Ce n’était pas une mince affaire que cette réouverture de la cathédrale Saint-Pierre après 12 années de travaux de restauration. La décoration intérieure de stucs et de dorures s’était au cours des décennies couverte de poussière et la splendide basilique laissée par Monseigneur Brossays Saint-Marc en 1844 avait cruellement perdu son éclat. Tous ont magnifiquement fait leur travail. Les restaurateurs ont redonné tout son lustre à cet étonnant édifice néo-classique et Marc Feldman, administrateur de l’OSB, a concocté un concert de haute tenue.
Jeudi soir, l’introduction « a capella » de Marthe Vassalo donne une tonalité très particulière à cet événement. Il est en effet, assez inhabituel d’entamer un concert dit « classique » par un chant populaire breton. Pourtant, c’est avec aisance et un réel talent que la Trégoroise fascine le nombreux public. Son envoûtante mélopée n’est pas sans rappeler le très breton Denez Prigent. Il y a dans sa manière de communier avec le public sans aucun complexe quelque chose de puissant et d’hypnotique. Sa voix n’est pas à proprement parler une voix de chanteuse lyrique, elle n’en contient pas moins une force et une magie qui nous entraînent irrémédiablement à nous égarer dans des brumes océanes.
Clairement enracinée dans la culture bretonne, la musique du Guingampais Guy Ropartz est pour beaucoup de Rennais une découverte. Si dans le gotha de la musique son nom est bien connu, peu de gens sont pourtant capables de citer l’une de ses œuvres. Celle proposée ce jeudi soir porte un titre tout à fait en accord avec le lieu puisqu’elle se nomme « sons de cloches » ; et les trois pièces intitulées respectivement « Angelus », « glas », « cloches du soir » font partie d’un recueil des petites pièces pour piano à quatre mains composé en 1903 et que l’auteur orchestrera en 1913. Les sonorités, malgré tout un peu lugubres, y sont empreintes de douceur, d’un certain mystère et la mélodie laisse tour à tour s’exprimer le hautbois la harpe et la flûte. Le trait général de ces trois pièces est l’évidente qualité de la musique de Ropartz qui n’est pas sans évoquer César Franck, Massenet et, bien sûr, Gabriel Fauré.
La pièce qui est ensuite proposée porte le titre de « Cantique de Jean Racine ». Tous les mélomanes portent un regard attendri vers cette splendide mélodie de Fauré accompagnée discrètement par un orgue positif. Tout y reflète l’élégance française et le style incomparable de celui qui de nombreuses années plus tard composera, afin qu’il soit joué aux invalides, un très beau requiem. Les voix du remarquable ensemble vocal « Résonance » nous parviennent, lointaines, de l’arrière cœur et amplifient l’aspect éthéré de cette musique aérienne. Il est étonnant de penser que cette œuvre, à la fois si simple et si aboutie, est le travail d’un jeune musicien à peine âgé de 20 ans…
La part du lion (et non congrue) revient à la messe solennelle en La majeur pour chœur et orchestre de Luigi Cherubini. On relève une double signification dans le choix de cette œuvre. Elle fut créée pour le sacre du roi Charles X à Reims, en mai 1825 ; elle présida à la première inauguration de la cathédrale Saint-Pierre à Pâques 1844. C’est à n’en pas douter une œuvre étincelante, servie par une écriture musicale très réfléchie. On sent la patte du professeur de composition qu’était Luigi Chérubini. Des fortissimi alternent avec adresse à des périodes d’une grande douceur créant un contraste séduisant quoique parfois un peu accrocheur. Il y a dans cette musique tout le brio italien, une certaine exaltation heureusement tempérée par une influence française. Le pathos est ainsi évité, mais l’intériorité et l’émotion sincère ne sont pas toujours au rendez-vous. Il est ainsi facile d’aimer cette musique, mais pas aussi évident d’y trouver une profondeur spirituelle.
L’orchestre symphonique de Bretagne a réussi son parcours inaugural en nous offrant un concert à la taille de l’événement. Tous les pupitres, concentrés par l’importance de l’enjeu, ont répondu présents à l’appel de Darell Ang. Bouleversant dans le cantique de Jean Racine, l’OSB joue cependant un peu fort lors de l’exécution de la messe solennelle et, à son corps défendant, se trouve probablement gêné par l’acoustique particulière du lieu. Une répétition dans une église vide et l’exécution dans le même lieu cette fois bondé ne donnent pas du tout le même résultat. Les échos sont d’ailleurs clairement perceptibles lors des instants de silence qui ponctuent les différentes séquences de la messe en la majeur : Kyrie, Gloria, Credo, Offertoire, Sanctus, O salutaris hostia et Agnus dei.
Les amateurs de grande musique ont encore deux opportunités de se forger une opinion. Premièrement, en écoutant ce vendredi soir sur la fréquence de RCF (radio chrétienne en France) une retransmission du concert enregistré sur place jeudi. Deuxièmement, en se rendant à la cathédrale Saint-Pierre pour une seconde représentation des mêmes œuvres à 20 h aujourd’hui.
Si vous n’êtes pas un « fan » de musique sacrée, rendez pourtant hommage, par votre visite, au travail formidable des restaurateurs. Vous y verrez au fond de l’abside le Christ en gloire entouré de ses disciples et, à ses pieds, vous lirez le texte latin « TIBI DABO CLAVES CAELORUM » (à Toi, je donnerai les clés des cieux). Ce jeudi soir, à la cathédrale de Rennes, les cieux se sont un peu entrouverts pour nous.