Le 26 mars 2023, cela faisait un siècle que l’emblématique Sarah Bernhardt est décédée. Actrice, peintre et sculptrice, elle est la première grande comédienne internationale, mais elle était surtout une femme libre, engagée et rebelle. Avant-gardiste de toute part, elle a marqué les esprits de ses contemporains grâce à ses talents de dramaturge et sa personnalité hors du commun. En 2023, de nombreux lieux et institutions lui rendent hommage, notamment à Paris. Bretagne oblige, Unidivers a choisi de vous faire découvrir ou redécouvrir le havre de paix de Sarah Bernhardt, sa résidence secondaire. Ce refuge, elle l’a déniché, avant de se l’offrir, au sein des falaises de Belle-Île-en-Mer à la pointe des Poulains, un joyau de l’île morbihannaise.
Le fort de Sarah Bernhardt
Quand Sarah Bernhardt, 50 ans, visite la pointe des Poulains sur la commune de Sauzon, elle est subjuguée par ce lieu inaccessible, spécialement inhabitable et inconfortable, il correspond exactement à ce qu’elle recherche pour en faire sa résidence secondaire. Le lieu est pour elle géographiquement grandiose et idéal, loin du tumulte de la vie parisienne. Elle aime la beauté sauvage de l’île bretonne. Le bruit du vent et des vagues sur les rochers l’enchante. À l’apogée de sa carrière, en 1894 elle signe l’acte de vente d’un ancien fort militaire à restaurer, construit par Vauban et situé sur la pointe des Poulains, non loin du phare. Pendant 25 ans, elle va faire de ce lieu le second théâtre de sa vie.
Elle, qui n’aime pas la solitude, s’entoure de sa cour et y invite sa famille, ses amis artistes tel que l’écrivain Marcel Proust, le peintre Georges Clairin, de nombreux mondains et célébrités, même le roi d’Angleterre y est convié. Elle n’oublie pas, non plus, sa ménagerie*. Outre ses animaux sauvages, elle possède une ferme à proximité du fortin, avec une écurie de chevaux, avec Pélagie sa jument, des chiens, des moutons, quelques vaches, des lapins, une basse-cour. Madame Sarah, comme la nomment les Berlinois fait dans l’originalité. Elle accueille ses invités avec un caméléon sur l’épaule ou avec Alexis le grand-duc.
Sa personnalité est toujours très excentrique, son mobilier aussi. Quasiment toujours habillée de blanc, elle s’entoure d’une multitude de meubles et d’objets coloniaux. Sur l’île, Sarah Bernhardt puise de nouvelles forces artistiques, mais le fortin devient vite insuffisant pour y loger toute la troupe.
En 1897, Sarah fait construire juste en face un long bâtiment, la Villa des Cinq Parties du Monde en souvenir de ses tournées sur les cinq continents (actuellement, il est l’espace muséographique Sarah Bernhardt). Il était composé de cinq chambres qui portent le nom des cinq continents. D’autres constructions suivront : la Villa Lysiane destinée aux amis et à la famille, la Villa Simone à l’entrée de Sauzon et en 1907 le manoir de Penhoët qui sera détruit pendant la Seconde Guerre mondiale.
Sarah Bernhardt devient vite populaire sur l’île bretonne et contribue au développement du tourisme. Elle transforme le site en construisant un mur long de 300 mètres, plante plusieurs hectares de tamaris et fait bâtir cinq bancs en béton armé, tous orientés vers l’océan, mais différemment suivant les heures de la journée et l’orientation du soleil. Un trou est même prévu pour dresser le parasol dans chaque banc. Pendant que son fils Maurice pêche en mer et que sa belle-fille chasse le faisan, la comédienne pêche la crevette. Elle aime aussi jouer au tennis et faire la sieste ou bavarder à l’extérieur du fort, un endroit qu’elle a baptisé le sarahtorium.
Sarah Bernhardt est à Paris, lorsqu’elle entend dire, en hiver 1911, que Belle-Île-en-Mer est assaillie par des tempêtes qui empêchent les pêcheurs de partir en mer, et qu’ils rencontrent des difficultés à nourrir leurs familles. Pour venir en aide aux Bellinois, la comédienne va demander la construction d’une coopérative de pain pour nourrir les personnes dans le besoin. Pour financer son projet, elle organise un gala de charité dans son théâtre en jouant de sa notoriété et de ses connaissances. Ce geste de solidarité marquera profondément les habitants de l’île.
La pointe des Poulains, avec sa nature indomptable comme celle de Sarah Bernhardt, était devenue pour la comédienne son paradis. Elle y avait même choisi un rocher pour y être enterré, un peu à l’image de la tombe de Chateaubriand sur l’îlot du Grand Bé à Saint-Malo. C’est cependant au cimetière du Père Lachaise à Paris, qu’elle repose pour l’éternité, aux côtés de sa mère et d’une de ses sœurs.
La vie de Sarah Bernhardt
Sarah Bernhardt, de son nom de naissance Rosine Bernardt, vient au monde entre le 22 et 25 octobre 1844 dans le 6e arrondissement de Paris. Il est difficile de connaître la date exacte, car son acte de naissance disparaît dans l’incendie de l’hôtel de ville pendant les événements de la Commune. Judith van Hard, sa mère, est une courtisane hollandaise, une demie mondaine et son père est inconnu (on sait juste de lui qu’il est parti en Chine). On dira de Sarah qu’elle est l’enfant du mystère. Quand deux autres filles naissent dans le foyer de Judith, Sarah est placée d’abord en nourrice en Bretagne près de Quimperlé (29). Elle ne parle alors que le breton. Plus tard, sa nourrice bretonne déménage à Paris et Sarah rejoint le couvent Grand-Champs de Versailles où elle reçoit une éducation religieuse très stricte pendant six ans. N’ayant pas une enfance heureuse, elle apprend la vie en groupe et développe un tempérament de feu qu’elle doit à l’abandon maternel. Pendant son séjour au couvent, de santé fragile, elle est atteinte d’une pleurésie et pendant 23 jours elle est entre la vie et la mort. Cette épreuve va la marquer toute sa vie. Elle est sensibilisée à la mort et apprivoise le sens du macabre. Plus tard, la mort jouera le premier rôle dans sa vie d’artiste.
Le duc Charles de Morny, qui est l’amant de sa mère, va jouer un rôle important dans la vie de Sarah. Grâce à lui et à son ami Camille Doucet qui est ministre des Beaux-Arts, elle entre à l’âge de 15 ans au Conservatoire d’Art dramatique en 1859. Trois ans plus tard, elle intègre la Comédie française, où à 18 ans elle possède une loge, toujours grâce au duc de Morny. Mais un grave incident, un scandale la renvoie de ce prestigieux établissement, car Sarah toujours en lutte s’attaque à une sociétaire, la gifle puis refuse de s’excuser.
Sarah joue au Théâtre du Gymnase, avant de fuir en Belgique où elle fait la rencontre du prince Henri Joseph de Ligne. Elle en tombe amoureuse et se retrouve enceinte. Elle met au monde son fils Maurice, le 20 décembre 1864, que le prince ne reconnaît pas. Sarah a 20 ans. Elle aime, elle souffre et devient une vraie comédienne. Elle s’installe à Paris avec Régina, sa plus jeune sœur. Pour subvenir aux besoins de son fils, son unique but de vivre, et parce qu’elle est une mère célibataire sans ressources, elle utilise ses talents de comédienne pour séduire et devient, comme sa mère, une courtisane.
A 22 ans, Sarah est engagée au théâtre de l’Odéon, qui devient pour elle une seconde famille. Elle y côtoie George Sand et Alexandre Dumas. Tous admirent son timbre étonnant et son art de la pose unique. Elle joue dans la pièce de François Coppée Le Passant. Travestie en troubadour, Sarah Bernhardt rencontre le succès. Elle est la première femme à jouer des rôles masculins, d’autant plus qu’à cette époque il est interdit aux femmes de porter des pantalons. En 1870, la guerre éclate et la comédienne donne un coup d’arrêt à sa carrière. Paris est assiégé et l’Odéon est fermé. Elle transforme le théâtre en hôpital et montre sa force et sa dévotion auprès des soldats.
Après la guerre, le poète et écrivain Victor Hugo la sollicite pour jouer dans sa pièce de théâtre Ruy Blas. Il souhaite qu’elle soit la reine de la pièce. Le 26 janvier 1872, c’est la première et c’est un véritable succès destiné à la célébrité de Sarah Bernhardt. Victor Hugo la baptise La voix d’or. Elle joue Phèdre au Gaiety Theatre en juin 1879.
Elle renoue, dix ans plus tard, avec la Comédie française. Elle essuie cependant des critiques dans la presse, car elle ne laisse personne indifférent à sa vie avant-gardiste pour l’époque. Elle multiplie les conquêtes : artistes, mondains, politiciens, auteurs, des hommes, mais aussi des femmes. Elle est une boulimique dans la séduction comme elle est aussi au niveau artistique : elle peint, elle sculpte en plus de son art pour la comédie. La passion est son fil conducteur.
Quand Sarah reçoit chez elle sa sœur malade, elle lui cède son lit et s’installe dans un cercueil en bois de rose pour dormir, une étrangeté pour tous, mais pas pour elle qui cultive le morbide. Elle s’y fait photographier à de nombreuses reprises. Elle multiplie les rôles mystiques et sensuels. Dans ces pièces, elle meurt toujours de manière très spectaculaire.
A Londres, au cours d’une tournée de la Comédie française, elle est l’objet de toutes les curiosités. Elle séduit par sa marginalité. Dans ses pièces, elle est la princesse des gestes qui prennent contact avec une sorte de transe. Sa performance théâtrale est démesurée, ses attitudes vont jusqu’à la névrose. Elle est totalement dévouée à son public. *Elle fait tout dans la démesure jusqu’à posséder des animaux sauvages, et beaucoup : une panthère, un hibou, un alligator, une hyène, un perroquet, sept caméléons, un boa de 5 m de long et un singe.
De retour à Paris, elle claque la porte de la Comédie française et prend son destin en main. Elle crée sa propre compagnie de théâtre et avec elle s’embarque au Havre en 1880 pour l’Amérique. Déjà au cours du voyage, elle se révolte en découvrant les pauvres passagers qui croupissent dans les cales du paquebot. Dès lors, elle va défendre les opprimés, les plus démunis. Elle soutient l’anarchiste Louise Michel, défend la condition féminine, la justice sociale. Elle rencontre des immigrés, des ouvriers, des prisonniers lors de ses tournées en Amérique. Alors qu’à Paris, on l’accuse d’avoir quitté son pays pour s’enrichir et qu’à New York on pense d’elle qu’elle est une Parisienne perverse et débauchée, elle triomphe à New York avec la représentation de la Dame aux camélias. La salle éclate en applaudissements. A partir de là, elle sillonne l’Amérique profonde, n’hésite pas à jouer sous des tentes. Elle casse son confort pour vivre une carrière hors du commun. Elle parcourt le monde, de l’Amérique du sud à la Russie, en passant par l’Australie, le Canada, etc. Sarah Bernhardt est l’ambassadrice de la culture française, du chic, de l’élégance.
Elle est connue internationalement, avant Hollywood. A 38 ans, les gains de ses tournées lui permettent d’abandonner définitivement sa vie de courtisane. Elle se marie en 1882 avec Jacques Damala qui se révèle être un gigolo grec infidèle, de dix ans son cadet. Il ne voit en Sarah que la célébrité, lui qui rêve de devenir acteur. Il joue à ses côtés. Sarah lui est fidèle et tente même de le sortir de son addiction à la morphine, mais il meurt d’une overdose. Le mariage aura été un échec, mais de courte durée.
Sarah continue de vivre et de sourire. Le seul homme de sa vie sera dorénavant son fils. Elle l’entretient, dépense pour lui sans compter et lui confie plus tard la direction de ses théâtres. La tragédienne se construit seule. En 1893, elle joue Les Rois au Théâtre du Palais-Royal, puis devient directrice du théâtre de la Renaissance où elle monte son spectacle. Elle est une cheffe de troupe remarquable et rigoureuse avec ses comédiens. Un demi-siècle avant le cinéma, elle met en scène des décors et des costumes somptueux. C’est à cette période, en 1994, qu’elle fait l’acquisition de son fort à restaurer sur la terre bretonne, à Belle-Île-en-Mer. A la cinquantaine, Sarah Bernhardt est la pionnière de la communication. Avec le soutien du peintre Alphonse Mucha qui lui dessine sa première affiche, elle annonce ses spectacles en utilisant la publicité pour se faire connaître : sur des boîtes de biscuits, sur des savons ou de la poudre de riz, etc. Sarah crée l’Art nouveau : elle est une influenceuse avant l’heure !
Elle souffre cependant beaucoup des attaques infâmes de certains journalistes sur sa personnalité qui écrivent sur ses origines juives, jugent sa maigreur ou son nez, etc. Mais Sarah rebondit toujours, car pour elle rien ne tue sauf la mort ! Elle soutient Emile Zola dans l’affaire Dreyfus. Elle reprend à Paris le théâtre de la Nation, qui devient théâtre Sarah Bernhardt et cherche des rôles à sa mesure.
Après avoir joué dans plus de 120 spectacles, Sarah Bernhardt devient à 56 ans actrice de cinéma au début du XXe siècle. Son premier film est Le Duel d’Hamlet réalisé en 1900. Dix ans plus tard, avide de liberté et de jeunesse et à l’occasion d’une tournée, elle fait appel à un chirurgien américain pour un lifting. Encore en expérimentation, la chirurgie esthétique n’est pas une réussite. Sarah revient en France et profite d’un second lifting qui l’aurait, soi-disant, rajeunie de dix ans !
A 71 ans, elle souffre d’une tuberculose osseuse, qui va obliger les médecins à lui amputer la jambe droite au-dessus du genou. Cela ne l’empêche pas de jouer. Pendant la Première Guerre mondiale, elle participe à l’effort de guerre et joue devant des centaines de soldats, dans les tranchées, à seulement 100 m du front : c’est le théâtre des armées. Les soldats de France sont subjugués, elle devient leur idole. Clémenceau la fait Trésor national.
Elle joue dans un film de propagande : Mère française. En 1916, elle traverse une dernière fois l’Atlantique pour une dernière tournée et pour demander de l’aide et convaincre les Américains de venir soutenir la France. Après l’armistice, elle continue de jouer au théâtre assise. Toujours portée par la passion, c’est sa façon à elle de rester vivante.
Elle n’achèvera pas son dernier film : La voyante de Sacha Guitry, ,car elle s’éteint, suite à une défaillance rénale, dans les bras de son fils le 26 mars 1923 à l’âge de 78 ans. Tous les théâtres parisiens baissent leurs rideaux dès la nouvelle de son décès. Elle repose dans le cercueil qui a participé à sa légende : tout un symbole ! Le 29 mars 1923, jour de l’enterrement, 400 000 Parisiens suivent le cercueil jusqu’au cimetière du Père Lachaise, où elle rejoint sa mère et sa sœur dans le tombeau.
Aujourd’hui encore, un siècle après sa mort, Sarah Bernhardt façonne des générations d’artistes. Surnommée La Divine, l’impératrice du théâtre, ou encore décrite comme un monstre sacré par Jean Cocteau, elle est devenue le mythe qu’elle avait entretenue toute sa vie, le symbole mondial du théâtre à jamais immortel. Reconnue, comme la plus grande tragédienne française du XIXe siècle, elle a été aussi une avant-gardiste dans sa vie privée, comme professionnelle : mère célibataire qui s’assume, des relations amoureuses libres, un engagement pour des causes sociales et féminines, le développement de la publicité, son goût pour les excentricités de toutes sortes, etc.
Infos pratiques
Musée Sarah Bernhardt : pointe des Poulains à Sauzon (56)
Du mardi au vendredi : 11h00-17h30
Samedi et dimanche : 13h30-17h30
Visites commentées le mardi et jeudi à 10h
Attention, dernière entrée 1h avant la fermeture
- Visite complète : 6 €
- Fort uniquement : 2,50 €
- Billet 3 sites : 9,50 €.
https://www.ccbi.fr/lespace-sarah-bernhardt/
Au Petit Palais à Paris, l’exposition : Et la femme créa la star sera visible du 14 Avril au 27 Août.
Elle retracera la vie et la carrière de Sarah Bernhardt, à travers sa garde-robe et ses effets personnels. Son parcours artistique sera également mis en avant : ses peintures, ses sculptures seront présentées à cette occasion.
Petit Palais : Musée des Beaux-Arts, Avenue Winston Churchill, dans le 8e arrondissement de Paris.
Tél : 01 53 43 40 00.
Plein tarif : 15 euros