Cloud Atlas de Washowski, c’est six dates, six histoires. Un lien ténu relie tous les personnages. Le spectateur navigue d’histoire en histoire singulière. Dans chacune, des individus émergent humblement et se révèlent de belles personnes authentiques qui contribuent à mettre un terme à un cycle mauvais et violent.
Ainsi, un jeune avocat, Adam Ewing, qui participe à la traite négrière, se trouve piégé sur un navire et empoisonné par celui qui prétend le guérir ; un jeune compositeur britannique, Robert Frobisher, déshérité à cause de ses mœurs compose avant de mettre fin à ses jours une œuvre remarquable : Cloud Atlas ; l’ancien amant de Frobisher, un scientifique, entraîne une jeune journaliste noire américaine dans la découverte d’un scandale énergétique de grande ampleur ; un éditeur has been redécouvre malgré lui et sur le tard l’amour et le goût inaltérable de la liberté ; au cœur de Néo-Seoul, une jeune et jolie clone serveuse est émancipée de son statut, elle découvre le sens de la vie et la communion par-delà les « bienfaisantes horreurs » des normes totalitaires de l’Unanimité ; Zach, paysan du monde d’après « la chute » émerge de la lâcheté et du conformisme de la violence mimétique par sa rencontre avec l’Autre et ses connaissances…
Ce monde est bouleversé par les mêmes forces invisibles qui troublent nos cœurs.
Disons-le d’emblée, il n’y a rien de particulièrement remarquable quant aux images dans le style mainstream des Wachowski. Mais, l’efficacité retient l’attention. Et, finalement, le découpage singulier du film – entre les différentes périodes – au lieu de déboussoler le spectateur contribue à maintenir l’intérêt de bout en bout. En jouant sur des durées de narrations inégales, Cloud Atlas navigue avec aisance entre fresque historique, polar, farce satirique, science-fiction et anticipation post-apocalyptique.
Malheureusement, le scénario baigne dans une sorte de confusionnisme new age partagé entre primitivisme et écotechnicisme. Nombre d’idées fortes auraient dû suffire. Le poncif de la réincarnation aurait pu être évité notamment. Heureusement, il n’est pas central. L’insistance sur l’interdépendance des êtres humains est plus forte. Elle mène l’histoire vers un authentique souci des victimes qui n’est généralement pas le fort des productions cinématographiques américaines malgré leur sentimentalisme.
Dans Cloud Atlas, c’est, le même cycle de violence et de déterminisme qui se retrouve et est battu en brèche à travers chaque époque. (Le fait que les différents rôles soient joués par les mêmes acteurs n’est par contre qu’une anecdote). Le darwinisme social qui s’exprime à plusieurs reprises par l’invocation presque magique de « l’ordre naturel » ou le proverbe « The meeks are meat that the strong do eat » (les faibles sont de la viande que mangent les forts) n’arrive plus à convaincre des personnages qui s’éveillent à une autre réalité :
« Du berceau à la tombe nous sommes liés les uns aux autres, dans le passé et le présent, en chacun de nos crimes comme en chacune de nos bontés nous renaissons à notre futur. »
Cette vérité révélée par Sonmi, clone esclave d’Unanimité, fera basculer la société de 2144 mais ne la sauvera pas. À nouveau, en 2321 il faudra lutter contre la violence et son cycle. Ces deux parties du Cloud Atlas, liées davantage ensemble que les deux autres, sont très intéressantes. Elles pourraient faire l’objet d’une analyse quasi girardienne (voir notre article consacré à René Girard). De fait, trois cents ans après Sonmi, une jeune femme-clone qui se sera révoltée jusqu’à en mourir est devenue la déesse qu’adorent les habitants de « la vallée »… Elle est donc le bouc émissaire : mise à mort pour éviter une contagion générale, elle a été divinisée pour masquer le crime et sa raison. La sacralisation est l’alibi qui camoufle le meurtre collectif. Plusieurs autres éléments du film sont de ce point de vue captivants.
Bien construit, efficace, bien joué, Cloud Atlas est un film grand public qui se regarde avec intérêt, mais sans parvenir vraiment à faire percer l’émotion (pour ne rien arranger, la version française est tout simplement atroce !)
Dans le tissu sans couture de l’interdépendance universelle, il est vain de prétendre dégager la chaîne et la trame du destin » (Raymond Abellio)