Vive la marée de David Prudhomme et Pascal Rabaté est une formidable BD qui prolonge le souvenir de vacances à la plage, vague, mais souriant. Pour lecteur ayant le sens de l’humour et de l’autodérision. Jubilatoire.
La France et ses finances, ses équilibres budgétaires et le respect du traité de Maastricht ont eu beaucoup de chance ! Les éditions Futuropolis ont eu la lumineuse idée de publier cette Bande dessinée APRÈS les vacances d’été. On n’ose imaginer la parution de ce livre en juin avant la migration estivale sur les côtes et plages françaises. Tous les lecteurs, les millions de lecteurs auraient probablement annulé leurs réservations de campings, de logements, brusquement conscients des dangers que pouvaient générer deux ou trois semaines passées sur les côtes atlantique, méditerranéenne ou de la Manche. Ces risques encourus sont nombreux et Vive la marée ! en dresse un panorama complet. Mais les dangers de Rabaté et Prudhomme ne tuent pas, car ce sont ceux du ridicule. Le ridicule d’une bande de jeunes dragueurs impénitents abrités derrière leurs lunettes de soleil, la langue bien pendue, mais les fesses vissées sur leur serviette de plage. Celui de l’attente prolongée et coléreuse à la pompe d’une station-service. Ou encore des joies de la pêche à la crevette, de la promenade (aller-retour !), du chien. Pas de noyade ou d’accidents de voiture, de drames ou de suicides, mais des petites banalités qui tissent notre quotidien, celui des naturistes, des marchands de glace, des agitateurs de cerf-volant ou des commerçants saisonniers. Et même du lecteur dessiné en vieux sage ventripotent (les hommes sont souvent ventripotents, c’est bien connu) jetant un regard hautain et « cultivé » sur ces pauvres congénères, mais dont l’image se promenant sur la plage nous rappelle que lui aussi participe à cette comédie.
Féroce cette BD l’est donc, car, comme tout miroir, elle nous renvoie à nos propres petites défaillances, mais on ne peut oublier les auteurs David Prudhomme et Pascal Rabaté qui créent ce « récit à deux têtes et deux mains, une gauche et une droite » après avoir publié conjointement le doux et mélancolique « La Marie en plastique ». Avec eux on sait que ce regard sur nos travers et faiblesses s’accompagne toujours d’une tendresse infinie que symbolisent les personnages chers à Pascal Rabaté que sont les tandémistes, les pécheurs, ou ces éternels peintres du dimanche. À leur manière, comme le Monsieur Hulot de Jacques Tati, leurs silhouettes reconnues sont les révélateurs du ridicule de nos modes de vie et de notre quotidien répétitif. Ils espèrent devenir le futur « Bernard Buffet breton » ou pêcher une baleine à six bosses, mais ils savent que leurs espoirs ne se concrétiseront jamais. Alors ils se contentent de peindre cinq bouteilles de vin, qu’ils s’empressent de boire avec le patron de la galerie… ou plutôt du bistrot du coin. Lucides, ils font semblant et chopent tout simplement le plaisir à portée de main. Ils sont amusants, empêtrés dans leur caractère enfantin, mais jamais ils ne sont arrogants ou odieux. Amusants, mais pas grotesques, ils attrapent le plaisir d’une sieste ou se lancent dans l’aventure d’une balade sur la plage.
Le lecteur fidèle retrouve donc les repères de l’univers de Pascal Rabaté qu’il raconte depuis de nombreuses années dans ses BD ou dans ses films comme « Ni à vendre ni à louer » ou « Du goudron et des plumes ». Et la BD reprend même la technique cinématographique du travelling : le dessin se promène de lieux en lieux, de personnages en personnages, retrouvés souvent quelques pages plus loin, en premier plan ou en toile de fond. Avec les auteurs on marche mains dans le dos, observateur bienveillant de nos semblables. Et la caméra, ou plutôt le dessin, n’hésite pas à utiliser le zoom arrière pour détailler tous les occupants de véhicules bloqués dans un embouteillage ou pour figer dans un plan fixe une jeune femme complexée sous le regard inquisiteur d’une mouette. C’est peu dire que le dessin déborde lui aussi de tendresse et se passe parfois de dialogues pour prendre de la hauteur, celle d’un cerf-volant, ou décrire à merveille la gestuelle ridicule, mais juste d’un joueur de pétanque.
Les couleurs brutes, à la manière des photos couleur du photographe anglais Martin Parr, exacerbent les situations et les lieux. Le récit est parsemé de trouvailles graphiques
qui dressent des portraits hilarants, mais tellement évocateurs. La dune se confond avec le corps d’une jolie plagiste, le petit soldat en plastique oublié ensablé devient une silhouette menaçante comme dans un film muet, les rouleaux de peinture d’employés communaux se crochètent en une amicale connivence du travail fini et bien fait. Le quotidien de Rabaté et Prudhomme, semblable au nôtre, banal, répétitif, stupide souvent, s’agrémente parfois de poésie, une poésie qu’ils savent débusquer sous les rochers de la plage, ou sous la ligne d’horizon quand le soleil se couche.
Justement le soleil décline sur la plage de Dieppe où j’écris cette chronique. Et je dois la terminer, car ma voisine, de retour de son bain, s’ébroue et m’envoie des….galets. Je vous quitte avant que je ne me fâche et je pars allumer le barbecue. Si je retrouve mes sandalettes en plastique. Qu’ai je fait de ma crème solaire ? Mais c’est promis, on se revoit l’été prochain. Même heure, même plage, même place. Avant que la marée ne monte. On s’envoie des cartes postales. En espérant qu’il fera beau. Parce que finalement cet été n’a pas été si mal que cela. À part les orages. Et le vent. Mais on a quand même bien profité. C’est l’essentiel.
Vive la Marée – David Prudhomme et Pascal Rabaté – Éditions Futuropolis – 118 pages, 20 € – Finaliste du Prix Landerneau BD 2015
Le lauréat du prix Landerneau de la BD sera connu le 13 octobre 2015.