Conçue et imaginée par l’artiste suisse Dan Acher, et déjà présentée dans de nombreuses villes à travers le monde, Borealis, installation lumineuse spectaculaire recréant une aurore boréale, sera présente Esplanade Charles de Gaulle à Rennes du 1er au 3 juillet, de 22h30 à 1h, dans le cadre du festival des Tombées de la Nuit 2021. Au-delà de susciter un émerveillement commun transcendant les différences, elle invite à réfléchir sur les rapports de l’homme à la ville et à la nature, thématiques chères à son créateur.
Et soudain, dans le silence de la nuit, une lumière verte surgit dans le ciel nocturne, accompagnée d’une musique mystérieuse… Une scène tout droit sortie d’un film de science-fiction ? Ou un voyage dans les contrées polaires ? Non, c’est ce que l’on pourra admirer dans le ciel de Rennes du 1er au 3 juillet prochain, grâce à Borealis. Durant trois nuits, cette installation de l’artiste suisse Dan Acher, fondateur du laboratoire d’innovation sociale Happy City Lab, prendra ses quartiers dans la capitale bretonne après avoir bourlingué à travers le monde. Elle recréera une aurore boréale au-dessus de l’esplanade Charles de Gaulle, en plein cœur de la ville, grâce à des faisceaux laser haute puissance illuminant le ciel de rayons fluorescents tour à tour verts, bleus ou violets. Le tout accompagné d’une musique composée par Guillaume Desbois, pour marier la surprise visuelle et l’émotion sonore.
« Quelque chose de très fort »
Un sacré défi technique, dont l’idée a germé presque naturellement dans la tête de l’artiste. « Je ne saurais pas dire à quel moment l’idée est venue, c’est quelque chose que j’avais déjà en moi », confie Dan Acher. « Dans mes recherches, je me suis posé la question : à quel moment se sent-on appartenir à quelque chose qui est plus grand que nous, qui nous fait nous sentir tout petit ? Une aurore boréale, c’est quelque chose de très fort, qui nous dépasse. Quel pourcentage de la population mondiale pourra voir ça une fois dans sa vie ? À partir de là, l’étape suivante de la réflexion a été de me demander comment je pourrais parvenir à créer quelque chose qui ressemble à une aurore boréale. »
Le projet se concrétise lorsque l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) contacte Dan Acher à l’occasion de l’inauguration de l’ArtLab, un espace dédié au rapprochement des mondes de la culture et du numérique. « Il y avait une place de 200 mètres sur 100, et les organisateurs souhaitaient que, lorsque les gens arrivent sur cette place, ils soient émerveillés », raconte l’artiste. « C’était un sacré challenge de créer une installation pour une place aussi grande. » Il fait part de son projet à l’EPFL, qui est séduite. Ne reste plus qu’à le réaliser, ce qui n’est pas une mince affaire. « J’ai contacté une entreprise en Allemagne, avec laquelle j’avais déjà travaillé », explique Dan Acher. « Ils m’ont dit : cela ne va pas être évident, mais c’est possible ! On a travaillé pendant un bon moment pour faire aboutir le projet. » Borealis était né.
J’ai la conviction que tant que l’on n’aura pas le sentiment d’appartenir À une même communauté, on n’y arrivera pas.
Dan Acher
Réapprendre à « faire société »
Ayant étudié l’anthropologie sociale et voyagé à travers le monde à la rencontre des cultures, Dan Acher s’est toujours intéressé à la manière dont les individus font société, à la façon dont une communauté peut se constituer autour de rites, de pratiques communes. « Dans nos sociétés, on avait des événements récurrents chaque année, autour des moissons, des changements de saison, des rites de passage, qui réaffirmaient notre appartenance à une même communauté. Tout cela tend à s’effacer aujourd’hui », regrette-t-il. « Par le biais de mon travail, j’essaie de recréer des liens, des situations où des inconnus partagent des moments forts, au-delà des différences d’âge ou d’origine, qui véhiculent un sentiment d’appartenance à une même société. J’ai la conviction que tant que l’on n’aura pas réalisé cette appartenance, on n’y arrivera pas. »
L’aurore boréale se prête particulièrement bien au rôle d’évènement rassembleur, en raison de l’émerveillement partagé qu’elle procure. « Ce qui est fort avec Borealis, c’est l’étendue de l’installation : elle est visible par tous, ce qui permet à tout le monde de vivre une émotion identique », explique Dan Acher. Une émotion que l’artiste a pu constater de ses propres yeux lors de la première présentation de Borealis en Australie, pour l’inauguration de l’Adelaïde Fringe Festival, et qui l’a marquée. « Lorsque l’on a allumé Borealis, il y avait déjà 10 000 personnes sur place. C’est la première fois que j’ai pu voir l’impact que cela a eu sur autant de personnes en même temps. Il y a aussitôt eu une rumeur incroyable dans la rue, les enfants sautaient dans tous les sens. Beaucoup de gens se sont posés sur l’herbe ou se sont couchés pour mieux s’imbiber de la chose. »
Afin de la rendre visible au plus grand nombre, Borealis pourra être aperçue en plein cœur de Rennes, sur l’esplanade Charles-de-Gaulle. Transformer notre rapport aux espaces urbains, c’est aussi le credo de Dan Acher, qui voit dans les villes un « potentiel incroyable car elles accélèrent le vivre ensemble. Il y a des flux continus, des nouveaux habitants, ce qui peut créer des tensions. Il faut apprendre à renouveler sans cesse l’expérience de l’altérité. Les villes n’ont cessé de grandir, on ne peut plus se permettre aujourd’hui de vivre dans sa propre maison. La ville est le futur de l’humanité. On a trop pensé la ville sous le prisme de l’efficacité : comment se déplacer d’un point A à un point B de la manière la plus efficace, alors qu’elle peut et doit être centrée autour de l’humain. »
Une œuvre d’« artiviste »
Au-delà de l’émerveillement et de la surprise, Borealis vise aussi à faire réfléchir le spectateur sur le rapport de l’homme à son environnement. Un thème qui irrigue l’ensemble du travail de Dan Acher, qui s’autoproclame « artiviste » (contraction d’« artiste » et « activiste ») et délaisse le paradigme de l’« art pour l’art » au profit d’un art vecteur de « changement social ». « Borealis pose la question du changement climatique : pourquoi une aurore boréale apparait à Rennes ? Est-ce normal ? Est-ce ce qui nous attend dans le futur ? Une tension se crée : certes, c’est beau, mais cela n’a rien à faire dans une ville comme Rennes. »
on a trop pensÉ la ville sous le prisme de l’efficacité, alors qu’elle peut et doit être centrée sur l’humain
Dan Acher
La prouesse technique réalisée pour recréer artificiellement un tel phénomène interroge également la soif humaine de maîtrise de la nature, fût-ce par la technique. « J’ai suivi différents cours sur la géo-ingénierie, qui ambitionne de résoudre les problèmes environnementaux par la technologie », abonde Dan Acher. « Je considère cela comme une fuite en avant. C’est extrêmement dangereux de vouloir agir sur l’environnement par la technologie, car tous les écosystèmes sont interdépendants : si on touche à quelque chose quelque part, cela va avoir des conséquences ailleurs. La géo-ingénierie veut nous dispenser de changer notre train de vie pour préserver l’environnement, mais il y a peu de chances que cette solution fonctionne. »
À la fois spectaculaire et engagée, Borealis a, partout où elle a été présentée, rencontré un franc succès. « À chaque fois, les organisateurs sont enchantés, par rapport au nombre de personnes présentes et à l’ampleur de l’installation. », savoure Dan Acher. « Un #Borealis a été créé sur les réseaux sociaux, qui explose à chaque événement. » L’installation continuera d’ailleurs sa tournée mondiale dans sept pays, dont la Finlande et la Corée du Sud, après les Tombées de la Nuit. En parallèle, Dan Acher travaille sur un autre projet autour de l’environnement, We are Watching : un œil noir et blanc géant composé de dizaines de milliers de visages de personnes venant des quatre coins du monde, qui flottera au-dessus de Glasgow à l’occasion de la COP26 en novembre. « C’est une sorte de flamme olympique, pour conscientiser l’enjeu climatique et pour dire aux dirigeants mondiaux : vous êtes attendus au tournant », précise Dan Acher. Une chose est sûre, la flamme n’est pas prête de vaciller.