Virginie Merle, alias Frigide Barjot, aime se présenter comme « la fofolle de Dieu ». Frigide Barjot croit en Dieu : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Et prie la Vierge Marie avec son chapelet fluo. Pourtant, à première vue, sa Trinité à elle, c’était plutôt fêtes, alcool et rock’n roll en compagnie du groupe rock Dead Pompidou’s (à écouter : son émoustillant Fais-moi l’amour avec deux doigts, avec trois, ça ne rentre pas de 2009). Jusqu’à son mariage avec Basile de Koch (tête du groupe Jalons), la mort de ses parents et la naissance de ses enfants, Frigide était une catho culturelle. Au tournant des années 2000, elle fait son coming out et vit désormais sa foi à 200 %, sans y voir de contradiction avec la fête, bien au contraire ! Confessions d’une catho branchée raconte son parcours de Saint-Tropez au Saint-Esprit, de Ruquier à Benoît XVI, de Jacques Chirac à Jésus-Christ. Cet ouvrage traduit avant tout sa révolte contre la vulgate anticatho répandue en France et la laïcité positive. Ses analyses s’élèvent contre les idées reçues dans une langue personnelle susceptible de parler à nombre de croyants qui n’osent plus parler de leur foi. Comme Claudel, elle a reçu la foi à Notre-Dame. Le résultat est-il le même ? D’un catholicisme culturel bourgeois à une foi profonde qui s’appuie sur un socle doctrinal, entretien avec un membre de la paroisse Saint-Léon qui n’a pas son missel dans la poche.
Unidivers a goûté : l’originalité du propos, la franchise du ton, la vivacité, la fraicheur et l’humour qui émaillent les pages.
Unidivers a moins goûté : un penchant narcissique (plus que ne réclame l’exercice), un style assez commun, un manque de prise en compte des points de vue divergents au sein de la sociologie catholique.
Unidivers recommande la lecture de cet ouvrage qui montre une face de la vie et de la sociologie catholiques qui n’est que peu relayée par les médias. Conseillé sur la plage ou à une terrasse.
Votre confession fait figure de témoignage…
Initialement, je ne désirais pas raconter ce que j’ai vécu. Précisément, car ce qui m’est arrivé, le recul que j’ai acquis, cette espèce de choc qui m’est tombé dessus, cette conversion, renvoie à une intimité si fragile. À l’époque, je voyais ma vie sombrer, s’abimer dans une épiphanie du non-sens. Pourtant, tout ce que je désirais depuis l’enfance s’était réalisé : la vie affective, la maternité, la réussite professionnelle à Paris. Pourtant, j’étais arrivée à un stade où l’alternative entre rester en vie ou disparaître perdait de son acuité. Je n’avais plus de moteur en moi. Je me lamentais sur moi-même tout en désirant être utile mais sans y parvenir. En plus, autour de moi, plusieurs amis sombraient dans l’alcool, la drogue, le divorce. Je me trouvais dans une crise de milieu de vie où toutes les étapes étant franchies, plus rien ne suscitait en moi de joie profonde. J’étais comme coupée de moi-même, il me manquait l’essentiel. C’est alors que la dimension du spirituel est intervenue dans ma vie comme sens et salut. « Jésus lui dit: Je suis le chemin, la vérité, et la vie. » (Jean 14:6)
Comment cette irruption s’est-elle manifestée ?
Comme la conjugaison d’une succession d’étapes et d’un rêve improbable. À cette époque où j’étais comme étrangère à moi-même, je dissolvais ce sentiment dans une fête ininterrompue. Je me noyais dans les sorties pour oublier mon incapacité à gérer la complexité de ma vie. Mais, heureusement, j’avais un ami.
Un petit matin, nous nous rendîmes à Notre-Dame tout embrumés d’alcool après une nuit passée à mettre le feu au dance floor. Je suis entrée dans la cathédrale toute chancelante sur mes escarpins et j’ai été immédiatement frappée par la magnificence du lieu et de l’orgue qui résonnait en de vastes courants porteurs d’un mystère sublime. Au point d’orgue, j’étais complètement retournée. À ce moment arrive le cortège du clergé pour le commencement de la messe. Je n’avais pas assisté depuis des années à une célébration liturgique. J’écoute l’évangile puis le sermon du prêtre ; une parole pénètre au plus profond de ma chair : « Vous êtes aimés inconditionnellement, qui que vous soyez, uniquement ». J’ai entendu, vécue, infusée, compris : « Virginie, tu es aimée inconditionnellement, Jésus est là, avec toi, et jamais il ne te fera souffrir ». La parole, la Parole est entrée en moi. Elle a pénétré mon âme qui s’est comme réveillée, mon esprit a pris conscience qu’un être supérieur m’aimait depuis toujours. Je me suis répandue en larmes sur l’épaule de mon ami. Les vannes du coeur étaient ouvertes. Des cataractes.
D’où votre changement de vie, cette conversion qui a redéployé votre vie dans d’autres voies et d’autres combats…
Tout à fait. Une autre fois, alors que j’étais chroniqueuse chez Laurent Ruquier, il m’est soudain devenue évident qu’un même discours unilatéral et anticatho régnait sur les ondes. Toujours un seul son de cloche. Quand l’Église romaine était attaquée, j’essayais vaguement, bon an mal an, de la défendre. Mais quand l’équipe de Ruquier m’a demandée de me déguiser en nonnette et d’aller vendre des sextoys à Saint-Denis, j’ai refusé. Et refuser (pour des raisons morales), c’est impossible dans le système actuel du PAF. Surtout, quand il y a 250 personnes qui poussent derrière pour obtenir votre poste. En répondant ‘non’, je me suis fait virer, mais je disais ‘oui’ à une dimension en moi que je réprimais depuis des années.
Ras le bol de taper tout le temps sur les cathos ! C’est pourquoi, en 2009, alors que sévissait une irrationnelle vague médiatique contre Benoit XVI, je me suis engagée dans une action de communication intitulée « Touche pas à mon pape ! ». Depuis, je m’emploie à réunir autour de moi des artistes catholiques afin de défendre la foi et la culture chrétiennes à travers le monde des médias. Je le dis sans ambages : pour moi, il n’y a pas de culture sans Dieu. La recherche de l’absolu est fondamentale. Et quoi qu’on cherche, on arrive toujours à Dieu.
Vous dîtes que les chrétiens catholiques romains ne sont pas assez dans les médias. Pourquoi ?
Parce qu’ils ont peur.
Peur de quoi ?
Je l’ai expérimenté pendant la vague d’agression contre Benoit XVI : ils craignent d’aller au casse-pipe ou, a contrario, d’être pris pour de gentils débiles.
La réalité, c’est qu’il y a un trio médiatique – composé de Frédéric Lenoir, Alain de La Morandais et Christian Terras – qui représente soi-disant les fidèles catholiques alors qu’il fait écran à leur expression. La réalité, c’est que la majorité des catholiques n’a pas voie au chapitre tandis que le système médiatique fait croire que le journal Témoignage crétin (sic) exprime des opinions quasi unanimes.
Quelle vision de la foi défendez-vous ?
Les gens ont besoin de revenir à l’essentiel : c’est quoi le Bien, le Vrai, le Beau ? La domination d’un discours ambiant qui conjugue marxisme, ultralibéralisme et archiconsommation impose aux gens d’être suragis par le sexe, l’accumulation des richesses et une conception matérialiste et profondément pauvre et triste de la vie.
Aujourd’hui, parler de Dieu équivaut à un discours emmerdant (sic). C’est faux ! Reste qu’il est plus que jamais temps d’échafauder de nouveaux modes d’expression sans devenir des clowns. Les cathos peinent à y parvenir, mais nous sommes quelques personnes tolérées dans le système médiatique qui souhaitons diffuser sur les plateaux aux heures de grande écoute un message fondée sur la défense de la vie, du pauvre, du faible. Tout l’enjeu consiste à trouver des mots qui ne sont pas liberticides mais qui conservent du sens.
Votre démarche se traduit-elle par l’adhésion à un mouvement politique ?
Ni droite ni gauche : Dieu ! Certes, je me réjouis qu’il existe des élus chrétiens. Cependant, le mode conflictuel et d’anathème de la politique dans l’Hexagone me paraît stérile. Et puis, au final, si le choix se situe entre une carrière et la foi, il faut avoir le courage d’être soi-même. C’est ainsi que la dimension de la vie temporelle cessera d’être de plus en plus le fardeau faussement réjouissant qu’elle devient chaque jour. Pour réformer la cité en son coeur, il faut une redécouverte de l’amour et de la vie spirituelle afin qu’une véritable vie politique puisse advenir. En attendant, aujourd’hui, je ne peux voter pour personne.
Quel avenir pour le monde alors ?
Sans conversion, il est mal parti ! J’espère dans la venue du Saint-Esprit. J’espère dans la fin des violences, de la volonté de puissance et de la continuelle recherche du pourvoir. Il est impossible de faire l’économie du retour à Dieu. Je pars du principe qu’Il m’a sauvée, pourquoi ne sauverait-Il pas les autres ? Cela passe par la culture et les médias, un discours accessible, le témoignage, etc.
Et quel est l’avenir de la spiritualité ?
L’avenir est radieux, car tout est à refaire. Cessons de nous fourvoyer et admettons que nous ne sommes pas notre propre dieu.
Nombre de personnes de droite comme de gauche considèrent qu’il y a un échec du modèle multiculturaliste. Qu’en pensez-vous et qu’elle pourrait être vos suggestions pour mieux vivre ensemble ?
Je ne sais pas en quoi consiste ce modèle : vivre tous ensemble sans modifier sa culture d’origine !?! De fait, cela ne fonctionne pas. Cela ne fait qu’alimenter les peurs. D’où une montée des populismes. Pour échapper à ces deux ornières, une seule réponse : rechristianiser la France.
Contrairement aux apparences, les divergences à ce propos sont très fortes dans l’Église catholique romaine. Entre un travailleur social et un membre de l’Opus Dei, le fossé est profond. Comment concevez-vous le rapport entre le message du Christ délivré dans les Évangiles et celui diffusé par l’institution ?
Tirer l’institution vers un modèle démocratique, politisé et social, cela ne me parle pas du tout. Je nourris une fibre solidaire et sociale, mais elle est à mille lieues d’une vision gauchiste. À mon sens, le problème est plus vaste et plus simple à la fois : les prêtres doivent s’unir pour clamer un témoignage centré sur l’avenir de l’humanité, l’avenir de la planète, la défense de la vie, la lutte contre la pauvreté matérielle, psychologique et spirituelle.
Reste que le nombre de prêtres décroit. Comment faire l’économie de recourir aux fidèles ?
À défaut ou en attendant une rechristianisation de l’Occident, il faut inventer de nouveaux tiers-ordres.
Que pensez-vous du mariage des prêtres ?
Si l’on se consacre à Dieu, on ne peut pas se consacrer à une famille. La différence entre l’âme et le corps est telle qu’on ne peut pas s’épanouir dans les deux sphères.
Toutefois, les prêtres ne sont pas moines. Du reste, ils pouvaient se marier en Occident jusqu’au célibat ecclésiastique promulgué en 1073 et l’apparition du sacrement du mariage. En outre, à l’image des apôtres, de nombreux évêques furent mariés durant le premier millénaire. L’interdiction du mariage est avant tout liée à la volonté de mettre fin à l’émiettement des richesses de l’Église entre les enfants. En quoi le fait d’être marié vous semble-t-il empêcher l’accomplissement de leur ministère ?
Précisément, parce qu’il faut au prêtre toute son amplitude intérieure pour se consacrer à son ministère. Ce que la vie familiale empêche. Il faut leur laisser leur part de sublime. L’Esprit-Saint les aide. Ils se sanctifient ainsi. C’est pour cela que je les admire. Et pour me remettre mes péchés lors de la confession, je ne souhaite pas qu’un prêtre soit marié. Autrement dit, ils n’ont pas à vivre ni dans la bouffe ni dans le cul !
Virginie, Unidivers vous remercie de votre franc-parler.
Quant à moi, Nicolas, je vous remercie de vos questions qui ont le mérite d’aller droit au but !
Propos recueillis par Nicolas Roberti
Confessions d’une catho branchée, 2011, Plon,390 pages