BD, POT-BOUILLE, DERRIÈRE LES FAÇADES, LA VRAIE VIE

Dans une magnifique adaptation du roman Pot-Bouille d’Émile Zola, Éric Stalner et Cédric Simon redonnent vie à une histoire intemporelle d’ascension sociale espérée. À n’importe quel prix.

Pot-Bouille

Les adaptations graphiques des grands classiques de la littérature se multiplient. La revue BD a recensé ainsi plus de 35 BD de ce type pour les six derniers mois. Souvent l’anniversaire de la naissance ou de la mort d’un écrivain, est le prétexte d’une parution. Mais pas toujours, comme en témoigne cet excellent Pot-Bouille d’Éric Stalner et Cédric Simon, qui avaient déjà adapté le roman La Curée. Pour ce dixième tome des Rougon-Macquart, prélude au Bonheur des Dames, les deux auteurs utilisent toutes les ressources de leur art pour dépoussiérer une oeuvre publiée originellement en 1882.

Bien entendu ils restent fidèles au roman, véritable manuel du parfait arriviste dans le Paris qui se transforme sous l’impulsion et les directives d’Haussmann. Alors que les riches se retrouvent dans de nouveaux quartiers sélectionnés, Octave Mouret, 22 ans, débarque dans la capitale, bourré d’ambition et de cynisme. Accueilli chez des amis, dans un de ces nouveaux immeubles « bourgeois » où il y a même du chauffage dans les escaliers, il va loger juste en dessous des chambres des domestiques. Sa volonté va être de vouloir descendre les étages, dans une hiérarchie sociale inversée où plus vous montez, plus vous êtes pauvre. Et inversement. Le but à atteindre : le rez-de-chaussée où trône le magasin de « soieries et nouveautés Vabre ».

Pot-Bouille

Il y a le haut et le bas, mais aussi le devant et le derrière. Devant, une façade belle, propre, distinguée. Comme sur la magnifique couverture, les fenêtres brillent de mille feux. On donne à voir une image respectable, brillante, dorée. Derrière, des intérieurs cyniques, marqués par l’hypocrisie, la veulerie, les coucheries. Car plus que l’argent c’est le sexe qui anime ce « joli » monde corseté, où les redingotes du meilleur tissu côtoient les imposantes robes à crinoline. Zola avait décrit un univers féroce et violent.

Les auteurs de la BD, avec beaucoup de talent, insistent sur cette violence tamisée par les bonnes manières. Les femmes minaudent lors des soirées mondaines, mais leurs visages se transforment en portraits monstrueux et vitupérants, une fois les lumières éteintes. Les hommes aux rouflaquettes et aux barbiches si soignées, le petit doigt en l’air, se vautrent et vomissent sur le tapis des bordels quand la nuit arrive. Les dessins de Stalner qui n’hésite pas, comme en zoomant, à grossir les traits, font merveille. L’ignominie est dans les bouches déformées de haine, comme dans celle de l’oncle Narcisse Bachelard, dont chaque apparition donne la nausée. Le cynisme est dans les regards sournois magnifiquement suggérés, comme dans celui de Mouret dont on devine dès la première page l’hypocrisie séduisante. Mais les hommes n’ont pas le monopole de la tromperie et les femmes, même assujetties à un rôle de représentation, les rejoignent dans l’insupportable, comme l’horrible Mme Josserand, prête à tout pour marier ses filles au plus offrant.

Pot-Bouille

Grâce au talent des auteurs, la BD et son vocabulaire graphique enrichissent le texte de Zola. Si les portraits physiques sont superbes de réalisme et d’horreur, une trouvaille remarquable dès le début de l’album agrémente la lecture. Chaque logement se voit attribuer un code couleur qui accompagne les habitants. Le doré colorie ainsi le commerce du rez-de-chaussée alors que le marron terne illustre les logements des domestiques sous les toits, et que le mauve s’accorde aux Josserand. Le sens de lecture est aussi parfois modifié et inversé, comme lorsque les « bonnes » racontent les ragots de l’immeuble. On monte, on descend, au gré des phylactères, tels les commérages ou la hiérarchie sociale, dans la cour intérieure.

Finalement Octave Mouret n’est plus qu’un pion presque secondaire dont on suit le déplacement dans le monde, occupé qu’il est à jouer sa partition personnelle dans une société en pleine déliquescence. L’essentiel devient la description de cet univers policé et souriant dans les salons, mais peu ragoûtant en arrière cuisine.

Pot-Bouille

Avec ses mots, Zola établissait une description féroce de son temps. Avec les dessins, Stalner et Simon accroissent cette férocité et mettent au goût du jour une oeuvre qui surpasse le temps. L’hypocrisie du vernis social n’a pas d’âge.

Pot-Bouille, d’après le roman d’Émile Zola. Dessins : Éric Stalner. Scénario: Cédric Simon.
Éditions Les Arènes BD. 144 pages. 20€. Parution 4 mars 2020.

Les auteurs :

Éric Stalner a publié plus de 90 bandes dessinées en 25 ans de carrière. Il est l’auteur de séries cultes comme Ils étaient dix (12Bis), Vito, Voyageur (Glénat), La Croix de Cazenac (Dargaud), La Curée (Arènes BD).

Parallèlement à des études d’art, Cédric Simon obtient en 2015 une licence en sociologie économique. Grand amateur d’histoire et de fictions, il a vu le travail du scénario s’imposer, petit à petit, comme son activité principale. Il est co-auteur de La Curée (Arènes BD).

https://youtu.be/JZHaO037Rrc

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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