Art en BD, Vincent de Barbara Stok ou quand un trait et un prénom suffisent

Décrire avec une apparente simplicité le génie de Vincent Van Gogh, peintre connu de tous, tel est le défi relevé par une très belle BD néerlandaise. Dans cette BD Vincent Barbara Stok exprime parfaitement, dans une présentation minimaliste,  la complexité d’une œuvre et d’un homme.

 

bd Vincent Sur la couverture tout est dit ou plutôt… suggéré : une couleur orange ou plutôt rousse, un dessin simple, assez minimaliste et un seul mot, un prénom : Vincent. Rien de plus. Pourtant le lecteur devine immédiatement que c’est Van Gogh dont va traiter cette BD. Voilà le défi de cet ouvrage : décrire et dire l’essentiel avec une économie apparente de moyens. L’essentiel pour Barbara Stok, dessinatrice néerlandaise, est de raconter les trois dernières années de la vie du peintre. Années essentielles qui vont le conduire, en février 1888, de Paris en Arles, à l’hospice de St Rémy de Provence puis à Auvers sur Oise pour son dernier voyage en 1890. De Smudja à Larcenet (voir nos articles 1 & 2), de nombreux dessinateurs se sont attelés à la vie du peintre hollandais. Mais le Van Gogh Museum, qui multiplie les publications de très grande qualité depuis quelques années, ne pouvait délaisser le domaine de la bande dessinée.

bd Vincent Barbara Stok van goghSous un tel parrainage, l’auteure de la BD n’allait pas imaginer des délires surréalistes ou des hypothèses peu crédibles. De fait, le pari du « sérieux » et de l’authenticité historique attachés à la prestigieuse institution d’Amsterdam est réussi. L’essentiel sur les trois années racontées est dit : les liens de Van Gogh avec son frère Théo et son appui financier, l’arrivée de Gauguin et les différences inconciliables, la fièvre créatrice et la langue tonitruante, les relations avec les femmes. Les personnages aussi, le facteur Roulin, Émile Bernard, sont dessinés ou évoqués.

Barbara StokTous les textes remarquablement choisis sont extraits de l’incontournable correspondance entre les deux frères, privilégiant ainsi la réalité historique à l’imagination. Avec un minimum de moyens narratifs, les affres de la vie de Vincent, son intransigeance, voire son arrogance, sont racontées comme dans un livre pour enfants mais avec une ambition autre. Nous sommes ainsi loin, très loin, de l’habituel et affligeant portrait du peintre maudit et fou, qui se coupe l’oreille dans son délire. Égocentrique, le peintre néerlandais est avant tout en quête d’absolu, de perfection et victime de crises particulières et peu connues d’épilepsie. L’homme qui ressort de ces pages est plus riche que ne le laisse imaginer la forme de l’ouvrage et le lecteur se prend à le comprendre et à le chercher dans sa complexité et ses paradoxes.

Barbara Stok van goghComplexité dissimulée derrière un minimalisme de façade, cette image est encore plus vraie pour le dessin de Barbara Stok. Les cases sont tirées au cordeau, le trait noir est simple, rempli de couleurs unies, pas de pastels ni de demi-tons. Souvent des couleurs primaires. Mais la peinture de Vincent n’est-elle pas une peinture sortie telle qu’elle des tubes ? Et puis ces couleurs à y regarder de plus près ne sont pas les couleurs du hasard ou des couleurs « pour faire beau ». Il y a le jaune des champs de blé, le même jaune de chrome que celui de Vincent. Il y a le vert cru et dense, le vert qu’utilise Vincent pour peindre « la berceuse » de Mme Roulin. Et ce fameux bleu de cobalt, utilisé, pur, pour peindre la voûte céleste, dans un ciel infini. Et encore ces fonds de couleurs qui s’intensifient et se modifient sans raison, simplement pour marquer un changement d’humeur ou répondre à la violence de la case précédente.

bd Vincent Barbara StokL’esprit de Van Gogh est donc là, la virtuosité dans l’utilisation des couleurs, dans la manière de transcrire un ciel étoilé ou la lumière d’une lampe au gaz dans un bar arlésien. Certaines pages sans plagier, explosent, évoquent mais ne copient pas. La dessinatrice dissimule derrière son dessin, a priori facile, une véritable poésie quand elle évoque ces fameux tableaux de semeurs. Vincent avait une touche pleine de circonvolutions, de flammes, une touche qui met en mouvement le moindre élément du paysage. Barbara Stok a le trait unique, fermé et figé. Et pourtant cela fonctionne, les œuvres revivent sous une autre forme évocatrice et nouvelle, conformes à l’esprit de création originelle. Vincent Barbara StokÀ y regarder de plus près, on découvre également que le trait droit et rigide sait se ployer avec douceur et puissance quand il trace le dos qui se courbe du peintre accablé par ses crises. Une courbe qui fléchit peu à peu sous le poids du malheur dans le silence d’une page sans texte. Ces dessins silencieux sont les plus beaux. Étirés en format panoramique, ils montrent la solitude, la sérénité du peintre devant le paysage. Et puis il y a les cases carrées, sèches, narratives. Elles racontent la souffrance, la langue impérative et autoritaire. Et ces cases explosées à la manière de certains comics américains, éclatées et éclairées de couleurs violentes et contraires. Ce sont les pages de crises et de douleurs, celle de l’oreille coupée, de la rupture avec Gauguin. Et même les dessins simplifiés de l’auberge Ravoux à Auvers et de la dernière chambre mansardée au premier étage de Van Gogh sont d’un réalisme parfait. La lucarne, seule ouverture pour la lumière, cette lucarne qui vous happe quand vous pénétrez dans ce lieu, est évoquée magnifiquement à travers le dessin d’un coin de chevelure roux perçant la vitre.

Vincent Barbara StokExpert de l’œuvre de Van Gogh ou simple curieux, chaque lecteur trouvera son bonheur dans ce livre remarquable qui explique et suggère à la fois. Dans les dernières pages, Vincent face à son champ de blé mouvant s’amenuise pour disparaître peu à peu derrière le vol des corbeaux. Explication et suggestion. Réalisme et poésie. Une BD paradoxale pour une réussite totale.

BD Vincent Barbara Stok, EPeditions, 140 pages, original mars 2014, trad. française février 2015, 16 €

Avec la participation du Van Gogh Museum, de la Fondation Mondrian et le soutien de Nederland letteren fondsdutch foundation for litterature.

NDLR : À noter que deux grands prix du Festival d’Angoulême ont été remis respectivement aux « Vieux fourneaux » (Prix du Public) et à « L’arabe du futur » (Prix du Meilleur album). Ces BD ont été chroniquées dès leur parution par Eric Rubert qui est heureux de partager son flair avec nos lecteurs.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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