Une exposition parisienne et un catalogue décrivent avec bonheur le lien intime qui unissait la capitale au photographe Henri Cartier-Bresson. Didactique et magnifique.
« Le flâneur agité », « Un géomètre du vif », « L’oeil du siècle » autant d’expressions pour tenter de définir l’indéfinissable, mettre en mots une oeuvre unique et mondialement connue : celle d’Henri Cartier Bresson (1908 – 2004). Le catalogue de l’exposition (1) consacrée à l’admirateur des surréalistes a choisi un angle particulier pour tenter d’apporter un regard nouveau sur des décennies de quête du fameux instant décisif. « Revoir Paris », un verbe pour dire combien la capitale ne fut pour le photographe, qu’une « géographie mais pas une destination », une vie « entre les voyages, c’est là où commence et où se termine l’oeuvre, là où elle n’est jamais en pause » comme l’écrit Anne de Mondenard, directrice de l’exposition.
Surtout après la création de l’agence Magnum en 1947, sous l’injonction amicale de Capa notamment, Cartier-Bresson a sillonné le monde de l’URSS en passant par l’Inde ou la Chine. Mais après avoir déposé ses valises, l’élève du peintre André Lhote, reprend vite le chemin des rues parisiennes, pacifiques ou agitées par la guerre, une révolte d’étudiants. Il flâne, Leica en main sur les berges de la Seine, de l’Ile Saint Louis à Juvisy. Ce sont les photographies prises dans ces interstices que l’exposition et son catalogue, nous invitent à découvrir ou à redécouvrir. Dans cette présentation chronologique, de 1929 au portait d’Isabelle Huppert en 1994, des icônes sont présentes, incontournables comme des images de notre mémoire collective. La guinguette de Joinville le Pont, le portrait de Sartre, le brouillard de l’Ile de la Cité sont présents bien entendu. Mais d’autres photos, moins connues, ou même ignorées jusque là témoignent de la double sensibilité du photographe, qui rend si difficile une définition simple de son oeuvre.
Eclate à travers ses photos récurrentes en plongée d’escaliers, de descentes, de routes à peine animées par un ou deux personnages, son fameux sens de la géométrie, son obsession de mettre dans son viseur, un ordonnancement parfait du monde. La photographie des joueurs de boules au Jardin des Tuileries en 1975, entre lignes verticales et horizontales dessinées par la lumière, les silhouettes, les arbres et les grilles composent un tableau inoubliable de rigueur et de beauté.
Comme un contrepied, Cartier Bresson se classe aussi souvent dans cette catégorie si française des photographes humanistes, celle de Doisneau (présent avec un magnifique portrait complice), de Ronis ou de Izis. Dans le chapitre « Changement de cap » qui a pour sous titre « photographier, c’est mettre sur la même ligne de mire, la tête, l’oeil et le coeur », les photographies montrent comment Cartier Bresson a pressenti un urbanisme nouveau qui allait modifier profondément le rapport des hommes. « Terain a Vende » annonce tristement une pancarte devant une barre d’HLM, plantée derrière des derniers sillons tracés par un tracteur incongru. Clochards, petits métiers, amoureux des bancs publics, de nombreux documents montrent que le Leica n’a pas uniquement saisi des angles et des courbes, des ombres et des lumières. Avec son regard ambivalent, le « danseur », capable d’immortaliser Colette ou Camus avec des photographies entrées dans les livres d’histoire, peut aussi montrer la beauté d’un jeune vitrier ou d’une marchande des Halles.
Le coeur et la géométrie, les photos de mai 68 confirment qu’il a eu plus de mal à saisir la révolte des étudiants, la société en crise. Trop de mouvements, trop de personnages, trop de trop. Par son caractère statique, le fameux « Jouissez sans entraves » peint sur un mur devant un vieux monsieur éberlué, demeure la photo de cette année particulière, bien loin derrière des photos pleines de vie et de mouvements de Gilles Caron.
On ne sait le regard que porterait Cartier-Bresson sur le Paris d’aujourd’hui. Son cadrage millimétré, animé par de rares passants aurait du mal à s’organiser dans des lieux désormais envahis par la foule. La pose des célébrités serait probablement noyée par les selfies des réseaux sociaux. L’humain peinerait à s’extraire des rues en perpétuel mouvement. Peut être, en partie, entrevoyant cette évolution, a-t-il choisi de consacrer les dernières années de sa vie au dessin, passant des heures entières au Louvre à copier puis à dessiner des images de Paris. Pour boucler la boucle.
Après avoir parcouru ce catalogue, on retient finalement l’expression écrite à la fin de l’ouvrage de « flâneur entre deux rives », un entre-deux permanent entre « le reportage et l’image isolée, Paris et le reste du monde, la photographie et le dessin, l’engagement mais sans parti, la commande et son propre rythme ». À défaut d’embrasser l’oeuvre cette exposition éclaire avantageusement une rive. C’est déjà énorme.
Catalogue de l’exposition : Henri Cartier-Bresson Revoir Paris. Éditions Paris Musées. 256 pages. 40 €. Anne de Mondenard et Agnès Sire (auteur). Paris Musées (editeur). Juin, 2021 (parution). 256 pages. 40 euros.
(1) Musée Histoire de Paris-Carnavalet. Jusqu’au 31 Octobre.
Ouverture du mardi au dimanche de 10h à 18h.
Fermeture des caisses à 17h15.
Fermeture les lundis.
Plein tarif : 11€
Tarif réduit : 9€
Conditions pour les réductions et gratuités
À l’occasion de l’exposition « Henri Cartier-Bresson – Revoir Paris » (jusqu’au dimanche 31 octobre 2021), un concours est organisé : les participants sont invités à inventer un court roman graphique en s’inspirant de la photographie de l’affiche, prise en 1951 place de la Chapelle. Récit d’aventure, récit historique, récit poétique, récit humoristique, manga, science-fiction, laissez libre cours à votre imagination pour proposer votre regard sur le Paris de Cartier-Bresson, « le terrain de toutes les libertés » (Catalogue de l’exposition Henri Cartier-Bresson – Revoir Paris). Les modalités se trouvent sur le site ici.
Voyageur au long cours, Henri Cartier-Bresson (1908-2004) a traversé le siècle pour en devenir l’œil absolu, imposant partout sa géométrie poétique. Entre deux séjours à l’étranger, l’artiste n’a cessé de photographier Paris. Pourtant, il ne s’est quasiment jamais exprimé sur sa ville, celle de sa formation, de ses rencontres et de ses combats.
Publié en collaboration avec la Fondation Henri Cartier-Bresson pour accompagner l’exposition inaugurale du musée Carnavalet-Histoire de Paris rénové, ce livre est le fruit de plusieurs années de recherche sur une œuvre parisienne qui s’est écrite durant plus de soixante ans. Il invite à marcher dans les pas d’un flâneur aimanté autant par les rives de la Seine que par les marges d’une ville en perpétuelle transformation.