HISTOIRE. NAISSANCE DE L’HÔPITAL MODERNE

Parler de l’Hôpital amène à s’intéresser à son étymologie : chez Vitruve, le terme hospitalia désigne un logement destiné à un étranger comme lieu d’hospitalité. Le vieux français ospital pour désigner au Moyen Âge l’accueil des malades, des indigents et des mourants, nous reviendra sous une forme plus conforme à son origine latine.

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Asclépios, Dieu de la médecine

Il est sans doute difficile de définir le moment précis où des hommes ont créé des hôpitaux à destination de ceux qui avaient besoin de soins, de protection ou simplement d’un accompagnement en fin de vie. Dans la Grèce ancienne, soins et religions étaient étroitement mêlés : le dieu de la médecine, Asclépios, connu chez les Romains sous le nom d’Esculape, était vénéré à Épidaure où des pèlerins venant de toute la Grèce pour se faire soigner, pouvaient y consulter des médecins réputés. La constitution sur plusieurs sites antiques d’Aesculapium regroupant thermes, amphithéâtres, temples et bibliothèques préfigure nos modernes hôpitaux universitaires.

Le caducée reprend le principal attribut d’Hermès (Mercure chez les Romains, messager des dieux), formé d’une baguette surmontée de deux petites ailes, et autour de laquelle s’entrelacent deux serpents. Le serpent évoque celui d’Asclépios (Esculape), dieu de la Médecine.

Au IIIe siècle avant notre ère, Rome vit à la suite d’une épidémie de peste la construction d’un tel site d’abord dédié au dieu Esculape, qui finit par occuper l’ensemble de l’Ile Tibérine. Nombre de médecins grecs célèbres vinrent exercer à Rome et y apportèrent des connaissances étendues pour l’époque comme Asclépios, Dioscoride, Soranos et le célèbre Galien qui influença la médecine occidentale pendant plus d’un millénaire. Conquérants, les Romains disposaient d’une armée structurée et entraînée et d’un service de santé qui annonce celui de l’Ère moderne. Auguste professionnalisa l’armée qui disposa dès lors de médecins, les aerarium engagés pour 16 ans et exerçants dans des valetudinaria rattachés aux unités proprement dites. Les fouilles de sites archéologiques y ont retrouvé moult matériels chirurgicaux et des ustensiles pharmaceutiques laissant supposer une activité de soins soutenue. Ces structures étaient encadrées par des vulnerarii ou chirurgiens, tandis qu’au cœur des combats intervenaient les capsarii (du latin capsa ou trousse médicale) chargés d’évacuer les blessés vers l’arrière. L’Empire Byzantin qui lui survécut à l’Empire romain de près d’un millénaire mis en place un système de santé très moderne avec une reconnaissance officielle des archiatros médecins municipaux rémunérés par les cités.

Dès le IVe siècle, les grandes villes byzantines organisent de véritables hôpitaux pour accueillir des malades, souvent pauvres ou étrangers. Le terme de xénon (étranger) dénomme ces structures, prises en charge par les médecins municipaux ou des moines qualifiés en médecine. Le système hospitalier dépend en grande partie du système religieux et des évêques, mais avec un contrôle impérial. Ces hôpitaux sont suffisamment structurés pour avoir des directeurs (nosokomos). La renommée de certains de ces hôpitaux, les Manganes ou le Pantocrator de Constantinople par exemple, sera telle que les Empereurs ou leur famille s’y feront soigner.

Dans l’Europe occidentale compte tenu de la fragmentation politique et des troubles qui perdureront au moins jusqu’à Charlemagne, c’est l’Église et ses ordres monastiques qui assureront la prise en charge des pauvres, des pèlerins et des mourants. Ces monastères outre des locaux ad hoc disposent de jardins permettant la production de plantes médicinales et de scriptorium où sont recopiés les manuscrits plus anciens, participant à la conservation et à la diffusion des connaissances. Si le rôle des bactéries est bien sûr méconnu dans la diffusion des grandes maladies (lèpre, peste), la prescience du phénomène contagieux par contact conduit à la construction de secteurs spécialisés de quarantaine ou de léproserie à l’écart des agglomérations.

Pièce de bronze représentant l’empereur Julien, Antioche 360-363, (photo Classical Numismatic Group, Inc. (CNG)

Le haut Moyen-Âge voit la rédaction de grandes compilations des ouvrages des médecins antiques tels Dioscorides ou Galien. Celles-ci sont dues à la plume de grands médecins comme Oribase, médecin de l’empereur Julien (IVe siècle) ou des fonctionnaires romains comme Marcellus Empiricus à Bordeaux. S’y ajoutaient des descriptions anatomiques et des thérapeutiques classées « de la tête aux pieds » à l’usage des praticiens avec pour chaque affection une liste de recettes.

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Vers le IXe siècle, c’est en Italie qu’est fondée la première école de médecine d’Europe : la Schola Medica Salernitana qui fait la jonction entre les médecines antique, byzantine et arabe. Les médecins issus de l’École de Salerne jouissent d’une réputation méritée. Des femmes, les Mulieres Salernitanae, semblent aussi avoir bénéficié de cet enseignement. Non loin de Salerne, le Mont Cassin et son monastère participent à cette révolution scientifique, Constantin l’Africain (1020-1087) moine et médecin originaire d’Afrique du Nord y assure la traduction en latin des œuvres de la médecine arabe telle le Zād Al Mussāfir (Le Viatique du voyageur) d’Ibn Al Jazzar, décrivant différentes maladies suivant leurs causes, leurs signes et leurs traitements. Son ouvrage le plus connu est le Liber Pantegni, traduction du Kitab al-Maliki ou Livre de l’art médical d’Ali ibn Abbas al-Majusi. Dans le monde islamique, il existe des hôpitaux dénommés Bimaristan où les malades sont pris en charge par un personnel qualifié. La médecine arabe avait pour base la médecine grecque ancienne, celle d’Hippocrate et de Galien. C’est à travers les sujets chrétiens souvent nestoriens qui avaient traduit cet héritage ancien que c’est fait cette transmission reprise et développée par de grands médecins tels Avicenne.

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Avicenne

Les Croisades voient la création d’Ordres hospitaliers à destination des malades, pèlerins ou simples voyageurs. Des marchands amalfitains créent au milieu du XIe siècle une nouvelle « hostellerie » ou hospice au monastère bénédictin de Sainte-Marie-Latine de Jérusalem. L’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem en 1080 sera le premier ordre hospitalier créé dans le but de défendre les pèlerins chrétiens : la plupart de ces ordres hospitaliers devinrent aussi des ordres militaires tels les Templiers. Les hospitaliers de Saint-Jean deviendront, au gré de leurs aventures militaires contre les Turcs l’Ordre de Malte. L’hôpital de La Valette, dans la capitale de l’île, était au XIIIe siècle un des meilleurs d’Europe.

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Vers 1260, Saint Louis fonde sur l’emplacement de l’actuelle place du Palais Royal et s’étendant jusqu’au milieu du jardin des Tuileries une congrégation dite « la maison des pauvres aveugles de Paris » qui avait pour vocation l’hébergement de quinze fois vingt patients, le terme de Quinze-Vingts est resté et fait référence à la manière ancienne de compter par vingtaine. Si l’on excepte les léproseries plus anciennes, c’est un des premiers exemples d’hôpital dédié à une seule pathologie. Le Moyen Âge occidental finissant voit la création dans de nombreuses villes d’hôpitaux dénommées Hôtel-Dieu ou Maison-Dieu et financés par les dons des fidèles les plus riches.

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Hôpital des Quinze-Vingt Paris 1567

En France, une des caractéristiques de la Royauté tout au long du Moyen Âge et de la Renaissance, est le renforcement progressif et centralisé du contrôle sociétal, mouvement auquel n’échappe pas le système hospitalier. Un siècle plus tard, Louis XIV et Colbert renforceront les dispositions relatives à la fondation des hôpitaux généraux dont la ressource est assurée par l’exploitation d’un riche patrimoine mobilier et immobilier. L’Hôtel-Dieu d’Amiens possède ainsi un grand nombre de maisons, 1700 hectares de terres et de bois et de rentes diverses dont des droits seigneuriaux et de dîmes.

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Hôtel-Dieu, Amiens

De grandes enquêtes hospitalières réalisées au XVIIIe siècle constatèrent les carences du système de santé. Turgot et Necker, accentuèrent encore l’intervention de l’État et s’appliquèrent à promouvoir une politique d’« assistance publique ». Pour contrôler les biens ecclésiastiques qui échappaient souvent à la fiscalité royale, l’édit de 1749 contre l’extension des biens de mainmorte, fut promulgué. Ces biens ayant une existence indéfinie, échappaient de facto aux règles des mutations par décès. Concernant la Fondation de l’Hôpital Necker, un acte d’établissement du 21 juillet 1778 relate les conventions passées entre le roi, par l’intermédiaire de son ministre Necker, et les onze sœurs de la Charité qui y étaient affectées. L’hospice est placé sous administration de Necker et du curé de Saint-Sulpice. On note de nombreuses améliorations dont la moindre est qu’il n’y a plus qu’un seul patient par lit…

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Jacques Necker (1732-1804), portrait par Jacques Siffrein-Duplessis

À côté des soins et de l’assistance aux mourants, l’Hôpital prend une dimension répressive à savoir l’enfermement des marginaux : vagabonds, prostituées et ceux que l’on appelait les fous. Un l’arrêt de 1632 interdit en effet aux pauvres de mendier sous peine d’être arrêtés. Ces dispositions seront renforcées du fait de l’influence de Vincent de Paul et de la Compagnie du Saint-Sacrement (catholique et anti-janséniste) sur Anne d’Autriche. Pour la Compagnie, véritable société secrète, la moralisation de l’ensemble de la vie sociale doit passer par le combat contre les éléments les plus nuisibles de la société. De semblables dispositions existaient à la même époque dans d’autres pays d’Europe.

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Les bouleversements de la Révolution n’épargnèrent pas les hôpitaux. Le décret du 18 août 1792 supprime toutes les corporations religieuses y compris celles vouées au service des malades : l’article 2 du même décret précisait cependant « les mêmes personnes continueront le service des pauvres et le soin des malades à titre individuel »… La suppression des corporations en août 1793 par la loi Le Chapelier entraîne la fermeture des académies royales de médecine et de chirurgie.

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Isaac-René-Guy Le Chapelier, né le 12 juin 1754 à Rennes, guillotiné le 22 avril 1794 à Paris, est un homme politique français, député aux États généraux de 1789, président de l’Assemblée constituante, initiateur de la loi Le Chapelier contre les corporations.

Les conventionnels décrètent la nationalisation des biens hospitaliers, le but est de supprimer les secours hospitaliers, car « si la révolution finie, nous avons encore des malheureux parmi nous, nos travaux révolutionnaires auront été vains ». À la fin de la Convention les hôpitaux sont délabrés, criblés de dettes et acculés à la fermeture pour certains : la gestion des établissements hospitaliers est confiée aux administrations locales. Sous le Consulat et sous l’Empire, tous les établissements d’une même commune sont regroupés sous la direction d’une commission municipale. La Guerre à laquelle sont confrontés la Révolution puis l’Empire va participer à la reconstruction d’un appareil sanitaire plus structuré. Dès l’An deux, un décret institue la formation accélérée d’Officiers de Santé pour le besoin des armées de la République puis de l’Empire. Le nombre d’officiers de santé militaire passe de 2500 à 10 000 en 1795.

L’enseignement de la Médecine intègre des stages hospitaliers et des leçons cliniques en amphithéâtre dans trois écoles de santé, Paris, Montpellier et Strasbourg qui deviennent École de Médecine en 1795. Sous l’Empire, les médecins sont répartis en deux groupes : les docteurs soumis à quatre années d’études dans les écoles de médecine et terminées par la soutenance d’une thèse. Ils sont totalement libres d’exercer. Les officiers de santé, considérés comme des médecins de second ordre, ne sont pas astreints à fréquenter les écoles de santé et une expérience pratique de cinq à six ans dans un hôpital ou près d’un médecin est sanctionnée par un diplôme délivré par un jury départemental. En France, la loi du 30 juin 1838 confie la gestion aux corporations religieuses des asiles d’aliénés. Les différentes confessions créent leurs propres maisons de santé à côté des hospices communaux, maisons de force et hôpitaux militaires dont les Invalides sont l’ancêtre.

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Montpellier, 1804, cathédrale Saint-Pierre et façade sud de la faculté de médecine

La médecine moderne débute peu après l’époque des Lumières, la progression et la codification des sciences dans le monde occidental permit au moins une meilleure compréhension des diverses pathologies. La pratique systématisée des autopsies, reliée aux données cliniques, les progrès de la chimie et de la microscopie ouvrirent de nouveaux champs thérapeutiques qui contribuèrent à spécialiser les médecins et les structures de soin nouvelles sources sans cesse renouvelées de progrès. Le développement de l’hygiène publique (eau courante, égouts, ordures ménagères) qui précédera la découverte du rôle des microbes améliora les conditions de vie au moins pour les classes les plus aisées. La réalisation de la première anesthésie moderne en 1846 par William Morton, dentiste de Boston au Massachusetts General Hospital ouvrit une ère de progrès. Dès lors les chirurgiens disposaient de plus de temps pour réaliser des interventions chirurgicales plus complexes.

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Florence Nightingale (1820-1910)

Les premières guerres « modernes », celle de Crimée ou le conflit Nord–Sud aux États-Unis verront le développement d’autres progrès médicaux. En Crimée par exemple, une jeune et riche Britannique, Florence Nightingale, pionnière des soins infirmiers modernes aidera à soigner les blessés et contribuera à valoriser ce métier jusqu’alors injustement méprisé. En 1847 Ignace Semmelweis, martyr de la médecine, met en évidence le rôle létal des médecins dans la diffusion des infections de par leur absence revendiquée d’hygiène : le simple lavage des mains peut épargner des vies… Il sera relayé par Louis Pasteur qui prône l’antisepsie (stérilisation du matériel chirurgical) lui-même épaulé par Joseph Lister chantre de l’antisepsie ; la vaporisation de phénol dans les secteurs opératoires réduit la mortalité périopératoire de 40 à 15%.

Vers 1905, la séparation de l’Église et de l’État concerne aussi le monde de la Santé. Les Congrégations redistribuent leurs fonds vers la création ou l’entretien d’établissements privés, qui perdurent jusqu’à aujourd’hui. Les débuts de la Première Guerre mondiale sont une véritable catastrophe sanitaire de par l’impréparation des milieux militaires en ce domaine. Dans l’urgence des établissements de soins sont créés dans des lycées, des hôtels, des châteaux, etc… L’époque voit aussi la création des premiers systèmes d’assurance sociale.

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Hôpital Necker, Paris, blessés de la Première Guerre mondiale

Les années quarante sont celles de bouleversements sociaux, mais aussi médicaux dus aux différents conflits mondiaux. La transfusion sanguine née au début du siècle, par l’identification des groupes sanguins par Karl Landsteiner, connait des progrès sensibles lors de la guerre d’Espagne grâce au chirurgien canadien Norman Béthune (voir notre article).

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Norman Bethune, 1922

La découverte de l’effet antibiotique de certaines moisissures par Fleming en 1928 est prolongée au début du second conflit mondial par l’isolement des premières doses de pénicilline qui sauvera des milliers de blessés et amorce l’ère des antibiotiques qui permettra la régression de pathologies endémiques comme la tuberculose. Une conséquence de ces progrès sera la disparition progressive des sanatoriums et autres aériums. La Seconde Guerre mondiale verra des progrès sensibles en matière d’organisation sanitaire avec la fin des hôpitaux hospices et un renforcement de la gestion publique. Les métiers hospitaliers poursuivent leur spécialisation. Le Conseil National de la Résistance, dont Robert Debré était membre, œuvrera pour une révolution sanitaire majeure à savoir le Régime de Sécurité sociale qui permet une meilleure prise en charge des soins pour les assurés ainsi que la rémunération du corps médical. Les hôpitaux sont financés en fonction de leur production en nombre de journées d’hospitalisation : un « tout compris » pour un service donné, couvre l’ensemble des dépenses de fonctionnement. En décembre 1958, la « réforme Debré » inspirée des États-Unis, institue les Centres hospitalo-universitaires (CHU), lieux de recherche, adossés à des Facultés de Médecine et réunissant praticiens et universitaires. L’hôpital, secteur économique en pleine croissance, devient alors un pôle d’excellence médicale. L’INSERM créé en 1964 vient renforcer la dimension de recherche de ces centres de réputation internationale.

L’Hôpital qui avait progressé sous l’influence de la religion et des conflits poursuit ainsi son développement de manière plus sereine. Les progrès sanitaires ainsi qu’une meilleure qualité de vie favorisent la prolongation de l’espérance de vie. Aujourd’hui on naît dans la très grande majorité des cas à l’Hôpital et on y meurt aussi beaucoup plus que par le passé. Pour l’avenir on peut aussi imaginer un hôpital technologique et non seulement ambulatoire, mais aussi décentré, en réseau social, intervenant au domicile du patient… un retour aux sources en quelque sorte.

De l’antiquité à nos jours, une brève histoire de la santé publique et de l’hôpital

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Marc Gentili
Marc Gentili vit à Rennes où il exerce sa mission de médecin anesthésiste. Il est passionné par les sciences humaines et le cinéma.

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