Invité par les Tombées de la nuit en 2019, mais annulé, le GRAMI revient pour l’édition 2021.Yann Servoz, créateur et interprète du spectacle et Mathieu Ogier joueront quatre concerts en extérieur les samedi 3 et dimanche 4 juillet 2021. Passionné par la technologie de la synthèse sonore, à l’origine des musiques électroniques, le Groupe de Recherches et d’Analyses de la Musique et des Instruments propose dans ce nouveau spectacle une exploration analogique du répertoire classique, de Vivaldi à Moondog. Unidivers a eu le plaisir d’échanger avec Yann Servoz.
UNIDIVERS — Pourriez-vous revenir sur l’origine du GRAMI, le Groupe de Recherche et d’Analyse de la Musique et des Instruments ?
YANN SERVOZ — Il s’agit d’un groupe de recherches amateur constitué en 1997 autour de notre envie commune de découvrir et de restaurer des instruments tombés en désuétude, les synthétiseurs modulaires. Dans les années 2000, on voyait de moins en moins ces appareils à cause de leur difficulté d’utilisation. Ils présentent moins d’avantages pratiques que les synthétiseurs compacts, plus légers et facilement transportables, qui permettent de mémoriser ou de changer de son en appuyant sur un seul bouton. On a eu la chance de pouvoir mettre la main sur de vieilles machines et de les retaper comme on pouvait. En tant que musiciens, on a eu envie d’explorer les sonorités de ces instruments. On a écrit de la musique avec, on l’a jouée ensemble, ou on l’a utilisée comme source sonore pour échantillonner.
On s’est aussi servi de ce matériau sonore pour nos diverses compositions et collaborations, par exemple dans les spectacles de la compagnie 2 rien merci, que j’ai constituée il y a longtemps et qui a à présent fusionné avec 1 montreur d’ours, créée pour un projet assez ancien, Monofocus, qu’on avait eu l’occasion de jouer à Rennes aux Tombées de la nuit.
Il y a quelques années, un certain nombre de directeurs de théâtres et de scènes nationales nous ont proposé d’imaginer une forme qui serait entre le concert et la conférence autour de l’histoire de la musique électronique. On a regroupé nos différentes activités dans une même structure, 1 montreur d’ours, qui produit les spectacles du GRAMI. C’est ce qui a donné lieu au spectacle L’Histoire probable de la musique électronique, sorti il y a deux ans et demi. Le GRAMI vise maintenant à produire des spectacles permettant de rencontrer le public, ce qui n’était pas initialement le cas il y a une vingtaine d’années.
UNIDIVERS — Que doit le GRAMI au GRM, le Groupe de Recherches Musicales ?
YANN SERVOZ — On s’est inspirés de ces groupements de recherche effectivement, le GRM à Paris, mais aussi le Grame à Lyon. En tant que voisins, on avait envie qu’il y ait une forme de parenté, même si nous ne travaillons pas avec eux. C’est un jeu de mots finalement, puisque recherche et analyse de la musique et des instruments, ça englobe tout. Le GR (groupe de recherche) renvoie à cette période à la frontière de la science et de la musique. Il désigne un carrefour d’intérêt autour d’une matière à la fois scientifique et artistique. Pour nous, la recherche consiste à expérimenter, à découvrir des choses qui n’ont pas forcément eu de grandes notoriétés. Chacun a pu, par différents biais, se retrouver à jouer avec des synthétiseurs analogiques modulaires. Des personnes, venant parfois davantage de l’électronique que de la musique, ont passé leur vie à construire des synthétiseurs en achetant des magazines, des composants électroniques et en suivant les plans.
On a pris ce nom pour porter des spectacles avec une identité autour de ces instruments, de la synthèse sonore.
UNIDIVERS — Les Classiques du GRAMI est la troisième création du GRAMI, pouvez-vous nous parler de vos deux précédentes propositions ?
YANN SERVOZ — L’Histoire probable des musiques électroniques se propose en 1 h 30 de raconter dans les grandes lignes cette histoire. En démarrant avec Pierre Schaeffer et ces années-là, puisqu’on a eu la chance de voir cette naissance en grande partie en France, et en s’arrêtant à la période de Giorgio Moroder, au début des années 1980, et l’avènement de l’informatique dans la musique qui a changé beaucoup de choses. Celle-ci a, paradoxalement, contribué à redonner de l’importance aux instruments complètement analogiques, parce qu’avec l’informatique disparaissait la notion d’interface, de rapport tactile avec l’instrument.
Les compositeurs ont eu envie de remettre les doigts sur des choses concrètes, avec lesquelles on pouvait interagir de façon immédiate.
Le mini GRAMI est destiné au jeune public. On a imaginé cette proposition à partir de L’Histoire probable, où des membres du public venaient parfois manipuler les instruments sur scène. C’est un concert qui donne à entendre les manipulations sonores possibles à partir de prises de son acoustique avec un certain nombre de machines. On dépasse le cadre des synthés modulaires pour celui de l’échantillonnage. On transforme le son concret pour en faire des éléments musicaux. La proposition commence par un concert de 30 minutes, suivi d’ateliers durant lesquels les enfants jouent sur des machines qu’on a programmées et qui leur permettent d’aborder l’écoute du son, sa transformation et le mariage des sons entre eux pour fabriquer une musique en temps réel.
UNIDIVERS — Le festival des Tombées de la nuit accueille les premières représentations de votre nouveau spectacle, Les Classiques du GRAMI. À quoi doit s’attendre le spectateur en matière de répertoire musical ?
YANN SERVOZ — Les Classiques du GRAMI est un concert qui balaie une grande partie de l’histoire de la musique, du baroque aux contemporains du XXe siècle. Il manque beaucoup de choses, on ne peut pas se confronter à toutes les écritures. Mais le répertoire éclectique permet d’entendre les sonorités analogiques appliquées à différents styles musicaux.
On joue des morceaux de Jean-Sébastien Bach (1685-1750), en hommage au pionnier Wendy Carlos, certaines pièces de François Couperin (1668-1733) dont le travail sur la mélodie est extrêmement moderne, Antonio Vivaldi (1678-1741) réduit à quatre minutes en clin d’œil à ses Quatre saisons, des pièces de Luigi Boccherini (1743-1805), Frédéric Chopin (1810-1849) pour la période romantique, Erik Satie (1866-1925) dont la lenteur et l’expressivité se traduisent volontiers avec des synthés, Moondog (1916-1999) pour les choses plus récentes, qui permettent de faire un lien avec ce qu’est la musique électronique dans l’inconscient collectif : minimale et répétitive.
On cherche à étirer le temps du répertoire musical. On imagine Les Classiques du GRAMI comme un dispositif dans lequel le répertoire peut évoluer. La proposition que nous avons travaillée pour Les Tombées de la nuit est la première, mais nous avons l’intention de travailler avec des festivals qui ont une identité ou une époque de prédilection et pour lesquels on pourra proposer une interprétation de cette époque-là avec ces machines.
UNIDIVERS — Pouvez-vous nous parler des synthétiseurs que vous utilisez et de votre dispositif scénique ?
YANN SERVOZ — Nous avons chacun trois ou quatre sources sonores, ce qui fait qu’il y a aussi eu un travail de réduction des partitions, pour pouvoir les jouer avec un nombre limité de machines, qui sont toutes monophoniques, elles ne jouent toutes qu’une seule mélodie à la fois, comme une clarinette. Il a fallu qu’on se répartisse les rôles.
Mathieu Ogier utilise un synthé modulaire, une boîte dans laquelle plusieurs modules permettent de sculpter les sons. Ce sont principalement des choses qui viennent de chez Doepfer, Pittsburgh Modular, Make Noize. On pourrait dire qu’il travaille plus les parties leads, chantantes.
Pour ma part, j’ai des synthés MOOG tout petits, qui permettent moins de variations de sonorités, mais qui créent des accompagnements riches pour mettre en valeur les voix que Mathieu utilise.
Ces appareils font partie des classiques de la synthèse modulaire actuelle, ce ne sont pas des choses très anciennes comme on a dans L’Histoire probable. Ici, il y avait un autre aspect important dans nos choix de matériel : la compacité de l’ensemble, puisque l’idée est de pouvoir jouer le spectacle dans des endroits atypiques, comme ça va être le cas aux Tombées de la nuit à Rennes. Le dispositif est très simple et très vite installé, il y a une épure dans ce qu’on souhaite proposer : deux caisses sur lesquelles on pose notre matériel, très de peu de machines, on peut jouer comme pourraient le faire deux violonistes, dans un espace très réduit. Il n’y a pas réellement de scénographie, pas de décors. L’idée est de mettre au centre la musique et l’interprétation.
De la musique de chambre au concert de rue
UNIDIVERS — Votre spectacle a pour précurseurs l’œuvre de pionniers de l’expérimentation électronique, vous inscrivez-vous dans la même démarche qu’eux ?
À quoi ressemblerait la musique d’aujourd’hui sans les inventeurs du passé ?
YANN SERVOZ — Lorsqu’on s’est documentés pour fabriquer le premier spectacle, on s’est aperçus que c’est un exercice qui avait déjà été fait à plusieurs reprises, par Wendy Carlos en 1968, avec un album marquant, Switched On Bach, l’album de musique classique le plus vendu au monde. Ou encore le compositeur japonais Isao Tomita, qui a repris des morceaux français du début du XXe siècle, de Claude Debussy ou Maurice Ravel.
Isao Tomita a voulu traduire avec les synthétiseurs la densité orchestrale de cette époque, un travail sur les timbres proche de ce qu’ont pu faire les recherches en matière de son. Wendy Carlos, de son côté, a mis l’accent sur la virtuosité de l’interprétation, de l’exécution d’instrumentiste.
Quand on a découvert le succès de Wendy Carlos, on a voulu creuser l’idée. Ça avait été fait en disque, mais très peu en concert, à cause des contraintes inhérentes aux synthétiseurs analogiques : les lenteurs dans la programmation entre les morceaux, l’accordage fragile, etc. Et il existe tellement de synthétiseurs actuels beaucoup plus simples à utiliser qu’on s’oriente en général vers la simplicité.
Des synthétiseurs modulaires sont intervenus dans certains orchestres, notamment avec Gershon Kingsley, ou le rockeur Keith Emerson qui utilisait de grands meubles avec des synthés MOOG. Mais, en général, il s’agissait d’un instrumentiste qui travaillait sur un seul instrument. Un peu comme un guitariste ou un batteur. Notre approche est différente puisque Les Classiques du GRAMI est un duo qui nous positionne davantage comme deux chefs d’orchestre que comme deux musiciens dans la mesure où on a plusieurs instruments à contrôler en même temps. Un séquenceur envoie les impulsions électriques aux machines et notre travail est de moduler correctement les sources sonores.
Notre mission sur scène est de faire naître les mélodies en modulant les sons, comme on peut le faire avec un instrument acoustique, de veiller à l’accordage, mais aussi de travailler sur le filtrage des sons, sur leur volume à différents moments, sur la durée des notes, comme un instrumentiste. Sauf que nous ne jouons pas les notes.
Ce qui a changé depuis ces précurseurs, c’est que nous faisons partie d’une génération qui utilise le renouveau technologique de l’analogique datant des années 2000, qui a pris en compte les données de la vie actuelle, la nécessité d’avoir des instruments plus compacts, peut-être moins polyvalents, qui permettent moins de choses, mais qui en même temps sont plus immédiats dans leur rapport, dans la façon de les utiliser.
C’est ce qu’on a construit avec Les Classiques du GRAMI, un dispositif certes limité en termes de timbres, mais qui est compact et qui nous permet d’interpréter plus rapidement, avec quand même ce son analogique qui nous est cher. Par exemple, dans la mémoire collective, la sonorité des synthétiseurs MOOG est importante, on l’a entendue dans beaucoup de disques. C’est un son provenant d’une forme de lutherie acoustique à part entière, comme la Gibson en guitare, ou la Fender. Il était impossible pour nous de ne pas utiliser ce matériel. Dans les synthés modulaires, il y a aussi une couleur sonore identifiée, les sonorités froides et sèches typiques de la musique de Kraftwerk et de cette époque, qu’on essaie de traduire aussi avec Les Classiques du GRAMI. Ainsi, on essaie de jouer avec la mémoire des timbres en recréant des sons que le public peut reconnaître, parce qu’un son fait partie d’une mémoire collective sonore.
UNIDIVERS — Vous avez eu l’occasion de réaliser une avant-première du spectacle au festival Yeah! les 8 et 9 juin 2019. Comment est-ce arrivé, et comment s’est déroulé le concert ?
YANN SERVOZ — J’avais eu l’occasion d’y aller en repérage l’année dernière parce qu’ils souhaitaient nous inviter pour L’Histoire probable, qu’on a jouée aussi cette année le dimanche. À l’époque, je leur ai parlé du projet des Classiques du GRAMI, qui les a enthousiasmés à tel point qu’ils nous ont soutenus aussi en production pour fabriquer le spectacle.
Le concert s’est très bien passé, il s’agissait d’être vigilant sur le contexte dans lequel on allait jouer. En l’occurrence, c’était à l’heure d’ouverture de la soirée du samedi autour d’un bar. Il y avait quelque chose de très convivial. On souhaitait en tirer quelques enseignements sur la réaction du public en fonction des morceaux, pour pouvoir adapter la liste. Je pense qu’on avait affaire à un public de grands amateurs de sons synthétiques plutôt amusés par le répertoire et la dimension nouvelle de réinterprétation de la musique classique. Il est probable qu’on tombe sur un public inverse aux Tombées de la nuit, plutôt des amateurs de musique classique qui viennent pour la curiosité de ces interprétations.
Le croisement des esthétiques est propice à un autre croisement, celui des publics.
UNIDIVERS — Votre première représentation aux Tombées de la nuit aura lieu à l’EHPAD Gaëtan Hervé. Comment envisagez-vous ce concert ?
YANN SERVOZ — C’était un souhait de notre part. J’ai dit à Claude Guinard (directeur des Tombées de la nuit) que ça faisait partie des choses qu’on avait déjà vécues avec d’autres spectacles et qu’on avait envie de revivre. De même qu’on étire le temps du répertoire musical, on cherche à étirer les publics potentiels. On considère, sans doute de par notre parcours au sein des arts de la rue par ailleurs, qu’il faut fabriquer des propositions suffisamment souples pour joindre des publics parfois empêchés ou qui n’ont pas forcément accès à un ensemble de formes. Il va falloir qu’on réagisse différemment en termes de niveau sonore, de répertoire aussi, on va essayer d’être le plus précautionneux possible pour aller vers quelque chose de l’ordre de l’écoute attentive, quelque chose de peut-être plus doux, plus mesuré, que ce qu’on ferait sur d’autres scènes. Je souhaite que ce soit le plus joyeux possible et le plus simple dans la façon de le donner. On a une forme qui permet de faire ce genre de travail dans ce type de lieu.
UNIDIVERS — Avez-vous pensé ce spectacle pour un public en particulier ?
YANN SERVOZ — Tout ce qu’on a fabriqué de spectacles a toujours été fait dans le même état d’esprit, ne pas exclure, tout en faisant quelque chose d’un peu pointu quand même. Aller vers des choses moins faciles d’accès. Pour ça, il y a une espèce de chemin qui doit exister dans chaque spectacle, qui va de quelque chose de séduisant ou de séducteur au premier abord, pour ensuite proposer des choses qui nécessitent plus d’attention, d’écoute, de concentration, d’exigence.
Ça a toujours été une façon de faire pour nous, pointu, exigeant, et en même temps très populaire.
UNIDIVERS — Vous qualifiiez L’Histoire probable des musiques électroniques de « projet scientifique, musical et social », est-ce aussi le cas de cette nouvelle création ?
YANN SERVOZ — Dans ce cas, la dimension scientifique apparaît probablement moins, on a eu envie de refaire de la musique de façon simple. S’appuyer sur ce répertoire nous sortait de notre zone de confort. Mais c’est intéressant pour un musicien de sortir toujours un peu de son cadre. C’est un projet qui amène un éclairage neuf sur ces morceaux par une proposition d’interprétation, un rapport sensible à ces œuvres. On souhaite avoir suffisamment de souplesse d’interprétation pour pouvoir nous adapter au mieux à l’ambiance des lieux et des publics qu’on va rencontrer. Dans L’Histoire probable, la dimension pédagogique était plus marquée, ici elle est en filigrane. Il y a beaucoup de morceaux que le public a déjà entendus dans le répertoire qu’on a choisi, on souhaitait jouer avec la mémoire du public.
Que la science et la musique soient au centre de la société, c’est sûr que c’est un rêve pour nous.
UNIDIVERS — Merci à vous, Yann Servoz…
Les Classiques du GRAMI
DISTRIBUTION
Écriture, programmation et interprétation : Yann Servoz et Mathieu Ogier.
Laborantines : Raphaëlle Rabillon et Agathe Fontaine.
PRODUCTION
Production : 1 montreur d’ours.
En coproduction avec Les Tombées de la Nuit – Rennes, le théâtre Sénart – Scène nationale
Accueil Studio : les subsistances, lyon 2018-19.
Avec la complicité du festival Yeah ! – Lourmarin
Avec le soutien de la région Auvergne – Rhône-Alpes
LE FESTIVAL
Du 1er au 4 juillet 2021
Représentations des Classiques du GRAMI