Dans ce septième opus de la série Undertaker devenue culte, Xavier Dorison et Ralph Meyer poursuivent leur exploration de thèmes universels et intemporels aux éditions Dargaud. Avec le western pour cadre. Magnifique.
Nous sommes au Texas, dans la petite ville d’Eaden City. La communauté est violemment divisée car le médecin local doit pratiquer, à la demande d’une mère désespérée, un avortement. Une ligue pour la suppression du vice souhaite empêcher par tout moyen, y compris la violence extrême, l’acte médical. À la tête du mouvement religieux, que l’on pourrait qualifier de « pro-life », une jeune femme, Sister Oz, rameute les foules avec des prêches hallucinatoires. Si vous pensez que nous sommes dans l’Amérique de Trump, vous faites erreur car lorsque Sister Oz s’agite frénétiquement, l’avortement au Texas est légal et en aucune manière un sujet de société. C’est l’agitatrice qui, lors de l’histoire que raconte Xavier Dorison, est seule hors la loi. Nous sommes donc en réalité à la fin de la guerre de Sécession et c’est fort heureux car nous retrouvons notre croque-mort préféré, Jonas Crow, dans ce magnifique septième album « Master Prairie ».
Changement de décor donc dans ce nouvel opus texan qui quitte les grands espaces minéraux pour des lieux clos, des intérieurs victoriens sombres, de nombreuses scènes nocturnes, qui ajoutent à la noirceur globale de l’album. Nous connaissons désormais la volonté des auteurs de transcender le mode « western » pour faire des aventures de Jonas une invitation à réfléchir sur des thèmes universels et intemporels. Droit des femmes à disposer de leur corps, homosexualité, fanatisme et intolérance religieux traversent « Mister Prairie », Rose, cette femme rencontrée lors d’albums précédents et que Undertaker, follement amoureux, souhaite retrouver. En se rendant à Eaden City, il va bien la revoir mais mariée au médecin qui accepte de pratiquer les avortements. Anéanti par cette déception amoureuse personnelle, notre héros va devoir, contre son gré, s’engager et choisir un camp : celui du médecin et du shérif garants de la loi ou celui de l’égérie religieuse qui transporte son fanatisme dans les rues de la ville, n’hésitant pas à utiliser toutes les méthodes pour faire entendre la voix de Dieu. Dorison a désiré, à bon escient, confier ce dernier rôle outrancier à une femme, qui plus est très jolie, cassant ainsi l’image de combats menés par de seuls vieux machistes. Les femmes sont nombreuses encore aujourd’hui dans les mouvements pro-life et cette féminisation du combat rend les choses encore plus fortes. On devine que le deuxième tome de ce dytique nous révèlera les raisons de ce fanatisme qui frôle la folie et utilise la Bible pour s’approprier la colère des gens dans leur propre intérêt. Comme souvent dans la série, le cynisme occupe le premier plan et le personnage principal frôle souvent avec ce trait de caractère. Ici encore, et c’est l’une des qualités majeures des albums, Jonas Crow n’est pas immédiatement du côté des bons contre les méchants. Il agit selon les événements, les circonstances qui lui font découvrir des problèmes sur lesquels il ne s’est probablement jamais interrogé. Sans idéologie prédéfinie, il se révèle être un homme empirique, pragmatique, qui réagit au cas par cas, selon des principes que l’on pourrait qualifier d’humaniste et de raisonné. Aussi, quand un bâtiment est brûlé par les fanatiques, il devient immédiatement, sur son cheval, pistolet à la main, le défenseur des victimes. Et accessoirement objet d’une couverture toujours magnifique.
Undertaker ne serait pas devenu une série incontournable de la BD contemporaine sans la beauté des dessins de Ralph Meyer et les couleurs de Caroline Delabie. La silhouette noire dominée par un chapeau haut de forme, le vautour Jed sur l’épaule, et le chariot transportant tout le passé du héros ont intégré désormais, comme d’autres personnages mythiques de la BD, notre imaginaire collectif. À la manière des tenues peintes par Manet, les personnages principaux sont vêtus de noir : Jonas, bien entendu, mais aussi Rose Mary et surtout Sister Oz dont la tenue ne laisse apparaître aucun pli, aucune structure, transformant la prêtresse en silhouette du Diable.
Dessins magnifiques, scénarios originaux, les auteurs ont su dépasser le thème du western et de ses codes pour offrir à un large lectorat de belles histoires dont on attend désormais la suite avec impatience.