Avec le tome I de Révolution, Grouazel et Locard nous livrent une BD exceptionnelle en offrant un regard novateur sur un évènement majeur de notre histoire : La Révolution française.
Ça pousse, ça tire, ça bouscule, ça rudoie, ça pue la sueur. Ça sent l’alcool. Ça sent la peur. Ça pressent la révolution. D’entrée on est dans la foule chez le marchand Réveillon fin avril 1789, on participe au pillage et au saccage de son hôtel et de sa manufacture, violences qui annoncent les futures émeutes de l’été.
On est au ras du pavé, à la manière d’un participant caméra sur l’épaule, avec ce peuple à qui Grouazel et Locard donnent visages, expressions, sentiments comme rarement une BD a su le faire. Éric Vuillard dans son roman 14 Juillet avait offert la parole aux oubliés de l’Histoire : Jean Baptiste Crétaine, Michel Béziers, Claude Degain et tant d’autres. Les auteurs de BD de la même manière donnent visage à Simon Thiry maître confiseur ou Louis Gauthier, graveur.
Une ressemblance de procédés qui témoigne de la même volonté d’appréhender les pages les plus connues de notre Histoire à l’aune du peuple et des anonymes, de ceux que l’Histoire a oubliés. La force majeure de cette BD extraordinaire est de nous emmener dans les rues magnifiquement dessinées de Paris, d’entendre les conversations et les mots de ce qui va devenir foule, hurlante et violente qui se portera à la Bastille le 14 juillet ou à Versailles le 5 octobre. Cette proximité, que l’historien Pierre Serna, qualifie dans sa postface de « nouvelle vision de 1789 », permet de suivre la chronologie de cette colère qui transformera la révolte ponctuelle en révolution.
La proximité du dessin de ces bras, de ces gueules, nous aident, sans manichéisme facile à comprendre les mécanismes insurrectionnels dans lesquels les femmes, comme la formidable Reine Audu à la gouaille contagieuse et optimiste, vont jouer un rôle essentiel. On ne se retrouve pas ainsi dans un nouvel opus sur la Révolution Française, mais dans un ouvrage original qui nous tient par la main pour nous expliquer, au long de 300 pages denses et parfaitement documentées, un processus révolutionnaire que l’on accompagne en dehors des images iconiques d’une histoire modelée par Michelet.
Le peuple est beaucoup, mais il n’est pas tout et grâce à un scénario qui n’ignore pas les bonheurs de lecture d’une BD traditionnelle avec ses personnages typés et des destins qui s’entrecroisent, nous comprenons tous les ressorts et les enjeux de ces mois de Mai à Octobre 1789. La noblesse, indécrottable, se croit toujours le fondement légitime de la royauté. Les coulisses des salons aristocratiques, dessinées comme à l’or fin sous une patine dorée, révèlent l’aveuglement d’une classe sociale sourde et arque boutée sur des privilèges qu’elle estime inaliénables. Plus complexe est la composition du Tiers État dont les auteurs décrivent avec subtilité les disparités de ces représentants, disparités annonciatrices des soubresauts à venir. Barnave apparaît comme l’homme de ces premiers jours des États Généraux mais les débats dans la rue, dans les clubs, laissent apparaitre les silhouettes de Robespierre, de Marat ou de Danton, figures unies sous le costume sobre et sinistre du Tiers État mais opposés sur le futur à construire.
Par des dessins étonnamment précis et détaillés, la vie est omniprésente et l’on entend ce qu’oublient bien souvent les livres d’histoire: la rumeur, les secrets, la peur qui monte, les complots réels ou fantasmés, tout ce qui fait le ferment des périodes troublées en évitant le simplisme d’une révolution du peuple contre les élites. Les six mois de 1789 sont ainsi suivis au plus près traçant une épopée du quotidien qui transpire le réel comme la sueur.
Les doubles pages muettes offrent des silences nécessaires dans ce brouhaha incessant et l’on n’oubliera pas facilement Louise, un des fils conducteurs du récit, au sommet d’un chargement d’une carriole, annonçant comme une allégorie futuriste « la liberté guidant le peuple » de Delacroix. Elles témoignent de la liberté visible accordée aux auteurs de prendre toute leur place dans un ouvrage à la fabrication remarquable où la qualité d’impression s’accorde parfaitement à la reconstitution d’une période ou les écrits et les libelles jouent un rôle essentiel.
BD Révolution, Tome 1. Grouazel et Locard. Parution 9/01/2019. 336 pages. Éditeur : Actes Sud. Collection L’an 2. 26 €.
Scénario, dessins et couleurs : Locard Younn et Grouazel Florent.