Christian Charrière > Fils et combattant de l’Ombre

 Face à la malédiction de l’Histoire des Hommes et à nos propres démons, Christian Charrière (1940-2005) a bâti une dramaturgie poétique de la transfiguration.

Christian CharrièreLes vrais amants de la Vie saluent chaque matin l’âme du monde, cette grande mère divine, cette « impératrice universelle », que les Indiens nomment Shakti… un fluide mystérieux, « une jouvence d’amour, une vapeur chaude ».

Mais cette shakti a déserté notre monde. Elle ne s’est pas remise de Lumières par trop aveuglantes, d’une Raison par trop objectivante, d’une Transparence par trop réductrice. Elle n’eut alors de refuge que le recours aux forêts où elle confia son dépôt sacré. On l’avait acculée à l’ombre. L’ombre la prit sous son aile, promettant de la venger.

De temps en temps, cette fille de l’analogie, de nos sens subtils et des paysages verdoyants, sort de son antre. Elle montre alors, à ceux pour qui la nostalgie des origines n’a pas été encore occultée, sa parure scintillante et son corps de princesse. Choisissant ses montures, elle revient jusqu’à nous, sous couvert de Romantisme allemand ou de littérature fantastique. Ses cavaliers, aux grands horizons intérieurs, « vagabonds de l’absolu » s’en revêtent comme armure protectrice, semant la désolation parmi les « vieilles bûches », les « étouffe-merveilles » et autres « étrangleurs de licornes » que sont les adeptes de la bovine society, des systèmes totalitaires et des infra-cultures. Ils clament que nous vivons les temps opaques de la solidification ; et ce, d’abord en nous-mêmes.

La Carrière de Suzanne - Poster FranceAinsi quand il s’agit de monter au « créneau du jour », instruit par ses songes et ses anges, « nos jumeaux célestes », il s’agit de s’armer du trousseau de clés du symboliste et du sens de l’émerveillement. « Le monde est un miroir. Une meule pour ton outil… » dit l’alchimiste. Les signes sont autant de rendez-vous à décrypter et l’argile de nos vies autant d’or à sceller.

Le camp de base est l’amour. Notre soleil intérieur, la connaissance de soi. « Il n’y a pas d’autre réalité que le vide plein de Soi. » Pour y accéder, il nous faut « baptiser » l’ombre en refaisant le chemin de la chute, en vivant l’enfer de cette âme du monde délaissée, car « dans le noir, est la voie ».

La méditation, l’invocation des puissances tutélaires et protectrices, la juste respiration, le silence, et l’obéissance au destin personnel, toutes choses de l’ordre de l’intime, briseront nos carapaces et mettront à mort nos vieilles peaux.

Ainsi « l’être de diamant » qui est au centre de nous sera libéré. Le mental agité et discursif laissera la place à l’intuition des principes et à la prière ininterrompue. L’étincelle divine qui sommeille en notre for intérieur pactisera de nouveau avec le cosmos… « Pour celui qui prie dans son cœur, le monde entier est une église. » (Silouane de l’Athos)…

Cette énergétique de l’adoration s’origine dans nos patries célestes, dont la naissance à ce monde nous a exilés et qu’il s’agit de réintégrer.

La carte invisible de Christian Charrière représente un pays de saveurs et de savoir. Un monde dont les couleurs nous font oublier qu’elles ne sont que les souffrances de la lumière. Dans les visions de brillance paradisiaque de l’auteur des Vergers du ciel, la connaissance est d’or et le supra-sensible, d’azur ; l’amour y est empourpré et les cités sont d’émeraude. C’est un haut-pays profond où de jeunes filles songeuses, à la longue chevelure blonde, parlent doucement et mystérieusement sous les tilleuls, où l’on n’entend que le murmure des sources, l’allégresse des feuillages de l’intermonde ou encore, « les chansons de marche d’une troupe d’enfants derrière les collines. »

De même, flotte au-dessus de nous, « pareille aux cités fantastiques du songe, une France subtile… Une France ineffable, toute bruissante de chants d’église, de claquements d’oriflamme, de galops de cavalerie et des forêts agitées par le vent. » Nos chemins tracés sur le sol correspondent aux voies à jamais tracées dans le ciel.

Chaque nation, pour Christian Charrière, est une aire de décollage : « par son égrégore et les grandes figures archangéliques qui le couronnent, le Royaume de France nous propose un chemin de transfiguration. Qui voit le soi voit le Roi ; qui voit le Roi voit son centre ! » Mais l’âme de la France « cette vallée verdoyante de la féminité du monde dédiée à Notre Dame »  lui apparaît fourbue.

Et comme toutes les vérités principielles, Christian Charrière nous les a confiées avec une langue prolifique en jeux de mots et en images fruitées, restituant ainsi à l’écriture, cet art de la main, son aura magique. Une écriture dont les mots, « pollen bleu des lèvres », ne sont que vibrations.
Les citations de ce texte sont extraites des Vergers du ciel, du Baptême de l’ombre et de L’Âme du monde.

Olivier Gissey

Pour la biographie de Christian Charrière, on peut se reporter avec profit à Wikipedia.

Né(e) : 1940
Mort(e) le : 11 sept. 2005

Né en pleine débâcle, d’un père officier de marine et d’une mère bretonne qui mourut l’année suivant sa naissance. Elevé en Franche-Comté, il fit ses études au lycée de Besançon puis à l’institut d’études politiques de Paris. Après une prep-ENA avortée il a couru le monde : professeur de français en Laponie, journaliste à Combat, il fit son service militaire dans la coopération au Cambodge où il parlait sur les ondes de Radio Phnom-Penh. Chargé de la propagande politique du royaume Khmer, il a assisté à la naissance du phénomène Khmer rouge.

Pendant de nombreuses années il a cherché fortune sur les chemins de Katmandou et de Sourabaya. Correspondant de guerre au Vietnam, il a suivi, chez les Marines de la Table de Marbre, le siège de Danang. Installé à Bali, il s’est consacré à la littérature fantastique. De retour à Paris, toujours journaliste à Combat, il a couvert pour ce même journal les événements de mai 68, ce qui lui a donné la matière de son premier livre, le Printemps des enragés. Prix du Quai des orfèvres en 69 pour Dites-le avec des fleurs (qui fut ensuite porté à l’écran, avec Francis Blanche comme acteur principal) il a publié une série de romans fantastiques qui, pour la plupart, furent en lice pour les prix littéraires, notamment Mayapura, Les vergers du ciel, Le Sîmorgh publiés chez Fayard et réédités, comme La forêt d’Iscambe, chez Phébus.

Journaliste au Quotidien de Paris, il a tenu une chronique tous les jours consacrée à la télévision. Le Salut à l’âme du monde est transformé en maximes, le “best of” de ses chroniques. A partir de 1982 et d’un livre nommé le baptême de l’ombre, édité chez Lattès puis réédité par la Table ronde en ansformé 90, il s’oriente vers la symbologie traditionnelle et l’interprétation des rêves. Plusieurs livres sortiront de cette aventure intérieure, dont en 90 Le Maître d’âme publié par Albin Michel et, en 96 et 97, une série d’ouvrages chez Pygmalion sur les enseignements secrets et les rêves.

Critique littéraire et chroniqueur au Figaro, il a pendant plusieurs années suivi le tour de France et travaillé, aux côté de Jean-Marie Rouard, sur les derniers romans dont on parle. Il a animé des stages sur le développement personnel et la connaissance de soi.

Bibliographie
•    Le Printemps des enragés (Fayard 1968)
Prix des Enfants Terribles 1968
•    Dîtes-le avec des fleurs (Fayard 1969, Magyar Könivklub 1997)
Prix du Quai des Orfèvres 1969
Film de Pierre Grimblat avec Francis Blanche
•    L’Enclave (Fayard 1971)
•    Mayapura (Fayard 1973, Phébus 1992)
•    Les vergers du ciel (Fayard 1975, Phébus 1992)
•    Le Sîmorgh (Fayard 1977, Les deux Océans 1991))
•    La Forêt d’Iscambe (Lattès 1980, Livre de poche 1984, Phébus 1993 et 1999)
•    Le baptême de l’ombre (Lattès 1982, La Table ronde 1989)
•    L’œil d’émeraude (Harriet/Albatros 1986)
•    Le Corbeau Rouge ou la seconde mort de Leonid Ilitch (Lattès 1987)
•    Le Salut à l’âme du monde (La Place Royale 1987, l’Arbre d’or)
•    L’Indonésie- Voyage à travers l’archipel (Didier Millet 1990, Gallimard Jeunesse 1990, Ed, du Pacifique 1997)
•    Le Maître d’âme, rêves, signes, visions (Albin Michel 1990)
•    Les carnets de l’ombre :
1-    Les maîtres secrets du désir (Pygmalion Mai1997)
2-    Les maîtres secrets de l’appel (Pygmalion Nov. 1997)
•    Les rêves et votre destin (Pygmalion 1998)

 

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