Non, les élèves ne sont pas tous des angelots facétieux assoiffés de connaissance. Non, les parents ne sont pas tous des éducateurs perfectionnistes désireux de transmettre des valeurs fondamentales à leurs rejetons. Non, les profs ne s’habillent pas forcément à la CAMIF ! Princesse Soso, qui rêvait d’être trapéziste ou éleveur de bisounours, est finalement devenue professeur d’anglais. Catapultée dans un collège de campagne, elle se retrouve quand même en plein cirque, aux premières loges pour étudier le jeune, cet être mystérieux et fascinant, et tout son entourage… Chaque année, ça recommence ! Un an à jongler entre ceux qui aiment s’entretuer à coups de compas, ceux pour qui l’école est une annexe de Meetic et les Choupi-trop-mignons. Un an de rires, de larmes et d’incompréhension mutuelle, auxquels participent les parents et le personnel de l’Éducation nationale. Un an où tout le monde dira encore que les profs sont des feignasses-tortionnaires-payés-à-rien-foutretoujours-en-vacances-ces-lopettes ! Une année scolaire d’émotions, de critiques du système et de coups de colère, décrits dans ces pages avec un humour corrosif. Le collège est une jungle. Voici un accès backstage pour découvrir l’envers du décor.
À l’heure où nos chères têtes blondes viennent de reprendre le chemin de l’école, nous ne pouvons que vous conseiller ce livre totalement jubilatoire, paru en 2010, mais qui n’a pas pris une ride et qui égratigne quelque peu notre bonne vieille éducation nationale, mais le fait avec un humour et une intelligence rare.
Pas de grande littérature ici, on est dans le concret. Et le concret, ce sont des élèves qui savent à peine lire (ni parfois parler) le français et qui donc sont mal barrés pour apprendre 3 mots d’anglais. Des élèves qui n’en ont rien à faire de l’école, qui ne sont pas motivés, que rien n’intéresse, qui sont parfois violents, souvent insultants, continuellement insolents. Des élèves qu’on aurait envie de gifler plutôt que de leur enseigner quoi que ce soit. Oh bien sûr ils ne sont pas tous comme ça, heureusement ! Il en existe de biens mignons, intelligents, motivés, sérieux, travailleurs, de vrais choupis qu’on aurait presque envie d’adopter… Mais dans cet établissement de campagne, ils sont rares.
Princesse Soso parle de son quotidien et écrit comme elle parle, transmettant par là même l’énergie (le stress) de ses journées de prof et nous faisant ressentir l’ambiance de sa classe. Au départ, cette jeune prof trentenaire a partagé ses heurs et malheurs professionnels dans un blog, et nous avons donc affaire à du vécu quotidien, du frais, du sanglant parfois, de l’affectif. Ses chroniques la suivent dans ses différentes classes tout au long de l’année, pour nous montrer la progression (ou reculade) de chacun.
Le lecteur fera connaissance des improbables Kevvin (qui s’écrit bien avec deux v), de Cynthia, Manolito, Brianna, Prescillia et beaucoup d’autres qui sont tour à tour insupportables ou attachants, souvent désarmants, et dont bon nombre font pitié. Quel avenir en effet envisager pour ces enfants (car rappelons, nous sommes au collège, ce sont bien des enfants, même s’ils veulent se donner des airs d’adultes) qui ne sont pas aidés par leur milieu familial, –c’est un euphémisme, – et que l’école ne peut pas élever à la place de leurs parents ? Car voilà un problème que souligne Princesse Soso. L’école est là pour éduquer, oui. Mais pas pour élever. Pas pour enseigner le b.a. ba de la politesse, de la vie en société ou de la façon de se tenir, pas pour apprendre à dire bonjour ou merci… L’école n’est pas le sauveur de tous les pauvres gamins qui n’ont pas reçu d’éducation à la maison, elle a bien déjà assez de mal à leur faire apprendre quoi que ce soit, l’école n’est pas miraculeuse non plus pour ceux qui ne veulent rien y faire… et l’école n’est pas coupable…
On comprend aisément en lisant ce livre la baisse de motivation de certains profs, leur découragement, leur énervement parfois… Ce métier est une vocation, mais encore faut-il que cette vocation soit nourrie, soutenue, aidée, ce que ne semblent pas faire les instances supérieures trop obsédées à faire passer des lois bureaucratiques qui n’ont que peu de choses à voir avec le terrain. Mais ne croyez pas que Princesse Soso passe son temps à cracher sur son dur métier ! Pas du tout, au contraire, elle l’adore, ce métier, et c’est pourquoi cela lui fait si mal au cœur de voir l’école se dégrader et ne plus remplir son rôle.
J’ai été impressionnée par la maturité des réflexions de l’auteur, qui bien que toute jeune et n’ayant pas encore eu d’enfant au moment où est paru son livre, a des idées sur l’éducation qui me semblent tout à fait pertinentes, de même que ses réflexions sur le « mammouth » et les réformes bonnes ou mauvaises qu’on pourrait instaurer pour moderniser l’éducation nationale et la rendre plus adaptée au monde d’aujourd’hui. Elle dit tout haut ce que beaucoup pensent sans oser avancer un commentaire, elle critique ouvertement, mais propose des solutions et on aime cette langue qui n’est pas de bois, à laquelle on est peu habitué sur le sujet. Elle n’a même pas peur du méchant Ray Ktora !
Alors c’est un peu caricatural, certes, mais c’est aussi fait pour ça. Pour qu’on regarde, qu’on écoute, qu’on prenne conscience. Qu’on arrête de faire les autruches parce que nous sommes des privilégiés qui mettons nos gamins dans de bons collèges, de bons lycées, parce que chez nous, ça ne se passe pas comme ça, ils filent droit, nos marmots ! On en rit, beaucoup, et dans le même temps on est atterré. Eh oui, c’est la vérité vraie, à peine augmentée avec une petite dose d’humour (une bonne dose, à vrai dire) pour que ça soit digeste, mais rien n’est inventé, c’est du vécu pur et dur. Et comme le dit si bien l’auteur, mieux vaut en rire, parce que sinon c’est à pleurer, comme les bulletins qui sont désespérants en version officielle et à hurler de rire en version officieuse.
Vous en apprendrez un bout sur l’argot des écoles, les expressions, les modes, le langage SMS (mais tout ça a dû changer depuis, ça va vite chez les djeuns), sur la manière aussi dont ces jeunes se voient, se projettent dans l’avenir. chômach’, assedic, allocs… Vous découvrirez l’hallucinante vulgarité du langage, de la gestuelle, de l’habillement, dont on se dit que ce n’est pas étonnant qu’elle entraine la violence, et des déviances en tous genres. Et puis pour vous défouler, vous « languedeputerez » avec vos amis pour débriefer cette lecture vraiment atypique. Sans oublier jamais que même si certains passages paraissent totalement surréalistes, nous sommes pourtant bien dans « la vérité si j’mens » et qu’il n’est possible de tout raconter qu’avec un humour acharné.
Grinçant, hilarant, décapant, édifiant, énervant parfois, étonnant en tout cas, Chroniques d’une prof qui en saigne est un livre à lire !
Entre les claques qui se perdent et les procès qui se gagnent, l’école va mal et notre crédibilité s’estompe un peu plus chaque jour. Quand les parents fixeront de véritables limites à leur enfant et seront du côté de la connaissance et du respect, quand nous aurons plus de moyens humains pour encadrer, encourager, surveiller les élèves, quand la violence ne sera plus la norme sociale, peut-être l’école retrouvera-t-elle son aura d’autrefois.
Alix Bayart