CINÉMA. TOMBÉ DU CIEL, ENTRETIEN AVEC WISSAM CHARAF

Comédie dramatique, portrait d’un Liban frangible Tombé du ciel (2016) était projeté à Rennes lors de la 31e édition du Festival Travelling. À l’occasion, le réalisateur libanais Wissam Charaf a accepté de répondre aux questions d’Unidivers.

Tombé du ciel Omar est garde du corps à Beyrouth, où il vit avec son père qui perd la boule. Leur petit quotidien tranquille se voit chamboulé par le retour inattendu du grand frère, Samir, ancien militaire présumé mort. Après 20 ans d’absence, ce dernier doit se confronter à un Liban qui s’est reconstruit, sans lui.

Réalisateur, cameraman et journaliste libanais, né à Beyrouth en 1973, Wissam Charaf s’installe à Paris en 1998. Il collabore régulièrement avec Arte, et couvre de nombreuses zones de conflits (Liban, Afghanistan, Corée du Nord…). Après avoir réalisé de nombreux courts-métrages (Hizz Ya Wizz en 2004, L’Armée des fourmis en 2007), Tombé du ciel (2016) est le premier long métrage de fiction de Wissam Charaf. Entre poésie fantomatique, quête d’identité et bazooka, il dresse un portrait burlesque d’une capitale libanaise en fragile reconstruction. Tombé du ciel était projeté à Rennes lors de la 31e édition du festival Travelling sur Beyrouth. Le réalisateur multicasquettes a accepté de répondre à nos questions.Wissam Charaf Unidivers – Quel est votre parcours ?

Wissam Charaf – J’ai été successivement animateur radio, monteur, cameraman, journaliste, assistant-réalisateur et réalisateur. Certaines fois, tout en même temps !

Unidivers – Votre profession de journaliste oriente-t-elle vos choix dans vos films ?

Wissam Charaf – Il n’y a vraiment pas d’orientation, les deux professions et les images que je produis dans chacune d’entre elles sont aux antipodes les unes des autres. En journalisme on est dans la captation d’instants sur lesquels on n’a aucun contrôle, on se contente d’en être les témoins. Quand je fais de la fiction, je crée des situations, je les contrôle complètement et je les capte  — l’exact contraire du journalisme. Je pense que mes fictions me reposent du journalisme et vice-versa.

Unidivers – Comment est née l’idée de Tombé du Ciel ?

Wissam Charaf – L’idée est née de plusieurs petites idées de scènes, c’est ainsi que j’écris en général. Je suis incapable de partir d’une seule idée et de la développer. Je voulais globalement parler du Liban contemporain, donc dans les années 2005-2006. J’avais en tête la vision d’un homme qui revient dans la montagne enneigée et qui voit au loin la ville de Beyrouth (les premières images du film, ndlr). L’idée également d’un garde du corps d’une chanteuse qui se lance dans la politique. Leurs retrouvailles ou leur collision… Ce sont des fragments très épars qui ont pris beaucoup de temps à se créer, et surtout à se lier pour faire une histoire à peu près homogène.

Tombé du ciel

Unidivers – Pourquoi avoir choisi cet angle burlesque et minimaliste pour évoquer la notion de refoulement ? Quelle est votre scène favorite ?

Wissam Charaf – Je ne choisis pas un angle, c’est ainsi que je m’exprime, c’est très organique, je n’y pense pas. Il y a des cinéastes que j’aime beaucoup : Keaton Bresson, Kaurismaki, Straub, Monteiro, qui sont dans l’épure. Je les aime parce que leur langage me parle, mais je ne peux pas vraiment l’expliquer. Parler du refoulement sur ce ton burlesque et minimaliste m’est venu naturellement, probablement parce que j’aime rire des choses plutôt que d’en pleurer. Je ne suis moi-même pas très causant quand il s’agit d’exprimer mes sentiments.

Ma scène préférée est probablement celle des retrouvailles entre les deux frères et le père qui a perdu la boule. Cela résume le propos et le ton du film.

Tombé du ciel

Unidivers – Tombé du ciel était votre premier long métrage de fiction, projetez-vous d’en faire un second ?

Wissam Charaf – Oui je projette de faire un second, un troisième et puis beaucoup d’autres ensuite… à condition de trouver des financements.

Unidivers – Le format 4:3 vous semble familier, d’où vient ce choix artistique ?

Wissam Charaf – Le format 4/3 est également une de ces choses que je ne peux pas vraiment expliquer. À part de dire que je trouver ça plus beau que le format rectangulaire. Je viens de la télé, donc du 4/3, c’est ainsi que j’ai appris à cadrer et ça m’est resté.

Unidivers – Le Liban a connu ces derniers temps de très fortes crises depuis la fin de la guerre civile. Le cinéma est-il, selon vous, une échappatoire politique ? … peut-on tout dire au cinéma ?

Wissam Charaf – Si vous voulez dire que c’est un moyen d’exprimer son avis politique et qu’on ne pourrait pas le faire autrement pas sûr. Le cinéma est un entre-deux : on n’est pas (encore) en dictature au Liban, par contre la censure existe au cinéma dans ce pays. Aujourd’hui avec le mouvement de contestation que connait le Liban, la parole s’est libérée dans la rue davantage qu’elle ne l’a jamais été au cinéma.

Tombé du ciel

Unidivers – 1982 d’Oualid Mouaness, était sélectionné pour représenter le Liban aux Oscar 2020. Ce film n’avait pourtant toujours pas trouvé de distributeur (réduisant, de fait, sa visibilité). Trouvez-vous qu’il y a un refus d’ouverture de la part du cinéma occidental ?

Wissam Charaf – Je ne sais pas s’il n’a pas trouvé de distributeur seulement aux USA, en France, en Europe, au Liban, tout à la fois ? Je ne pense pas qu’il y ait un refus d’ouverture, il y a surtout le règne de l’argent dans les salles et c’est pareil partout au monde. Un film en langue étrangère qui parle du Liban a moins de chance de trouver un distributeur en Occident qu’une comédie romantique locale parce qu’il rapportera moins d’argent. Et parfois une sélection aux Oscars n’est pas suffisante pour intéresser des distributeurs européens par exemple, parce que les Oscars correspondent à la vision américaine, pour eux. En tous cas je lui souhaite de trouver bientôt un distributeur, je suis sûr que son film le mérite.

Unidivers – Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer derrière la caméra ? Auriez-vous trois artistes (toutes disciplines confondues) à conseiller à nos lecteurs ?

Wissam Charaf – Je suis tombé là-dedans en voyant des films. Certains films comme la Comédie de Dieu (Monteiro), Au hasard Balthazar (Bresson), Sicilia (Straub) m’ont donné envie de réaliser de belles choses. Les 3 artistes que je conseillerais seraient Bresson, Hergé et Zidane !

Tombé du ciel un film de Wissam Charaf. Comédie dramatique, 1 h 10, Sortie 2016.
Avec Rodrigue Sleiman, Raed Yassin, Said Serhan.

 

Prix :
Sélection à l’ACID pour le Festival de Cannes de 2016 (l’ACID, l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion, organise depuis 1993 une section parallèle au Festival de Cannes afin de mettre en lien auteurs et professionnels).

Grand Prix du Long Métrage au Festival du Film Francophone de Tübingen.
Prix de la mise en scène au Festival War on Screen.

 

Wissam Charaf sur Twitter

Festival Travelling 2020 à Rennes

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