victimes d’individus qui « ne comprendront jamais l’art ». Jeanne, la fille, s’attachera à devenir la biographe de son père, le conduisant à une forme de réhabilitation. Sans doute aurait-elle été surprise (heureuse ?) de savoir qu’en 2015, un Nu Couché, peint par son père, atteindrait la somme de 170 405 000 Dollars. Un montant qui n’a aucun sens pour un cygne qui vole encore là haut, très haut dans le ciel, dans le pays des âmes. Un pays accessible aux seuls artistes.

Modigliani de Ernesto Anderle. Éditions Steinkis. 176 pages. 23€. Parution le 12 septembre 2024

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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