Claudia Cardinale est morte mardi 23 septembre à 87 ans auprès de ses enfants à Nemours près de Paris.
« Icône » comme le démontre l’énumération de ses films, la valse convenue des chefs-d’œuvre — Le Guépard, Il était une fois dans l’Ouest, Huit et demi. Mais rien ne dit encore le parfum de cette femme. Rien ne raconte la chaleur dense de son regard, ce soleil maghrébin qui, même sous les ors du cinéma italien, restait traversé de sable, de vent chaud et de nuits indociles.
Claudia Cardinale n’était pas seulement belle. Elle était sensuelle au sens premier : présence qui parle à tous les sens, voix rocailleuse qui effleure comme une caresse, démarche qui ondulait sans jamais chercher l’effet, sourire retenu, toujours sur le point de se replier comme une voile. « Je ne voulais pas être une star, c’est le cinéma qui m’a choisie », confiait-elle. Voilà son secret : Claudia Cardinale n’a pas cherché la lumière, elle l’a reçue comme une brûlure.
Née le 15 avril 1938 à Tunis, dans une famille sicilienne, elle grandit au carrefour des cultures, entre le français et l’italien, le soleil du Maghreb et l’ombre des exils. Elle rêvait d’enseignement, pas de caméras. Mais en 1957, après avoir remporté un concours de beauté à Tunis, elle se retrouve invitée à la Mostra de Venise. Tout s’accélère. Claudia Cardinale devient l’élève du Centro Sperimentale di Cinematografia à Rome, et très vite la muse de Visconti, Fellini, Leone, Bolognini, Comencini.
Dans Rocco et ses frères (1960) de Visconti, elle irradie déjà d’une présence qui trouble. Dans La Fille à la valise (1961), Claudia Cardinale impose sa fragilité charnelle. Dans Il Gattopardo (Le Guépard, 1963), aux côtés de Burt Lancaster et Alain Delon, elle devient l’incarnation d’un monde ancien qui s’éteint. Dans Il était une fois dans l’Ouest (1968), Sergio Leone lui offre le rôle de Jill, la femme qui concentre toutes les figures de l’Ouest : amante, mère, putain, souveraine. Dans Fitzcarraldo (1982), Herzog l’entraîne dans une Amazonie hallucinée, preuve que son magnétisme ne connaissait pas d’âge.
Et elle-même disait : « Le cinéma, c’est la vie avec les parties ennuyeuses coupées. » Mais Claudia Cardinale n’a jamais coupé la sienne. Elle l’a affrontée de face, avec ses blessures et ses combats. Violée à dix-sept ans, mère à dix-huit ans d’un enfant qu’elle élèvera en secret avant de le reconnaître publiquement, elle a su transformer la douleur en force. « Je ne regrette rien de ce que j’ai vécu. Même les choses terribles, parce qu’elles m’ont faite telle que je suis. »
Femme de cinéma, mais aussi femme engagée : ambassadrice de l’UNESCO pour la défense des droits des femmes, militante contre les violences et pour la cause des réfugiés, elle affirmait : « Je n’ai jamais voulu être une femme-objet. J’ai toujours cherché à être une femme sujet. »
Aujourd’hui qu’elle s’est tue à Nemours, près de Paris, disparaît plus qu’une étoile, c’est une manière d’être femme qui s’en va : ni décorative, ni cédée, ni bavarde. Une femme de chair et de silence, de ferveur et de distance. Une femme qui, dans Il était une fois dans l’Ouest, pouvait incarner à la fois la mère, la veuve, la prostituée et la vestale, sans jamais se contredire.
Claudia Cardinale était un désert et une source. Elle était ce paradoxe : brûlante et insaisissable. Elle laisse derrière elle non seulement des films, mais une empreinte intime, presque charnelle, sur ceux qui l’ont vue. La revoir, c’est toujours éprouver une secousse, comme si la caméra s’ouvrait sur une chambre secrète où l’on n’est pas invité, et où pourtant l’on entre. Elle expliquait que « le plus beau mot de la langue italienne est amore. » Amour, toujours.
