Dans ce deuxième tome Clément Oubrerie poursuit son adaptation libre de la vie de Voltaire. Et surtout de sa vie sentimentale. Une réussite graphique incontestable.
La couverture est comme un selfie. Un selfie du 18e siècle. Au-dessus, dans une robe rose pétante, une belle jeune femme à l’air ingénu et libre. Elle s’appelle Emilie du Châtelet. Mais cela on ne le sait pas encore. Au-dessous, coupé par un cadrage incomplet les yeux d’un homme qui rêve à celle qui se cache derrière lui. On dit qu’il s’appelle Arouet, dit Voltaire. Cela commence à se savoir. D’autant que c’est la deuxième fois que l’on rencontre celui qui veut être un philosophe reconnu sous le dessin de Clément Oubrerie.
Après un premier tome où l’on découvrait les ambitions littéraires et mondaines du fils de notaire, le dessinateur nous propose cette fois-ci essentiellement de découvrir la relation amoureuse, parfois comique, de deux amants inégalables dans leur originalité et leur talent.
Il aime dessiner les femmes Oubrerie, les faire voler comme des nuages et « son » Emilie qui ajuste d’un petit geste mutin son décolleté avant de recevoir un amant mérite son trait. C’est qu’elle a tout pour séduire, Emilie que l’auteur dessine légère et belle comme le vent. Espiègle, anticonformiste, femme de science, elle ressemble à une militante féministe du XXIe siècle, brisant les codes, les tabous, dotée qu’elle est d’une culture et d’une intelligence rares. Elle prend même les allures de Superwoman pour défendre Newton contre Descartes. Cette fois-ci la passion l’emporte donc sur le récit chronologique et documenté ce qui permet au dessinateur de s’offrir une liberté si chère à Voltaire. Les double-pages se multiplient avec souvent le seul plaisir du « bel effet » dans un hommage onirique à cette femme extraordinaire à laquelle Oubrerie apporte toute la finesse de son trait. Qu’elle se dégage des fumées des toits parisiens ou de l’imagination du philosophe, elle est bien la reine de cet album.
Voltaire âgé (il a quarante ans !) se pose beaucoup de questions existentielles et s’efface un peu derrière la mathématicienne et physicienne. Pour une fois, il se sent en position d’infériorité lui si fier de son génie, mais si taraudé par ses origines sociales. Et les préceptes mathématiques, auxquels il ne goûte guère, prédominent même dans les magnifiques scènes intimes où les dessins algébriques côtoient une hanche ou la courbe d’une fesse. Un peu enfantin, cabotin, Voltaire semble découvrir la passion jusqu’à en être un peu ridicule.
L’érudition n’est pas pour autant absente de cet ouvrage qui se veut en la forme une copie de livres anciens. Le combat de Voltaire contre le système des ordres, les leçons tirées de son exil de deux ans en Angleterre, les salons mondains sont l’environnement de l’album qui décrit une société sclérosée qui préfère « un seigneur bien poudré qui sait précisément à quelle heure le roi se lève (…) à un négociant qui enrichit son pays et contribue au bonheur du monde ».
Oubrerie aime prendre son temps et donner du souffle à ses récits. Aya qui le fit découvrir comptait six tomes. Pablo, avec Juliette Birmant, se déclina en quatre volumes. Visiblement avec Voltaire (très) amoureux, il a pris ses aises et son plaisir, profitant de la liberté offerte par son éditeur pour coller à la démesure de la passion amoureuse du philosophe. Et nous donne envie de poursuivre cette quête de liberté avec lui.
Voltaire (très) amoureux de Clément Oubrerie. Editions Les Arènes BD. Parution 21 août 2019. 104 pages. 20 €.
A noter la sortie simultanée chez Casterman de Voltaire le culte de l’ironie de Richelle et Beuriot qui raconte, via un entretien entre le sage de Ferney et son biographe, les principaux épisodes de la vie du philosophe. Plus sage et plus pédagogique.
Clément Oubrerie est dessinateur, scénariste et réalisateur. D’abord auteur jeunesse, il publie en 2005 sa première bande dessinée, Aya de Yopougon (Gallimard), et obtient le prix Révélation au festival d’Angoulême en 2015. Il est depuis l’auteur d’une quinzaine d’albums, dont ceux des séries Pablo (Dargaud) et Les Royaumes du Nord (Gallimard), toutes deux couronnées de succès. Il publie en 2017 le premier tome d’une grande série, Voltaire amoureux (Les Arènes), deux fois récompensé : Grand Prix Quai des Bulles, Saint-Malo 2017, Prix Cognito de la BD historique, Bruxelles 2018, et dans la sélection pour le Grand Prix de la critique ACBD 2017.