Voyageurs sans bagage ? Oui mais pas que… NOUS NE SAURIONS CONNAÎTRE LE GOÛT DES ANANAS PAR LA RELATION DES VOYAGEURS. Marseille, mars 1941. Le cargo qui mouille dans le port s’apprête à quitter la Méditerranée pour rallier La Caraïbe, Fort de France. Jusque-là rien de vraiment extraordinaire, un navire qui est sensé faire la navette pour exporter ou apporter des vivres dans les Antilles, pour rapporter des denrées exotiques, cela se nomme le commerce et même en temps de guerre, le commerce a continué.
Oui mais… Oui mais, le Capitaine Paul-Lemerle va transporter des passagers autres que de seuls marins, que quelques quidams qui souhaitent profiter du voyage. Ce cargo ressemble étrangement à une arche qui abrite des hommes, des femmes, des vieillards, des enfants qui fuient tous la guerre pour tenter de trouver la paix outre-Atlantique. Certains souhaitent s’arrêter aux Antilles, d’autres envisagent les USA et d’autres encore se dirigent vers l’Amérique du Sud. Qui sont ces gens-là ? Des opposants politiques au régime de Vichy, des dissidents menacés de mort, des juifs bien entendu, des intellectuels… Des gens qui souhaitent laisser la France au mauvais sort que lui promettent les nazis, les collaborateurs, le régime de Vichy, avec aux commandes Pétain, Laval et toute une clique de sinistres personnages.
Ainsi de Marseille à Oran, d’Oran à Gilbraltar, du Détroit au cœur de l’Océan et jusqu’à Fort de France, le lecteur est invité à bord à vivre ces semaines de navigation aux côtés de personnages aussi inconnus qu’illustres qui séjournent les uns sur le pont, les autres en cabine, d’autres encore en cale. Et guidé souvent par un narrateur de choix, Victor Serge, l’apatride.Sur ce vieux rafiot, en fonction des aléas de la mer et de la Nature, nous tremblons ; souvent on pense à juste titre qu’on n’arrivera jamais à destination tellement cette embarcation relève d’une vieille boîte rouillée qui se démantibule vague après vague.
Aussi, le capitaine ne semble pas sûr de grand-chose même s’il en a sûrement vu d’autres. Quidams lecteurs et quidams voyageurs vont ainsi fréquenter de loin (car Adrien Bosc, avec génie, arrive à recréer les classes sociales que l’on connaît sur la terre ferme à bord dans les espaces décrits) de grandes figures de l’intelligentsia du XXe siècle : Claude Levi-Strauss, André Breton, Wifredo Lam, Anna Seghers… Certains regagneront la France, d’autres poursuivront outre-Atlantique.
Autre moment fort, le temps de transition en Martinique et les conditions dans lesquelles ces MIGRANTS sont accueillis. Cela n’est pas sans rappeler le présent brûlant qui occupe une Europe du début de notre XXIe siècle, déchirée. Le racisme et le rejet de l’autre sont au programme. Antisémitisme, racket, insultes noircissent encore le quotidien déjà triste de ces gens en danger. Parallèle pertinent et fort de la part de l’auteur. Ce qu’Adrien Bosc ressuscite dans ce roman c’est un temps d’hier qui ressemble aussi à notre aujourd’hui. Un souvenir tel qu’il brille à l’instant du péril.
Capitaine, Adrien Bosc. Éditions Stock. 400 pages. Parution : août 2018. 22 €.
Couverture : Photo bande de couverture © United States Holocaust Memorial Museum
Photo auteur Adrien BOSC © Stock Editions.
Adrien Bosc est né en 1986 à Avignon. En 2014, il reçoit pour son premier roman, Constellation, le Grand Prix du roman de l’Académie française, ainsi que le Prix de la Vocation. Fondateur des éditions du sous-sol, il est par ailleurs éditeur au Seuil.