L’instant de voir est à voir, voire contempler, aux Champs Libres du 20 juin au 24 août. De belles découvertes et un invité d’honneur : Le Fresnoy. Autrement dit, le studio national des arts contemporains de Tourcoing. Le public rennais avait déjà pu apprécier une première collaboration lors de l’exposition Beat Generation – Allen Ginsberg aux Champs Libres en 2013. Une seconde collaboration tout aussi réussie. Tour d’horizon d’une excellente production technique et artistique. Histoire(s) de voir.
Une utopie pédagogique
Née en 1997 de l’utopie du cinéaste, photographe, plasticien et écrivain français, Alain Fleischer, l’école du Fresnoy, est surnommée depuis « Bauhaus de l’électronique» ou « Villa Médicis high-tech ». Elle accueille et forme ses étudiants dans un ancien bâtiment de Tourcoing qui fut longtemps voué aux distractions populaires avant d’être repensé par l’architecte Bernard Tschumi.
24 étudiants sélectionnés (munis d’un bac +5) bénéficient de moyens techniques exceptionnels – unités de tournage et de prise de son, parc d’éclairage, studio photo, salles de post-production, etc. Un arsenal mis à leur disposition dans le but de produire des œuvres transdisciplinaires liées aux innovations technologiques les plus pointues.
Décriée lors de sa gestation et de son ouverture en raison de son coût et de son caractère jugé élitiste, force est de constater que l’utopie pédagogique de l’école du Fresnoy a réussi le pari de former des artistes à la hauteur de l’ambition initiale : conjuguer écritures artistiques et techniques audiovisuelles.
Le réalisateur Raoul Ruiz, le cinéaste Michael Snow, la chorégraphe Anna Teresa de Keersmaeker ou la philosophe Sylviane Agacinski furent de la première promotion en tant qu’ « artistes invités ». La pérennité du projet repose sans aucun doute sur la renommée et la qualité des enseignants invités à échanger avec les étudiants.
C’est ainsi que des œuvres du réalisateur taïwanais Tsai Ming-liang (Lion d’argent – Grand prix du jury à la Mostra de Venise 2013 pour Les chiens errants) comme de l’artiste française Dominique Gonzales-Foerster (Prix Marcel Duchamp 2002 dont les œuvres sont exposées au Centre national d’art et de culture Georges Pompidou, au Musée d’art de la ville de Paris ou à la Tate Modern à Londres) contribuent à la dynamique de cette exposition de 26 films, installations et ensembles photographiques aux Champs libres.
Ces œuvres – sélectionnées parmi plus de 600 déjà produites par l’école du Fresnoy et réalisées entre 1998 et 2014 – s’articulent autour de la poétique de l’eau.
Paradoxe de l’eau
Source de vie, mystérieuse et fragile, comme le note Isidore de Séville dans le livre XIII de ses Étymologies « La couleur de la mer n’est pas déterminée, mais elle change selon la nature des vents ; elle est en effet tantôt blonde, tantôt brillante, tantôt sombre. »
Elément sombre, énigmatique, l’eau héberge des fantômes, des reflets de notre propre altérité dans Coagulate de Mihai Grecu ou dans Continuum de Manon Le Roy, film tourné sous l’eau dans lequel le corps perd ses repères dans une danse lente et hypnotique.
Insaisissable, l’eau nourrit l’imaginaire dans In Silico de Léonard Barbier Hourdin ou dans les récits oraux du Bénin mis en image par Kapwani Kiwanga.
Objet de débats d’actualité autour de la pollution choisie et mise en scène dans Natural Process activation #-Arche de Hicham Berrada comme dans la série photographique Sealine de Renaud Duval qui se concentre sur le réchauffement climatique.
Allégorie du destin humain, l’eau imprègne les corps des marins comme l’explique Sandy, vieille prostituée chilienne et narratrice de Exotica, erotica, etc. de Evangelia Kranioti.
Le visiteur de l’exposition L’instant de voir aux Champs Libres est convié à une déambulation aquatique, fantasmatique et hyper maîtrisée – narrativement et techniquement. « Devant l’eau profonde, tu choisis ta vision ; tu peux voir à ton gré le fond immobile ou le courant, la rive ou l’infini ; tu as le droit ambigu de voir et de ne pas voir ; tu as le droit de vivre avec le batelier ou de vivre avec une race nouvelle de fées laborieuses, douées d’un goût parfait, magnifiques et minutieuses* ».
Exposition
L’instant de voir
10 Cours des Alliés
Rennes
02 23 40 66 00
Payant
Vernissage jeudi 19 juin, 19h
* Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, 1942
Générique de l’exposition
Commissaire d’exposition : Christophe Boulanger
Conseil artistique :
Pascal Pronnier (responsable des programmations artistiques)
Roland Thomas (directeur des Champs Libres)
Yves-Marie Guivarch (Chef de projet aux Champs Libres)
Scénographie et pilotage du projet : Ariane Cousin
Hors les murs au Musée des beaux-arts (sélection de films)
Panorama 16 – Solus Locus du 6 juin au 20 juillet 2014 au Fresnoy – Studio national des arts contemporains à Tourcoing