Le nouveau film Fatima de Philippe Faucon « Fatima » est le magnifique portrait d’une femme d’origine maghrébine – Fatima – qui élève seule ses deux filles : Nesrine et Souad. Avec des scènes très simples, le réalisateur dépeint le quotidien de cette femme.
Entre les ménages qui lui permettent de payer les études de ses filles, le travail à la maison en particulier la préparation des repas, le soutien matériel et psychologique de sa fille aînée et l’éducation difficile de Souad. Il ne lui reste plus de temps pour elle, ou si un peu, le soir, dans son lit, où elle écrit. En effet, le film est inspiré des écrits de Fatima Elayoubi « Prière à la lune » et « Je peux marcher seule ». Comme pour cette femme, la langue écrite semble être le seul moyen pour Fatima d’évacuer la pression et de vivre mieux. C’est un paradoxe pour elle qui a tant de mal à communiquer avec ses filles. En effet, Fatima parle mal le français et leur parle donc en arabe alors que celles-ci lui répondent en français.
Fatima, un magnifique portrait de femme en lutte
Fatima est non seulement un personnage de film, mais avant tout une personne bien vivante. Elle se consacre à ses filles et respecte les traditions. Elle sait rester discrète et à la place que la société lui a imposée, même si elle a envie parfois de montrer qu’elle en sait plus que son entourage ne le pense comme ses employeurs. « Je comprends bien madame, répète-t-elle. » Fatima attire la sympathie du spectateur et, tout au long du film, nous partageons ses joies, mais aussi ses peines, car Fatima souffre, dans sa chair comme dans sa tête. Lorsque la pression devient trop forte, c’est son corps qui réagit et qui dit non. Son bras fracturé refuse de guérir tant que la souffrance psychique est présente.
Le portrait est d’autant plus réussi que le réalisateur nous offre deux autres personnages de femme : Nesrine et Souad. Ses deux filles symbolisent chacune à leur manière la lutte des femmes d’origine étrangère pour trouver une vraie place dans la société et être libres. Nesrine, l’aînée a choisi la voie des études et de la réussite scolaire. Elle semble docile, refusant toute sollicitation extérieure, mettant toute son énergie dans la mémorisation de ses cours de médecine, mais elle n’a pas le droit à l’erreur. Comme sa mère, son équilibre est fragile. Il suffirait de peu de choses pour qu’elle bascule dans un comportement moins conforme comme lorsqu’elle laisse poindre sa hargne envers les voisines jalouses de sa mère.
Si Nesrine est douce, à l’inverse, Souad, la cadette est révoltée. Elle refuse tout, les études, la culture des femmes musulmanes (en particulier sur le plan vestimentaire), mais aussi la condition qui lui est promise si elle ne réussit pas scolairement. Elle semble être dans une impasse, ce qui angoisse sa mère, d’autant plus que Souad lui reproche son attitude. Elle considère sa mère comme « une ânesse », esclave du système. Que pourra-t-elle devenir si elle n’est pas plus conciliante ?
Dans son film Fatima Philippe Faucon réussit non pas un, mais trois portraits de femme. Il explique dans un entretien donné au mensuel de cinéma « Positif » son choix : « Les personnages féminins ont ceci d’intéressant qu’ils subissent un regard réducteur. Leur place leur est assignée, et ils ont à affirmer autre chose que ce dans quoi on les enferme. C’est là que je me retrouve avec eux. Mais on peut le dire tout aussi bien de l’adolescence : c’est un moment où l’on doit affirmer qu’on est quelqu’un d’autre que celui dans lequel les autres vous enferment. C’est là que tous mes personnages féminins se rejoignent : ils doivent se battre pour ce qu’ils sont. Pour affirmer leur place. » (n° 656 octobre 2015).
Les hommes sont réduits à des rôles très secondaires comme le père qui est là pour acheter la paire de baskets à la mode et rappeler la morale à sa fille « tu ne dois pas parler à ta mère comme cela ! ». Quant aux jeunes ados, ils ont vraiment un rôle de « bouffons » peu efficaces pour séduire les filles et se trouver une copine. Seul, un jeune garçon qui tombe amoureux de Nesrine échappe au massacre. Sa discrétion et son sens de l’humour semblent convenir à la jeune fille. Avec lui, elle semble pouvoir conserver sa liberté.
Dans les différents entretiens qu’il a accordés, Philippe Faucon évoque deux cinéastes qui l’ont marqué : Robert Bresson et Maurice Pialat. C’est vrai qu’on retrouve dans « Fatima » la concision des scènes tournées par Bresson. Le plan dure juste le temps qu’il faut et ne montre que l’essentiel. Le film est d’ailleurs très court : 1h19. Philippe Faucon évite la sécheresse que cette précision pourrait entraîner en donnant, comme le faisait d’ailleurs Pialat, beaucoup de vie et d’humanité aux scènes dialoguées. Il est servi pour cela par trois comédiennes de grand talent, surtout qu’il s’agit pour certaines d’une première expérience cinématographique.
Toutes les scènes du film Fatima, même si elles présentent des moments du quotidien sont très riches, car elles permettent d’aborder des thèmes centraux de notre société. Comme pour son film précédent « la désintégration » qui évoquait la dérive djihadiste de jeunes d’origine maghrébine, Philippe Faucon aborde la question de la place des enfants d’émigrés dans notre société, de leur difficulté , d’une part à chercher à adopter un mode de vie moderne plutôt européen et d’autre part, à conserver la culture d’origine de leurs parents. Le problème est certainement encore plus aigu pour les adultes. Ils doivent assumer leur propre vie souvent dans des conditions difficiles, mais surtout, garder le contact avec leurs enfants, éviter à tout prix la rupture comme c’était le cas dans le film précédent « la désintégration ». La grande question posée par le film reste : comment aider ses enfants à s’épanouir et à voler de leurs propres ailes dans une société en mutation ? Philippe Faucon nous apporte quelques éléments de réponse au travers de la lutte de Fatima pour sa reconnaissance en tant que mère et femme.