Sous les écorces, Edmond Baudoin et Aurore Bize échangent par dessins et mots interposés une correspondance amoureuse avec la nature et la vie. Magnifique de poésie et de beauté.
Monsieur Baudoin, je voulais vous écrire depuis longtemps. Monsieur Baudoin ou Edmond ? Vous vouvoyer ou te tutoyer? Il y a tellement longtemps que je vous connais, depuis la lecture de Piero, ce livre qui dessine l’enfance avec votre frère. De vous, j’ai tout lu, ou presque, et j’ai donc suivi votre existence puisque vous la racontez dans chacun de vos ouvrages. Jusqu’aux Fleurs de cimetière notamment qui disent beaucoup de vous. Chaque année, je vous rencontre et on discute. Je vous connais mais vous ne me connaissez pas. C’est à Angoulême, au stand de l’Association que je vous donne rendez-vous pour des dédicaces. Vous êtes là, fidèle au poste, le grand sourire en bandoulière, gentil, bavard, toujours disponible. On parle de votre dernier livre, de Neige et de son livre Triste Tigre, on parle de vos voyages, de la vie. J’aimerai faire dédicacer tous vos livres car je guette votre geste léger, presque volatile, au dessus de la feuille après que vous ayez trempé votre plume, votre pinceau, dans l’encrier en forme de corne. Par quelques gestes aériens vous tracez sur la page de garde, un portrait de femme, un paysage, un arbre. Souvent vous n’êtes pas seul, comme désormais dans vos livres écrits à quatre mains. La dernière BD est celle conçue avec Emmanuel Lepage, « Au pied des étoiles », mais cette année à Angoulême, vous étiez avec Troubs, l’un de vos plus fidèles camarades de voyage. Ils sont formidables ces livres de partage, ces regards différenciés sur les mêmes choses.
Alors cette fois encore, votre nom est associé avec un autre patronyme. C’est le nom d’une femme qui est sur la couverture: Aurore Bize. On devine qu’elle a été aussi une de vos amantes ou un de vos amours. C’est comme on veut. Avec vous, le tout est indissociable.
Le prétexte cette fois-ci n’est pas un voyage en commun mais le dessin et la représentation des arbres, ce sujet récurrent dans vos albums. Aurore a dessiné des troncs, des branches avec vous. A ses débuts certainement. On le devine, ses traits sont alors discrets, fragiles, comme s’ils manquaient d’assurance. Vous deviez être son maître (un mot qui ne vous convient pas) et elle votre élève. Peu à peu le trait a gardé sa finesse mais s’est affermi, émancipé. Il est beau et pourtant si différent de vos noirs plus larges, plus profonds. Dessiner ensemble le même tronc, le même paysage, le même visage et pourtant obtenir sur les deux feuilles blanches, deux résultats si différents. La magie de la poésie, de l’art opère totalement. `
Cela a toujours été ainsi avec vous: mélanger les mots au dessin, compléter comme si chaque moyen d’expression ne se suffisait pas. Aurore a dessiné son fils en contemplation devant un paysage près de Marseille. Pour vous ce dessin n’évoquait pas la contemplation mais un jeune devant un précipice. Alors vous l’avez redessiné, vous avez mis le garçon en bas de l’image, laissant toute la place aux montagnes et au ciel. Plus de gouffre mais un espace infini. A chacun sa manière de dessiner les mots.
Ce qui est formidable dans vos livres à quatre mains, ce sont leurs constructions, leur cheminement. Tout est limpide, logique comme une conversation à « bâtons rompus » mais sans les « rompus ». Bien entendu, on retrouve vos thèmes préférés et l’amour y joue un rôle important, le sexe aussi, lui qui est « la danse de l’amour ». Aurore exprime son plaisir et sa joie d’être une femme, pleine et entière et se livre avec liberté comme avec l’audace que ses derniers dessins expriment. L’amour ce sont deux corps qui se touchent, se caressent mais c’est aussi le lien charnel avec la nature, ce sentier où vous avez probablement marché, enlacés, ces cyprès, ces troncs morts, ces odeurs qui transparaissent dans les dessins mélangés, qui se répondent comme vos textes s’épousent. C’est le sens de l’existence qui traverse votre connivence épistolaire et graphique. Vivre en harmonie, trois mots simples pour dire un défi immense.
Edmond, vous voyez j’ai biaisé, je vous vouvoie mais je vous appelle par votre prénom, Edmond. Vous avez quatre vingts ans. Vous évoquez parfois vos souvenirs, surtout vos amours passés mais vos mots sont toujours ceux du futur, de l’avenir de notre Terre, de ces habitants. Vous êtes pessimiste mais vos lecteurs peuvent se dire que tant que des femmes et des hommes sauront dessiner et raconter les écorces des arbres, l’espoir restera car « si l’amour domine, alors l’humanité survivra ». Et ce livre, d’amour, il en est plein.
Sous les écorces de Edmond Baudoin et Aurore Bize. Editions 6 pieds sous terre. 20€.