Plus aucun “mo’tif” pour ne pas être informés au poil sur tous les follicules pileux qui recouvrent le corps humain ! L’album documentaire Cheveux et autres poils, écrit par la journaliste Morgane Soularue et illustré par Camille De Cussac, vous embarquent dans une aventure décoiffante où tous les mystères liés à la pilosité vous sont dévoilés. À travers les prismes de la science, de l’histoire, de la musique, du sport, etc., les raisons d’être et les enjeux que présentent les poils et les cheveux sont finement démêlés dans cet ouvrage publié chez Gallimard Jeunesse.
“La petite brune”, “la grande blonde”,… Personne ne peut nier le pouvoir conféré à une chevelure. Les cheveux constituent un attribut profondément déterminant chez un être humain et ce sont souvent eux que l’on remarque avant tout autre chose. Alors accepter ce fait et prouver aux jeunes adolescents que malgré lui, la couleur, la texture, et la coupe de leurs cheveux ne définissent pas la personne qu’ils choisissent d’être dans son entièreté, voilà la mission que relèvent Morgane Soularue et Camille De Cussac à travers Cheveux et autres poils.
Mes cheveux sont lourds, souples, douloureux, une masse cuivrée qui m’arrive aux reins. On dit souvent que c’est ce que j’ai de plus beau et moi j’entends que ça signifie que je ne suis pas belle.
L’amant – Marguerite Duras
L’idée de cet ouvrage vient de Thomas Dartige, éditeur chez Gallimard Jeunesse. Initialement, il souhaitait créer un ouvrage documentaire, exclusivement sur les cheveux. Dans ce dessein, il s’est naturellement tourné vers la journaliste Morgane Soularue puisque celle-ci a fait de la presse beauté son domaine de prédilection pendant de longues années. En écoutant l’émission féministe de Morgane intitulée “Les Héroïnes” et diffusée sur la radio rennaise Canal B, Thomas s’est par la suite rendu à l’évidence : les poils aussi devaient occuper une place d’honneur dans cet album. Surtout actuellement, à la vue de l’augmentation des mouvements féministes desquels découle des changements de mentalité concernant la pilosité.
En adoptant un ton éducatif et parfois humoristique, Morgane Soularue amène ses jeunes lecteurs à se questionner sur les pratiques contemporaines et les mythes que les êtres humains ont bâti autour de ces follicules pileux. La journaliste dévoile à Unidivers les tenants et les aboutissants de ce superbe album, aussi riche en couleurs qu’en informations.
Unidivers – Comment avez-vous travaillé pour concevoir cet album ? Avez-vous rencontré des “experts” des cheveux et des poils, s’il en existe ?
Morgane Soularue – Comme j’ai travaillé pendant longtemps dans la presse beauté professionnelle, les cheveux n’ont plus vraiment de secret pour moi. À cette époque, je m’étais formée auprès de scientifiques et de techniciens qui m’avaient fourni de nombreux documents. Miraculeusement j’avais gardé ces vieux documents et je m’en suis énormément servie, notamment pour le chapitre concernant la science. L’éditeur m’a parlé du projet pendant l’été 2018 et à partir de ce moment là, tout ce que je voyais passer ayant un lien avec les cheveux ou les poils, je le notais, je gardais tout sous le coude. Je n’ai pas rencontré d’experts, car il existe très peu d’ouvrages sur les cheveux et les poils. J’ai lu les quelques livres écrits par des universitaires et j’ai vulgarisé leurs informations pour qu’elles deviennent accessibles aux adolescents. De novembre 2018 à juin 2019, en ayant un travail à plein temps à côté, j’ai donc effectué de nombreuses recherches pendant lesquelles j’ai passé des weekends entiers à chercher, à lire et à recouper les informations.
Unidivers – Connaissiez-vous l’illustratrice Camille De Cussac avant de travailler avec elle sur cet album ? Comment vous êtes-vous organisées pour créer Cheveux et autres poils ?
Morgane Soularue – Non je ne connaissais pas Camille, j’ai découvert son travail en septembre 2018 chez l’éditeur et j’ai tout de suite adoré. Ses dessins m’ont inspirée pour certains textes, notamment pendant que j’écrivais les chapitres sur le sport, la musique et la science, je m’imaginais ce qu’elle pouvait créer. Ensuite, nous avons travaillé par échanges de mails. Le plus souvent, j’envoyais les textes en premier et elle s’en inspirait pour dessiner.
Unidivers – Dans votre chapitre sur les religions, vous distinguez d’un côté les 3 grands monothéismes qui obligent les femmes à se cacher les cheveux et de l’autre, les religions comme les sikhs qui considèrent que les cheveux sont un cadeau de Dieu. Quelle est l’idée sous-jacente que vous mettez en lumière ici ?
Morgane Soularue – Les religions juive, islamique et catholique considèrent toutes les trois que les cheveux des femmes sont des objets sensuels et de convoitise qui peuvent provoquer des pulsions chez l’homme et donc qu’il faut cacher. Ce sont les catholiques qui sont les premiers à avoir demandé aux femmes de se couvrir les cheveux pour entrer dans un édifice religieux. Avec ce chapitre sur les religions, je voulais démontrer qu’aujourd’hui en France on oublie souvent l’Histoire. La polémique actuelle sur le voile de la maman qui a amené son enfant en sortie scolaire illustre bien mon propos. On débat à propos de ce voile islamique en oubliant de rappeler les traditions catholiques et juives orthodoxes. Les femmes juives sont obligées de cacher leurs cheveux sous des perruques ou des bérets. Et parce que ce n’est pas un voile, mais une perruque, une distinction est faite alors qu’elle n’a pas lieu d’être. En outre, ce chapitre sur les religions a pour intérêt de montrer que les croyances et les fois se sont, de tout temps, intéressées aux corps de l’Homme mais n’avaient pas de prise sur les cheveux (ils poussent, ils peuvent être coiffés de diverses manières…). Demander à l’Homme de “dompter” ses cheveux et sa barbe constitue, à mon sens, une façon de “dompter” la foi humaine. Mais pourquoi faire des distinctions entre hommes et femmes ? Chez les sikhs, par exemple, cette distinction n’existe pas, ils sont tous soumis aux mêmes devoirs : ne pas se couper les cheveux, car ceux-ci sont considérés comme des sources de force et de pouvoir. C’est donc ce paramètre inégalitaire, dans les monothéismes, que je voulais mettre en lumière.
Unidivers – De vos textes se dégage clairement une ambition de déconstruire les stéréotypes capillaires actuels. Pourquoi ? Avez-vous déjà été victime de « discrimination capillaire » ?
Morgane Soularue – J’ai été victime de “discrimination capillaire” à partir du moment où je suis blonde. Même si j’ai réussi à m’émanciper des clichés, je me rends compte que sans le vouloir, nous avons tous des a priori par rapport à une couleur, une calvitie, etc… La blonde, par exemple, c’est l’image de la femme écervelée ou très érotisée. Une fois j’ai vécu ce fait de façon très violente : des néonazis s’étaient adressés à moi en disant : « avec tes yeux bleus, ta peau claire et tes cheveux blonds, si on avait gagné en 45, tu serais dans une ferme de reproduction ». Mais je n’en souffre pas quotidiennement, contrairement à une amie noire qui est régulièrement obligée de dire à des inconnus : “non, ne touche pas mes cheveux !”. Heureusement, j’ai le sentiment que la nouvelle génération est éveillée quant au fait qu’il est ridicule de juger des gens à partir de leur apparence. Et cet album renforce cette idée. J’espère secrètement qu’après l’avoir lu ils se diront : “elle est avocate et a les cheveux roses ? Et alors ? Je ne vois pas où est le problème ?”.
Unidivers – Le fait que votre ouvrage documentaire soit destiné aux jeunes adolescents prouve que les mentalités évoluent. Il y a encore quelques années, il était impensable de laisser un enfant décider de sa coupe de cheveux ou de sa pilosité. Pensez-vous que les mentalités évoluent assez vite concernant ce sujet ?
Morgane Soularue – Je ne sais pas si c’est une question de vitesse parce que lorsqu’une idée est imposée trop rapidement, cela ressemble à un phénomène de mode. En revanche, je me dis que c’est plus par une sorte de “distillation quotidienne” que les mentalités peuvent changer. Par exemple en répétant régulièrement aux enfant : “tes poils sont là pour te protéger. Plus tu retarderas l’envie de t’épiler, mieux ce sera pour ta peau. Ou en tout cas, fais ce que tu veux avec. S’ils te gênent, tu peux les enlever sinon, garde les et trouve des réponses aux réflexions qui pourront t’être faites.” Quoi qu’il en soit, je suis ravie de ce qu’il se passe parce que ça y est, les poils et les cheveux ne sont plus des sujets tabous ! Et selon moi, des changements commencent à s’opérer : certaines jeunes filles assument entièrement de ne pas s’épiler du tout et portent les cheveux très courts. À l’inverse, de plus en plus de garçons trouvent de la satisfaction à s’épiler et se colorent les cheveux en rose. Les jeunes générations se rendent compte que tout est possible et envisageable alors qu’il fut un temps où il était impensable de sortir avec un poil oublié sur une jambe ou sous une aisselle.
Unidivers – Et vous, avez-vous déjà réalisé ou eu une envie de “folie capillaire” ?
Morgane Soularue – Je rêve du “half-hawk” de Rihanna : me raser un côté, mais avoir mes cheveux longs qui retombent par-dessus. J’ai eu la “coupe à la brosse” dans les années 80 et j’ai déjà fait des colorations au henné, mais c’est tout. Et puis, quand j’étais enfant, je n’avais pas vraiment le choix, ma mère m’imposait mes coupes de cheveux. Après, peut être que d’assumer mon blond, de l’éclaircir et de le revendiquer, c’est aussi quelque part une action féministe qui consiste à dire : détrompe-toi sur la blonde, ce n’est pas une écervelée !
Unidivers – Si les adolescents devaient retenir une “morale” de Cheveux et autres poils ?
Morgane Soularue – Chacun est libre de faire ce qu’il veut avec ses cheveux et ses poils ! Rien ne sert de juger ceux qui assument de porter des coupes, des couleurs ou même des textures démentes et fantaisistes. Les hormones adolescentes provoquent souvent des cheveux gras et bizarres. Dans cet album je leur explique pourquoi cela se produit et ainsi, je veux leur signifier que ce n’est pas la peine d’attacher de l’importance à ce genre de choses. J’espère également que ce livre va permettre aux enfants de se rendre compte que ce n’est pas un hasard s’ils ont des cheveux sur la tête et qu’ils sont très précieux ! Comme je l’écris à un moment dans le livre : les cheveux ont des super-pouvoirs qu’il ne faut pas négliger ! Par exemple certaines recherches s’accordent pour dire que les cheveux humains pourraient être utilisés pour dépolluer les océans. Enfin il y a un petit message sous-jacent dans Cheveux et autres poils : peut-être que d’avoir une légère différence capillaire permet de forger le caractère. Tout comme le fait d’être blonde d’ailleurs (rires) !
Interview de Morgane Soularue dans TVR à retrouver ici.
L’illustratrice Camille De Cussac est diplômée de l’école de Condé à Paris et fait partie du collectif d’illustrateurs Jaune Cochon. Son travail est souvent très coloré et humoristique. Son Trumblr : ici et son Instagram : ici.
Cheveux et autres poils – 19,50 € chez Gallimard Jeunesse
Texte : Morgane Soularue
Illustrations : Camille de Cussac
Collection: Albums documentaires
84 pages – 240 x 335mm
ISBN 9782075124539
Code distributeur J01880
Date de parution 03-10-2019