Le caméléon, Andreï Kourkov, un hymne décontracté à la chatoyante beauté du mélange des cultures

Alors que la France quitte l’Ukraine de l’Euro de football la tête basse, Le Caméléon est un roman du plus ukrainien des écrivains russes, Andreï Kourkov. Ce drôle de descendant de Gogol (il a fait le chemin inverse) manie l’absurde avec délectation. Une délectation telle que cet absurde devient plus plausible que la vie morne et quotidienne. L’ironie légère de Kourkov est une arme hautement efficace contre ce que Heidegger nommait le « das man », ce ON quotidien, routinier autant que moutonnier…

Depuis la découverte dans son nouvel appartement d’un livre caché dans un livre, le héros de Kourkov va suivre une ligne de vie plus que mouvementée. Tout s’acharne apparemment contre lui. Ressortissant russe installé à Kiev, attaché à la culture ukrainienne, mais sans esprit militant, il va se retrouver embarqué dans une aventure qui le dépasse. Sur les traces du poète national Tarass Chevtchenko, il va découvrir, outre les vastes et majestueuses étendues du Caucase, les petits arrangements crasses des nationalistes, services secrets, trafiquants en tout genre. Mais, au voyageur au cœur léger tout devient plus aisé, surtout lorsqu’il rencontre l’amour de façon aussi abrupte que singulière…

L’écriture fluide, très slave, de Kourkov et son art très précis pour amener des situations irréelles à une matérialité convaincante font de ce récit un hymne décontracté à la chatoyante beauté du mélange des cultures (malgré quelques longueurs). Hymne bien plus convaincant que les sirupeuses fadaises tartinées de certains livres et journaux occidentaux soi-disant engagés. En quête d’un trésor, chacun selon sa tendance, les héros de Kourkov découvrent, accompagné par le style si délicieusement désinvolte et décalé du narrateur, un tout autre aspect de leur quête :

« L’esprit national aime toutes les nations, pas seulement la sienne » (p.171)

Cet esprit, qui dans le récit de Kourkov, sent la cannelle (il y a pire) ne laissera pas de répit à nos héros qu’ils ne soient réconciliés. À moins que ce ne soit un sort jeté par Azra, le bon ange de la mort kazakhe qui, si le voyageur solitaire lui plaît se montre sous la forme d’un caméléon et s’il lui déplaît sous celle d’un scorpion. Notre attachant narrateur, Nikolaï Ivanovitch Sotnikov aura eu l’heur de lui plaire et c’est accompagné d’un caméléon (symbole, un peu facile, de celui qui s’intègre avec respect et humilité là où il se trouve) que le héros va traversé d’ébouriffants et poétiques événements.

Un livre alerte, pas rabat-joie pour un kopeck, qu’il fait bon redécouvrir dans la collection Piccolo.

Thierry Jolif

 Andreï Kourkov, Le Caméléon, Liana Levi, collection piccolo, juin 2012, 288 p., 10,50€
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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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