Cannes 2025 ou l’ombre de Gaza sur la Croisette

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Fatima Hassounah
Fatma Hassouna

Le Festival de Cannes 2025 s’ouvre dans un climat de tension éthique et géopolitique rarement égalé. Tandis que la Croisette déroule ses tapis rouges et aligne les flashs des photocalls, les projecteurs se détournent à intervalles réguliers des fictions glamour pour scruter une tragédie bien réelle : celle de Gaza. Le plan d’élimination massive de la population gazaoui mis en place par les forces israéliennes sous le commandement du Premier ministre Benyamin Netanyahou, autrement appelé génocide par Amnesty international et de nombreuses ONG et personnalités du monde culturel, sera-t-il encore relégué aux marges ? Il plane sur les sélections, les discours, les silences gênés comme un spectre moral que la diplomatie ne parvient plus à exorciser.

Le cinéma est-il encore un contre-pouvoir moral ?

En l’absence d’images directes du martyre gazoui — les caméras des cinématographes comme des journalistes étant interdites dans l’enclave par Israël au mépris de toutes les conventions internationales en vigueur — ce sont les œuvres de fiction, les documentaires et les prises de parole symboliques qui prennent le relais. L’exemple le plus poignant est sans doute le documentaire consacré à Fatma Hassouna, jeune photoreporter palestinienne tuée en avril 2025 par une frappe israélienne alors qu’elle couvrait les destructions dans les camps de réfugiés. Son film posthume, présenté hors compétition, devient malgré lui un manifeste : non pas seulement une chronique de guerre, mais un cri suspendu entre les ruines et les écrans.

La sélection officielle compte également des œuvres israéliennes critiques, dont le nouveau film de Nadav Lapid, qui prolonge sa ligne politique courageuse depuis Le Genou d’Ahed. En 2022, il avait déjà dénoncé l’occupation et les dérives d’un nationalisme qu’il qualifie de « fascisant ». Son retour à Cannes se veut frontal, dénonciateur, et profondément bouleversant.

La pression du silence

Mais si Gaza hante les pellicules, elle ébranle aussi les coulisses. Le Festival se trouve, cette année plus que jamais, sur une ligne de crête périlleuse entre diplomatie et conscience. La montée des marches d’équipes israéliennes est ainsi entourée de dispositifs de sécurité renforcés et de tractations discrètes. La direction du festival, elle, cherche le juste équilibre : ni récupération, ni effacement. Mais de plus en plus de voix dénoncent déjà le « silence complice » et l’attitude du gouvernement français, a minima la frilosité à accorder une visibilité pleine aux œuvres palestiniennes.

gaza palestine

Sur les réseaux sociaux, le hashtag #blockout2024, relancé en version 2025, invite à boycotter les célébrités ou les institutions jugées indifférentes au sort des civils palestiniens. Il s’infiltre jusqu’à Cannes, où des militants appellent à des gestes visibles sur le tapis rouge : keffiehs, discours de soutien, badges de deuil.

Une politisation assumée

Pourtant, une chose est sûre : le cinéma n’est pas muet. Qu’il s’agisse de documentaires, de fictions ou de simples apparitions militantes, le septième art endosse ici une fonction tribunicienne que d’aucuns pensaient étouffée par le glamour cannois. La figure de Fatma Hassouna devient une icône – non pas sacralisée, mais activée. Son regard à travers l’objectif, sa volonté de témoigner, rejoignent la longue lignée des artistes morts pour la vérité. Et si le Festival n’est pas un parlement, il devient, en cette édition 2025, une agora du refus. Refus de l’indifférence. Refus de l’extermination par saturation médiatique. Refus, surtout, de la logique selon laquelle la culture ne pourrait pas s’opposer frontalement au pouvoir politique.

Le cinéma peut-il dire Gaza ?

Il ne s’agit pas seulement d’un débat esthétique, mais d’une question ontique : peut-on filmer Gaza ? Peut-on en parler, en montrer la douleur, sans trahir, sans simplifier, sans instrumentaliser ? Cannes 2025 tente, malgré ses contradictions, d’ouvrir cet espace-là. Un espace d’art et de mémoire où les récits délaissés sont susceptibles encore de reprendre voix, où la fiction frôle parfois la vérité davantage que les bulletins diplomatiques. Ce que montre cette édition, c’est qu’il n’est plus possible d’enrober la guerre sous la cellophane des célébrations. Le tapis rouge est cette année tissé de sang invisible, que la lumière des projecteurs ne saurait faire disparaître.

Fatima Hassouna : une voix éteinte, un regard éternel

Parmi les films les plus attendus figure Put Your Soul on Your Hand and Walk de la réalisatrice franco-iranienne Sepideh Farsi. Ce documentaire, sélectionné dans la section ACID, retrace les échanges vidéo entre Farsi et la photojournaliste palestinienne Fatima Hassouna, qui documentait la vie quotidienne à Gaza. Le 16 avril 2025, Hassouna a été tuée avec dix membres de sa famille lors d’une frappe aérienne israélienne, un jour après l’annonce de la sélection du film à Cannes. Le Festival de Cannes a exprimé son « effroi et sa profonde tristesse » face à cette tragédie, soulignant l’importance de la liberté d’expression artistique même en temps de conflit

 Nadav Lapid : une critique cinématographique de la politique israélienne

Le réalisateur israélien Nadav Lapid présente Yes! dans la Quinzaine des cinéastes. Ce film satirique explore la société israélienne après les attaques du 7 octobre 2023, à travers l’histoire d’un musicien de jazz et de sa femme danseuse, confrontés à des choix moraux complexes.

Lapid, connu pour ses prises de position critiques envers le gouvernement israélien, utilise le cinéma comme moyen de questionner les dérives nationalistes et les tensions internes à la société israélienne.

 « Once Upon a Time in Gaza » : un thriller sur fond de conflit

Le film Once Upon a Time in Gaza, réalisé par les frères palestiniens Arab et Tarzan Nasser, est présenté dans la section Un Certain Regard. Ce thriller met en scène une histoire de vengeance dans le contexte des violences à Gaza, offrant une perspective palestinienne sur les événements récents.

 Le Pavillon palestinien : une présence affirmée

Le Palestine Film Institute revient au Marché du Film pour la septième année consécutive, avec pour mission de mettre en lumière les voix et les récits palestiniens. Dans un contexte de violences continues à Gaza, le pavillon vise à soutenir le cinéma palestinien et à préserver la narration palestinienne sur la scène internationale.

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Eudoxie Trofimenko
Et par le pouvoir d’un mot, Je recommence ma vie, Je suis née pour te connaître, Pour te nommer, Liberté. Gloire à l'Ukraine ! Vive la France ! Vive l'Europe démocratique, humaniste et solidaire !