Paradoxe vaticanesque : au moment où le Saint-Siège s’apprête à choisir le successeur du pape François, un nuage judiciaire plane sur l’un de ses anciens plus proches collaborateurs. Le cardinal italien Angelo Becciu, condamné pour fraude financière en décembre 2023, a annoncé le 6 mai 2025 qu’il renonçait à participer au conclave du 7 mai, « pour obéir à la volonté du Saint-Père ». Cette décision, rendue publique après une intense polémique médiatique en Italie, cristallise les tensions entre transparence, justice et gouvernance au sein de l’Église catholique.
Une chute spectaculaire
Originaire de Sardaigne, Angelo Becciu, 76 ans, a longtemps été considéré comme l’un des piliers de la Curie romaine. Nommé substitut pour les affaires générales de la Secrétairerie d’État en 2011, puis préfet de la Congrégation pour les causes des saints en 2018, il fut un intime du pape François qui le fit cardinal la même année. Mais à partir de 2020, tout bascule. Il est impliqué dans une enquête financière portant sur l’achat douteux d’un immeuble de luxe à Londres, payé plus de 200 millions d’euros à travers des circuits opaques, avec des fonds d’origine charitable. Gênant…
En décembre 2023, après un procès inédit tenu au Vatican même, Becciu est condamné à cinq ans et six mois de prison pour abus de pouvoir, détournement de fonds et subornation de témoins. Il a fait appel, mais la sentence l’a déjà marqué d’infamie, et provoqué son retrait progressif de la scène ecclésiale.
Un conclave sous tension
Le conclave du 7 mai 2025 devait réunir 133 cardinaux électeurs. Avec l’annonce du retrait de Becciu, ils ne sont plus que 132. Si ce nombre reste suffisant pour la validité du scrutin, sa symbolique est forte. Pour la première fois dans l’histoire contemporaine de l’Église, un cardinal condamné par un tribunal vatican pour des délits financiers renonce volontairement à exercer son droit de vote. La presse italienne, notamment Il Fatto Quotidiano et La Repubblica, s’était indignée de la possible participation de Becciu en estimant à raison qu’une telle présence aurait entaché la crédibilité morale de l’élection. De nombreux fidèles et clercs s’interrogeaient aussi : comment un homme jugé coupable de malversations au sein même du Saint-Siège pouvait-il contribuer à désigner le chef spirituel de 1,2 milliard de catholiques ?
Un révélateur d’une crise plus vaste
La renonciation de Becciu n’est pas un simple épisode judiciaire ; elle révèle les fractures internes de l’Église. D’un côté, une volonté croissante de transparence, avec des procès publics, une mise en œuvre du droit pénal vatican modernisé et des efforts de réforme impulsés par le précédent pape. De l’autre, des réseaux anciens de pouvoir, habitués à l’opacité, qui voient ces évolutions comme une remise en cause de leur position. Elle pose aussi la question de la responsabilité des cardinaux en matière de gouvernance morale. Jusqu’ici, aucune règle canonique ne prévoit automatiquement qu’un cardinal condamné pour des crimes ou délits se voie exclu du conclave. Cette lacune mériterait d’être comblée dans les années à venir à l’instar de ce que réclament certains théologiens et juristes ecclésiastiques.
Avec le conclave crucial qui vient de débuter et a pour objet de déterminer l’orientation de l’Église catholique romaine pour la prochaine décennie, l’affaire Becciu agit comme un miroir déformant mais lucide. Elle met en lumière certains efforts de réforme, mais aussi les résistances internes profondes.
Le successeur de François devra naviguer entre ces deux pôles : renforcer la transparence sans fracturer l’unité, affirmer l’exigence morale sans céder à une chasse aux sorcières dans une atmosphère plombée par des scandales sexuels systémiques. Le retrait du cardinal Becciu n’est plus qu’un simple acte personnel : c’est un signal envoyé à une Église en transition, qui cherche à redevenir crédible, non seulement dans sa parole, mais aussi dans ses actes. La transition risque d’être longue…elle pourrait l’être plus ou moins en fonction de qui sera l’heureux élu…
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