Stop Work nous fait entrer dans le monde de l’entreprise et dénonce avec un humour féroce des méthodes « modernes » de management. Follement drôle et efficace.
Le sous-titre « Les joies de l’entreprise », accolé à un dessin de couverture de personnages aux mines patibulaires et sinistres, dit tout. Notamment le second degré du texte, car à l’évidence ce n’est pas la joie dans la société dans laquelle les auteurs nous font pénétrer.
C’est Fabrice Couturier, cadre au service achat chez Rondelles, qui nous la fait visiter. Il n’est pas particulièrement sympa, Fabrice avec sa tête d’acteur des années 60. Il est même, on peut l’écrire, franchement lourdingue. Il nous fait comprendre qu’elle est géniale sa boîte et que lui aussi, est génial, surtout quand il a en vue le bureau de responsable des achats, vide et prêt à lui être attribué. On peut dire qu’il est « en phase » avec sa direction et le formidable Guillaume dont il dit: « C’est Dieu, quoi ».
Un pote qui va le nommer, c’est certain, à la vue de ses qualités infinies et reconnues. Mais voilà, dans ce monde enchanteur arrive parfois une candidate imprévue, qui passe devant tout le monde, une candidate rompue aux « Dead-line », aux « backlogs », aux « overdues », enfin au monde du business. Et quand le Codir s’appuie sur l’EHS, c’est le black out overbooké total.
En plus, pour couronner le tout, Fabrice, entre en conflit avec Ludivine, la responsable hygiène et sécurité, qui lui reproche de ne pas déclarer de « presqu’accident », ces petites coupures aux doigts générées par une feuille de papier ou ces double sens dangereux dans les couloirs pouvant entraîner des collisions de collègues. Cela fait beaucoup pour un seul homme, même trop et de conformiste, de « suce-boules », le cadre va se rebeller et devenir le révélateur d’un monde du travail outrancier, où les questions de sécurité deviennent un moyen pour la direction de mieux contrôler leurs salariés.
Par un habile jeu de contre-pied, Fabrice va ainsi prendre à leurs propres pièges ces règles extravagantes pour les transformer en « sabotage passif » salutaire. L’entreprise « c’est la Stasi qui rencontre la Nasa » déclare le responsable CGT, jetant, intouchable qu’il est, un regard distancié et amusé sur ce théâtre d’ombres, ou l’élu d’un jour peut devenir le paria de demain.
Jacky Schwartzmann, le scénariste parle en connaissance de cause puisqu’il vient de quitter le monde de l’entreprise pour se consacrer à l’écriture, et même si certaines situations peuvent sembler caricaturales, on se dit que globalement la fiction est probablement proche d’une réalité ici amusante, drolatique, et d’autant plus convaincante, mais qui doit parfois confiner au cauchemar. « Changer la pile d’une pendule » nécessite l’intervention d’une entreprise extérieure ayant suivi une formation de travail en hauteur et sur les risques électriques.
En poussant l’absurdité à son maximum, les auteurs démontrent comment la volonté de se protéger des responsabilités entrave le bon fonctionnement d’une entreprise. Et « réussit » même dans l’histoire qui nous est contée à occulter les vrais dangers. Deux agents de nettoyage, un trans barbu et un arabe… barbu, transparents et inexistants aux yeux de tous sont un peu les veilleurs de bon sens, amusés de cet univers dont ils comprennent le soir, en vidant les poubelles et en lisant les prescriptions écrites de l’EHS sur tous les murs, le caractère stupide, avilissant.
Manié avec habileté, l’humour peut être dévastateur. Quand l’absurde répond à l’absurde, le lecteur jubile. Cette BD, visiblement documentée et s’appuyant sur des faits vécus, au moins en partie, nous ouvre les portes d’un monde finalement peu traité et qui est pourtant le quotidien de millions de personnes. Elle n’en est que plus que salutaire.