Cette adaptation graphique du roman de Fouad Laroui, par Carbone et BeneDi, évoque avec humour et tendresse les difficultés, mais aussi les joies de l’intégration et du multiculturalisme. Un Petit Nicolas marocain dans la cour de récréation d’un lycée français.
En 2010, Fouad Laroui écrivait un roman Une année chez les Français, retenu parmi la première sélection du prix Goncourt. Il allait connaitre un grand succès populaire par son style et son thème. Dans cet ouvrage largement autobiographique, Laroui raconte l’histoire l’arrivée de Mehdi Khatib, âgé d’une dizaine d’années, au prestigieux lycée Lyautey de Casablanca, établissement scolaire réservé à l’élite de la société marocaine. Il n’est pas une erreur dans le casting du lycée mais plutôt le fruit de la détermination d’un instituteur qui a remarqué l’intelligence et la prodigieuse capacité d’apprendre de l’enfant. Boursier, mais seul, avec deux dindons, déposé par son oncle, il arrive dans un univers qui lui est totalement inconnu, dont il ne possède aucune clé, ni aucune référence culturelle. L’année précédente, Neil Armstrong a été le premier homme à marcher sur la lune mais Mehdi, sans télé dans son village de l’Atlas ne l’a pas vu. Comme l’astronaute américain, le jeune garçon atterrit donc sur un sol inconnu qui se dérobe sous ses pieds. Dormir en pyjama, manger de la moutarde, découvrir la différence entre le vainqueur du Tour de France Lucien Petit Breton et la Bretagne, boire du Viandox, sont autant de cailloux dressés sur le chemin de la vie du petit lycéen.
C’est cette année de découverte et d’apprentissage que reprennent Carbone, enseignante pendant plus de vingt ans, et BeneDi, illustratrice italienne. Dans sa préface Fouad Laroui explique qu’une adaptation suppose une part d’abandon de l’auteur mais que l’essentiel est de retrouver son inspiration initiale qui était ici d’exprimer « un théorème mathématique, un théorème de la bonne distance: quand deux cultures ou deux mondes se rencontrent, il est important de trouver la bonne distance ».

L’écrivain peut être rassuré, les deux autrices se sont attachées tout au long de l’ouvrage, à montrer et respecter cette bonne distance. Le choc culturel de Mehdi à son arrivée va peu à peu, au fil des pages, savoureuses ou mélancoliques, s’atténuer. L’enfant progressivement s’approprie certains codes, apprécie même de nouvelles références culturelles, découvre le théâtre, l’amitié jusqu’à ce week end de la Toussaint quand oublié par sa famille, il va passer deux jours chez les Berger, une famille accueillante et aimante, victime d’un drame intime. Mehdi peut se croire devenir alors un parfait petit français. Mais on ne peut jamais oublier ses origines. Jafar Panahi, réalisateur de la Palme d’Or de Cannes 2025 pour son film Un simple accident, expliquait combien il était malheureux lorsqu’il était éloigné de son pays l’Iran, qui pourtant l’avait incarcéré. Malheureux des gens et malheureux « de l’odeur de sa terre ».
Cette odeur unique de sa terre, Mehdi va donc la regagner naturellement le jour où un cousin, Tayeb, l’invite à venir passer ses week-ends en famille, chez sa tante. Plus de Viandox, ou de cochonneries à manger. Accepté tel qu’il est, Mehdi retrouve les goûts, les plaisirs d’origine, les mots, la culture qui l’ont fait grandir. Les Berger, avec toute leur gentillesse et leur amour, ne pouvaient jamais remplacer la joie d’assister à un match de foot entre le Tihad Athletic sport et l’association des douaniers. Supplanter la visite et les bisous d’une maman fière du prix d’excellence obtenu par son fils. Mehdi s’aperçoit qu’il ne pourra jamais être un parfait petit français. Et c’est très bien ainsi.

Fouad Laroui est heureux que les autrices aient respecté son inspiration première. On peut ajouter qu’elles ont également, comme dans le roman, réalisé des portraits le plus souvent drôles et décalés des enseignants, des fonctionnaires du lycée, qui deviennent des figures emblématiques comme Le Bouillon ou Monsieur Mouchabière du Petit Nicolas. On n’oubliera pas le pion marxiste luttant contre l’impérialisme bourgeois ou Rachid, autre surveillant, qui amène Mehdi au cinéma avec sa petite amie. L’humour, les propos décalés, les quiproquos sont omniprésents et plus qu’une leçon sur l’intégration, cette Bd démontre que l’addition de cultures différentes peut être une chance et une source d’enrichissement car après tout « il n’y a qu’une espèce humaine et nous ne sommes pas infiniment éloignés les uns des autres ». La bonne distance, on y revient. Et on y souscrit.
Une année chez les Français. Adaptation du roman de Fouad Laroui. Carbone au scénario et BeneDi au dessin. Editions Steinkis. 136 pages. 23€. Parution : 4 septembre 2025. Lire un extrait
