C’est encore un sacré choc que nous a causé le nouveau film du réalisateur Ernesto Daranas, qui, avec Chala, a accompli un véritable chef-d’œuvre qu’il faut aller voir absolument.
C’est beau, simple, naïf, fort et émouvant. Il serait juste de dire que si ce film nous parle tant, c’est qu’il est authentique. Loin des effets spéciaux et autres fantasmagories, Chala raconte la vie terrible d’un enfant cubain, sous l’éclairage banal d’un quotidien qui se voudrait normal.
Le cinéma Cubain aurait-il quelque chose de plus ?
Le synopsis pourrait inciter à soupirer d’ennui à la perspective de recettes déjà mille fois réchauffées : un adolescent délaissé vit avec une mère alcoolique et droguée, il ne bénéficie d’aucune référence masculine et fait « bouillir la marmite » en participant à des combats de chiens. C’est auprès de Carmela, sa maîtresse d’école et de Yeni, sa camarade de classe qu’il reçoit les quelques marques d’affection qui l’empêchent de sombrer.
La lecture d’un tel résumé pourrait inciter à fuir les salles obscures ventre à terre et se serait bien dommage, cela pour plusieurs raisons. La plus évidente est la peinture exacte de cette société cubaine écartelée d’espoirs et de contradictions, qui avec une énergie et un incroyable appétit de vie semble même refuser de voir les difficultés. La caméra ne se prive pas de flâner dans les quartiers populaires, à peine sortis de la situation de bidonville et les quelques avenues plus cossues de La Havane, marquées par un passé colonial qui s’effrite paisiblement au son des boléros ou des pachangas. Les rues, hantées par les carcasses erratiques d’anciennes belles Américaines des années 50 rafistolées avec génie, servent de décor à cette touchante histoire qui ne manquera d’émouvoir le plus grand nombre.
Lorsque se resserre l’objectif, deux personnages occupent l’écran et c’est une des autres raisons qui nous ont fait adorer ce film. L’institutrice, Carméla, interprétée par la magnifique Alina Rodriguez, est un personnage aussi bouleversant qu’attachant. Elle incarne un de ces enseignants dévoués corps et âme à leurs élèves et qui n’envisagent la retraite que comme une fin au sens tragique du terme. Elle n’hésite pas à se confronter à l’autorité pour défendre bec et ongles, ce qui lui paraît digne de l’être. La lecture de sa lettre d’adieu sera d’ailleurs le fil conducteur du film. Elle a reçu pour son travail un prix d’interprétation en tant que meilleure actrice dont elle n’aura pas eu le temps de beaucoup se réjouir car Chala est sorti en France le 23 mars 2016 alors qu’ Alina Rodriguez a quitté la scène le 27 juillet 2015 suite à, comme il est d’usage de le dire, une longue maladie. Son décès a été ressenti à Cuba comme un cataclysme.
Le second personnage qui nous a proprement émerveillés est le jeune et talentueux Armando Valdés Freire. Il a reçu pour son rôle de très nombreux trophées tout à fait mérités. Du haut de ses douze à treize ans (11 dans le film) il campe avec l’exactitude et l’insolence propre à cet âge, un Chala époustouflant d’authenticité. Il est à la fois le petit dur à la peau tendre, le possible voyou tempéré par de belles et vraies valeurs d’honneur et de loyauté et aussi l’élève dévoué à son institutrice, avec laquelle il partage un amour pudique et sans limites. Il est également le pré-ado ému par la naissance de sentiments qui le troublent, mais qu’il entend dominer avec caractère, comme un petit macho ibérique. Yéni, sa petite amie, sait d’ailleurs le tenir à distance respectable et ne manque pas de lui rappeler ses devoirs et obligations. Les codes exigeants de cette société où le mot orgueil a encore tout son sens et se calque sur ces amours enfantines de manière presque comique. Il est enfin, le petit garçon en mal de père, prêt à en accepter un, pas forcément le meilleur, pour avoir le droit d’être un enfant et non pas celui qui fait marcher la maison.
Dans le monde du cinéma et de la culture hispano-américaine, Chala, une enfance cubaine, a été auréolé de nombreuses et méritées récompenses. Certes, il sera apprécié de manière différente par ceux qui dominent la langue espagnole, mais le sous-titrage ne trahit en rien la force, le caractère et la beauté des sentiments exprimés sans aucune mièvrerie. Suivez notre conseil, ne laissez pas passer cet excellent film !
Chala, une enfance cubaine (Conducta), Ernesto Daranas, Drame, 23 mars 2016, 1 h 48
Réalisation : Ernesto Daranas
Avec : Armando Valdés Freire , Silvia Águila , Alina Rodríguez
Scénario : Ernesto Daranas
Photographie : Alejandro Pérez
Montage : Pedro Suárez
Son : Osmany Olivare
Production : Mincult, ICAIC, RTV
Producteur exécutif : Sascha Verhey
Festival de Valenciennes — Grand Prix, Prix d’interprétation masculine : Armando Valdés
Festival de cinéma latino-américain de La Havane : Meilleur film et Meilleur Acteur (Armando Valdés)
Festival international de Bogota : Meilleur film
Festival Filmar en America Latina, Genève : Prix du Public
Festival de Malaga : Prix du Public, Meilleure Actrice (Alina Rodríguez), Meilleur Film, Meilleur réalisateur
Festival International du Film de Pau : Prix du Public,
Reflets du Cinéma Ibérique et Latino-américain, Lyon : Premier Prix du Public
UNICEF Award : Meilleur film enfance
Festival Internacional de Cine Fine Arts Miramar (République Dominicaine) Meilleure actrice (Alina Rodríguez), Meilleur acteur (Armando Valdés)
Festival Internacional de Cine de Brasilia Meilleur scénario (Ernesto Daranas)
Festival de Cine de Lima : Prix du public
Film Festival New York : Meilleur film – Meilleure actrice (Alina Rodríguez)
Festival de Cine de Giffoni, Italie : Meilleur film – meilleur acteur (Armando Valdés)
Huelva Latin American Film Festival (Espagne) : Prix Rabida
Festival de Goa, India : Meilleure actrice (Alina Rodríguez)
Bodega films distributeur indépendant de films
35 rue du Faubourg Poissonnière — 75009 Paris — 01 42 24 06 49 — info@bodegafilms.com
Ernesto Daranas : Né en 1961 à la Havane, il termine des études de pédagogie et de géographie en 1983. Il commença tôt à écrire et travailler pour la radio puis la télévision. En 2004, il écrit et réalise le documentaire Los últimos gaiteiros de La Habana avec lequel il obtint le prestigieux prix international du journalisme «Rey
de Espana». La même année, il réalise La vida en rosa dont la critique sociale, incroyablement surréaliste se vit offrir de nombreuses récompenses dans les festivals. Ses thèmes majeurs sont toujours, sous une forme ou une autre, la misère
ou encore l’absence du père, qui imprègnent la société cubaine. En 2008, il réalise son premier-long métrage Los dioses rotos dans lequel il traitait de la prostitution et du proxénétisme dans le Cuba d’aujourd’hui. En 2015, il réalise Chala, une enfance cubaine dans le monde complexe qu’est La Havane. Dans ce nouveau film, Cuba reste en toile de fond, mais cette fois c’est le problème de l’éducation qui intéresse Daranas vu à travers le regard d’un enfant, laissé pour compte du progrès social cubain.
«Étonnant cinéma cubain qui vient toujours contredire la vision réductrice qu’on a souvent de lui depuis l’étranger. Ernesto Daranas, usant d’une trame simple, presque linéaire et chargée d’émotion. Il se dégage de son récit un optimisme chaleureux qui émane de personnages n’oubliant jamais leur sens de l’ironie et de l’humour lorsqu’il s’agit pour eux de qualifier leurs conditions de vie. Ainsi, à ceux qui lui disent qu’elle devrait s’arrêter vu son grand âge, Carmela répond du tac au tac en faisant référence à celui des gouvernants de l’île. Pour Ernesto Daranas, il n’agit donc pas seulement
d’évoquer la conduite d’un gamin qu’on a du mal à tenir, mais aussi, et surtout, celle de tout un système qui n’arrive pas à répondre aux aspirations de ceux qui l’habitent. Mais au delà, même s’il est profondément cubain, Chala, une enfance cubaine nous parle aussi de nous, car son sujet est d’une portée universelle. »
Martial Knaebel (Directeur Artistique du Festival International du Film de Fribourg en Suisse)
Décédée d’un cancer cet été, Alina Rodríguez (1951-2015) était l’une des actrices cubaines les plus connues de sa génération. Nous reste alors Carmela, son dernier rôle pour lequel elle sera primée au Havana Film Festival de New York en 2014. Celle qui était très impliquée dans plusieurs projets communautaires (RHC) en dirigeant au jeu d’acteur des professionnels et amateurs, était aussi connue pour ses rôles dans des pièces comme Contigo pan y cebolla, d’Héctor Quintero ou En el parque du russe Alexander Guelman.
Armando Valdés : Né à la Havane en 2000, Armando est actuellement au collège. Depuis le film, il espère entrer au conservatoire national, quand il aura atteint l’âge requis. Il y a deux ans,
Armando a été sélectionné pour le film parmi plus de 7000 enfants de différentes écoles primaires et secondaires.
Pourtant, il n’a pas été un premier choix, recalé au premier tour. Une des conditions à remplir était entre autres de savoir nager, ce qui n’était pas son cas, mais l’équipe était confiante, ils savaient qu’il pourrait surmonter cet obstacle. Pendant trois mois, Armando et les autres enfants se sont préparés intensivement à la natation et à la boxe.
Cela a également inclus la formation avec les chiens et les pigeons ainsi que des travaux et des essais avec d’autres acteurs. Des acteurs professionnels ont travaillés avec lui sur
son personnage… afin d’obtenir les émotions, la démarche et le phrasé de Chala…
Un excellent dossier pédagogique à l’attention notamment des professeurs de collège est à télécharger ici.