On l’appelait Bebeto, mais on pourrait aussi l’appeler Amitié. Avec ce roman graphique paru chez Dargaud, Javi Rey nous emmène dans les années d’adolescence. Si belles. Si dures. Un énorme coup de coeur.
Sur la page de gauche, quatre garçons, ados, un peu benêts, un peu stupides comme le sont les garçons quand ils commencent à avoir des poils sur le menton. L’un est blond avec des lunettes, mais il n’est pas intello pour autant. Le second est un peu enveloppé, c’est la plus grande gueule du groupe. Le troisième…. mais peu importe le troisième, il est prévisible. Tous sont différents et simultanément si identiques. Pourtant, il y a bien un quatrième, il s’appelle Carlos. Il nous intéresse beaucoup plus, car c’est lui qui raconte l’histoire. La sienne et celle de son frère aîné, Miguel, qui va bientôt mourir. Celle aussi de sa grand mère, qui ressuscite Miguelito, son petit fils en Miguel Indurain en train de gagner sur l’écran de télévision du salon, son cinquième tour de France. Carlos se prend de passion pour les oiseaux urbains, passion qu’il vaut mieux dissimuler aux yeux des « gaillards ». On a chacun ses faiblesses.
Sur la page de droite, un grand gars, un peu benêt lui aussi. Un peu grassouillet. Il est gentil, cela se voit sur son visage. Pas une ombre de méchanceté. On pense à Jim du film des frères Larrieu adapté du roman Le Journal de Jim de Pierrick Bailly. On ignore son prénom, alors on l’appelle Bebeto, par dérision ou par humour méchant. Le vrai Bebeto, est joueur de foot. Il joue à la Corogne et dans l’équipe du Brésil. Il est beau, il est grand. Notre Bebeto à nous, il fait l’appoint pour le tournoi de « triangulaires » qui se joue à cinq. La dernière roue du carrosse, mais une roue indispensable. Bebeto, le faux, a un grand malheur, la folie de sa mère, qui chante nue sur le balcon, pensant être applaudie par un public d’admirateurs. Il a dix ans sur ce balcon. Devant tous les gamins de la cour. Alors vous pensez bien, à quinze ans Bebeto est toujours moqué.
Page de gauche les hormones travaillent nos quatre gaillards. Au foot, s’ajoutent bientôt les filles, les bagarres avec les Skins, les virées en boîtes de nuit.
Page de droite, les hormones travaillent aussi probablement Bebeto, mais cela ne se voit pas. C’est de l’ordre de l’intime. Lui les filles, c’est sa cousine, celle qui lit sans cesse, abandonne les livres sur les bancs pour les offrir à des inconnus. Elle travaille, elle sourit, elle marche, elle lit même en marchant.
C’est elle qui va faire se rencontrer Carlos et Bebeto sur la page centrale. Nous sommes dans le milieu des années 90, à quinze minutes de Barcelone. La vie des habitants de cette banlieue est toute écrite. De l’appartement familial, au terrain de foot, à la cour de l’immeuble, à l’école et à l’usine. C’est ce qui attend Bebeto et Carlos. Sauf que la cousine va changer la donne. Plus de testostérone, mais de la réflexion et un nouveau regard sur le monde. Virginia Woolf, Thoreau sont convoqués pour ce passage de l’adolescence à l’âge adulte.
Les noms de Bebeto et Rey, associés sur la couverture, nous laissaient penser à une nouvelle BD sur le foot ou son environnement. Rey nous avait séduit, associé à Galic et Kris, avec Un maillot pour l’Algérie. Si le foot est bien présent, il n’est ici essentiellement qu’un lieu de relations sociales, ce lieu où se rencontrent et s’affrontent les futurs hommes. « Le foot, ce sont les passes, les contrôles orientés, les dribbles… », dit Bebeto. Le foot c’est aussi « les coups de coude, les insultes, les crachats », déclare Carlos. Ainsi va la vie et Javi Rey nous la raconte avec une certaine douleur qui se partage l’espace avec la joie, dans un univers probablement en partie autobiographique. Chronique du temps qui passe, de l’âge de l’apprentissage, de l’envie d’amour et du désir, de la perte et de l’absence, de la famille, de la vie à construire, de l’émigration, cette ode à l’amitié, loin d’être idyllique, résonne d’une grande sincérité. Sans mièvrerie ni condescendance, grâce à un dessin et un ton juste, l’auteur nous amène, avec des moments de pure poésie que symbolisent des dessins pleines-pages, à une émotion rare.
C’est beau comme un vol de roitelet huppé à la saison des amours dirait Carlos.
C’est beau comme une passe de Bebeto (le vrai, celui qui s’appelle José Roberto Gama de Oliveira), dirait Bebeto (le faux).
C’est beau comme Manu (le vrai prénom de notre Bebeto) quand il appuie sur le bouton « Pause » de la vie. Ce moment où tout va bien. Où l’on voudrait que tout s’arrête.
Alors, avec lui, on appuie à notre tour sur « Pause », pause de la lecture. Cela tombe bien, nous nous arrêtons sur la dernière page. On ne dit rien, on vous laisse la découvrir. On vous dit simplement : « c’est beau » et on a envie que tout s’arrête là. Mais la vie ce n’est pas cela. C’est dommage.