Et si ? Et si, jeune, Francesco avait fait d’autres choix ? Si il avait donné suite à la passion? Si il avait osé ? Avec Comme si c’était arrivé, Lorenzo Coltellacci et Tamara Tantalo nous invitent à revenir sur notre passé et à résister à la tentation des regrets. Fin et subtil.
C’est gris et jaune, c’est beau comme la jeunesse, le coup de foudre, l’amour. C’est beau comme les souvenirs.
C’est gris et bleu, c’est triste comme un premier jour de retraite, la mort d’un amour, la fin d’un rêve. C’est triste comme les souvenirs.
Le gris c’est la vie du quotidien, son ennui, ses habitudes, ses chaussons au petit matin au pied du lit, les arrêts dans les stations services. Il est omniprésent le gris, ton neutre qui enveloppe la vie comme il enveloppe l’histoire. Il est silence dans des cases monochromes et lentes comme l’ennui. Alors pour distinguer le joyeux du triste, l’amour passion de l’habitude, le passé et le présent, on ajoute ces petites taches de couleurs supplémentaires. Le jaune pour hier, le bleu gris pour aujourd’hui. Et cela fonctionne à merveille.
En gris bleu Francesco, italien, la soixantaine passée apprend la mort de Sophie, franco italienne, dessinatrice et illustratrice BD. En gris jaune, il se souvient de son amour passé, court, bref mais intense. Deux couleurs pour dire une histoire unique, celle d’une passion de jeunesse qui n’a connu que de rares moments, une soirée, un week end sur la côte d’Azur mais qui a laissé des traces indélébiles chez Francesco. Il décide de se rendre sur les traces de ses souvenirs et d’assister aux obsèques de Sophie. « Je sors » écrit il à sa femme sur un morceau de papier en réponse à un petit mot d’amour.
Croisements ratés, choix erronés, la vie est faite de ces décisions prises parfois de manière inconsciente, sur un coup de tête, dans l’euphorie ou la colère d’un moment particulier. Francesco n’a pas vraiment eu le choix, il a subi la volonté de Sophie de ne pas vivre un amour « normal », elle qui voulait mener son existence comme une oeuvre d’art, sans être membre d’un courant artistique : « Rester libre pour pouvoir être ce que tu veux, quand tu le veux ». Mais au moment final, quand le jaune laisse la place définitivement au bleu, chacun peut alors se demander si il a fait le bon choix. Etre resté(e) libre mais insatisfait(e)? Elle n’a pas oser s’abandonner un peu plus pour recevoir mais aussi donner. Lui a craint de dire vraiment les choses et de les provoquer. Il est trop tard pour vivre ces moments perdus mais encore temps peut être pour faire revivre la mémoire et l’intensité de instants de passion. Francesco en revenant sur les lieu de bonheur s’y essaie.
Doux amer, tendre, le dessin et la monochromie accompagnent magnifiquement les silences mais aussi les dialogues ciselés comme des passages de roman. Le visage de Francesco, jeune et vieux, traduit toutes les émotions, la profondeur d’une peur de la vie alors que la chevelure et le sourire de Sophie disent tout de son appétit de croquer l’existence.
On pense à Suzette de Fabien Toulmé (voir chronique), cette vieille dame qui ose partir à la recherche de son amour de jeunesse et qui dans un mimétisme étonnant rejoindra son ancien amant, lui aussi italien. Côte d’Azur, Italie deux voyages en sens opposé mais deux voyages dans le souvenir, le regret de mauvaises décisions ou peut être le regret du temps qui passe et de la vie qui s’achève.