BD Saudade : la nostalgie du passé au cœur d’une intrigue policière

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bd saudade

Mêlant nostalgie silencieuse du passé et action trépidante d’un polar, Vincent Turhan réussit avec Saudade, aux éditions Sarbacane, un subtil mélange pour un vrai plaisir de lecture.

Nous avions découvert Vincent Turhan avec son premier album Les étoiles s’éteignent à l’aube (voir chronique) dans lequel il adaptait brillamment le roman de l’amérindien canadien Richard Wagamese. Un adolescent de seize ans, Franklin, accompagnait son père Eldon, mourant, dans un dernier voyage jusque dans la montagne. Le dessinateur évoquait la nature avec une grâce infinie et traduisait avec des couleurs pastel les silences des ciels changeants. Tout n’était que douceur et tendresse. Changement total et surprenant avec ce deuxième album quatre ans plus tard. Cette fois-ci, Vincent Turhan est seul au dessin comme au scénario. Quittant un univers contemplatif, il nous transporte dans un thriller urbain, endiablé et plein de rebondissements, loin de la Colombie britannique, dans une station balnéaire ensoleillée qui rappelle la côte d’Azur ou les côtes espagnoles. Le duo père-fils est remplacé par quatre paires de personnages dont les destins et les histoires vont se télescoper autour d’un sac de voyage empli de plus d’un million d’euros, butin d’un rocambolesque hold-up.

saudade bd turhan

Par ordre d’apparition à l’écran, voici un vieux couple Alma et Rio, qui tient un cinéma d’art et d’essai qu’elle essaie de faire vivre alors que lui, désenchanté, préfère profiter de la pêche et du farniente. A côté d’eux, leur presque copie mais version jeunesse : Luz, ouvreuse, et Scardo, le barman. Ils ont l’avenir devant eux, mais encore faut il qu’ils puissent exprimer leur amour réciproque. Ces quatre personnages sont les « bons ». Comme dans tout polar qui se respecte, il faut des méchants. Le duo principal est plutôt caricatural. Braqueurs de banque, ils ne semblent guère futés surtout Cisco, un agité du bocal qui bouge plus qu’il ne réfléchit et son compère, un monstre physique silencieux, Misha, surnommé « la pie ». A des truands un peu justes, il faut des complices dans la police, les lieutenants ripoux, Ramos et Leone qui commanditent un braquage de banque, feront l’affaire. Après les personnages du générique, place au film.

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A la suite d’un braquage improbable, sous les yeux d’une mamie hystérique, le butin de coïncidences en trahisons, va finir par se retrouver dans la salle de cinéma d’art et d’essai de Alma et Rio, salle actrice majeure du scénario, dans laquelle est projeté cinquante ans après sa sortie « Saudade », le film qui a marqué Alma quand elle était réalisatrice. Mot portugais, Saudade évoque la nostalgie, le passé regretté de quelque chose que l’on aime et que l’on a perdu mais qui pourrait revenir : l’envie pour Alma de repasser derrière la caméra.

La Bd oscille ainsi entre un récit policier traditionnel, avec des rebondissements et des acteurs minables, qui respecte tous les codes du genre et l’évocation d’un univers cinématographique nostalgique de films en noir et blanc, univers qu’ont côtoyé dans leur jeunesse de près Alma et Rio. Les flics et les truands sont campés dans des silhouettes qui rappellent les personnages inconséquents de Pierre-Henry Gomont et de sa BD Slava. Vicieux à souhait, leurs petites jambes maigres en perpétuel mouvement, les rendent plus stupides que redoutables. Seul le géant Misha sort du lot. Il est le seul à se taire, évitant ainsi les bêtises de ses comparses.

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On ne connait pas les relations de Turhan avec le septième art, mais on les devine fondatrices de cette histoire qui rend indirectement hommage au cinéma italien notamment des années soixante dix. Pour le reste, ça claque, ça explose, ça rebondit et surtout cela rappelle les truands ridicules des films d’Audiard, les géants silencieux et brutaux des James Bond. L’auteur reste fidèle à ses couleurs ocres, en demi-teinte. Ce sont les couleurs qui définissent les contours, pas le trait. Terreuses, sourdes, elles s’adaptent parfaitement à une ambiance nostalgique mais parviennent aussi à évoquer la violence et la fureur. Quand tout explose.

Il a fallu trois ans à Turhan pour réaliser cet album et allier avec bonheur une intrigue efficace et une atmosphère intimiste. Changeant radicalement de registre scénaristique, il construit avec deux albums un univers graphique bien à lui dont on souhaite rapidement découvrir un nouveau volet.

Saudade de Vincent Turhan. Editions Sarbacane. 160 pages. 25€. Parution : 3 septembre. Lire un extrait

Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.