Un magnifique roman sec pour accueillir le printemps, Comme elle l’imagine, qui marie avec brio, la littérature à nos vies actuelles, celle de l’omniprésence du numérique et des réseaux sociaux. Et la littérature générale, celles d’auteur(e)s passé(e)s comme d’auteurs contemporains dans un ballet somptueux. Exercice relativement complexe que maîtrise superbement Stéphanie Dupays.
« Laure est tombée amoureuse de Vincent en discutant avec lui sur Facebook. Depuis des mois, ils échangent aussi des SMS à longueur de journée. Elle sait tout de lui, de ses goûts, de ses habitudes, mais tout reste virtuel. Si Vincent tarde à lui répondre, l’imagination de Laure prend le pouvoir et remplit le vide, elle s’inquiète, s’agace, glisse de l’incertitude à l’obsession. Quand une rencontre réelle se profile, Laure est fébrile : est-ce le début d’une histoire d’amour ou bien une illusion qui se brise ? »
Dans ce roman, Stéphanie Dupays, nous trace le portrait d’une jeune femme plutôt bien dans son époque, mais qui pourrait nous apparaître comme une « handicapée » de la communication, se réfugiant derrière un écran pour vivre ses émotions et ses attirances, protégée par les voies presque impénétrables de la fibre, lesquelles lui permettent de fantasmer à loisir sans réellement se confronter à l’homme qui l’attire. Pourquoi s’inscrire ainsi dans des sentiments vécus ou ressentis par procuration ? Par manque de temps, par facilité, par peur ? Peut-être un peu tout cela. Mais c’est probablement par l’obsession de l’image que l’on donne, par obsession de la perfection.
Avec l’avènement du diktats des apparences, via les réseaux sociaux que l’on connaît (Facebook, Instagram, etc.), nous serions tous devenus des êtres condamnés à une forme de clonage (mêmes formes de pensée, mêmes physiologies, mêmes goûts, mêmes élans musicaux, théâtraux, littéraires) sous peine d’être exclu(e)s ou conspué(e)s par des absences de likes, par des commentaires négatifs. Par une condamnation à l’anonymat.
Cela en dit long sur une société qui revendique la communication et l’importance du « vivre ensemble ». Tant que tout se déroule derrière un écran, on ne craint pas grand-chose, dès lors que les choses quittent le virtuel pour le réel, les choses se compliquent. Et pourtant, toutes formes de relations se sont construites, par le passé, dans les rencontres professionnelles, familiales, amicales.
Laure (comme dans une forme d’apprentissage) va donc tomber dans une facilité illusoire, tombant amoureuse d’un avatar même si elle échange avec ce Vincent. Au moment de passer aux choses pratiques (la rencontre), elle sera chavirée. Même si ces deux-là partagent des réflexions littéraires nourries (les renvois aux grandes thématiques traitées par de grands auteurs sont délectables), le réel sera révélateur, catalyseur de la puissance dévastatrice des illusions qui fondent en désillusions. Laure, tel Icare, se brûlera les ailes et devra mesurer toute l’importance de ce qui se passe au-delà des apparences.
C’est captivant, puissant. Drôle parfois, grave souvent. À lire comme un miroir de nos vies actuelles. Une invitation à relire notre littérature. Pour retravailler nos humanités. À commencer par Madame Bovary (Gustave Flaubert, 1857), qui traitait de l’ennui sans être ennuyeux, de cette existence vécue par procuration, et qui aura abouti à la fin tragique qu’avait ordonnée l’immense Flaubert.
Comme elle l’imagine de Stéphanie DUPAYS – Éditions Mercure de France – 160 pages. Parution : 7 mars 2019. Prix : 15,50 €.
Stéphanie Dupays est haut fonctionnaire dans les affaires sociales. Après Brillante (2016), Comme elle l’imagine est son second roman.