Lignes Ouvertes, c’est un voyage filaire de plus de deux cent mètres qu’a proposé la compagnie Basinga dans le cadre du festival Les Tombées de la nuit. Samedi 8 juillet 2023, la funambule Tatiana-Mosio Bongonga a traversé l’esplanade Charles-de-Gaulle épaulée par 70 habitants complices qui, au sol, tenaient des cordes et stabilisaient le fil de marche. Epoustouflant et poétique. 5 à 6000 observateurs captivés étaient au rendez-vous.
Depuis sa découverte du funambule à l’âge de sept ans et demie, Tatiana-Mosio Bongonga n’a cessé de faire glisser ses pieds sur un fil tendu. Sentiment de chance, rêve d’aller en haut et envie d’être la meilleure sont autant d’éléments qui l’ont menée à devenir une figure emblématique de l’art du funambule. Elle démarre à l’École du cirque d’Hérouville-Saint-Clair puis entre au Centre National des Arts du Cirque (CNAC) de Châlons-en-Champagne. « J’aime le fait d’être dessus et de chercher cet équilibre, de le chercher de plus en plus finement, et tellement finement qu’on commence à ne plus percevoir de mouvement », explique la circassienne, aujourd’hui spécialisée dans le funambule de haut vol. « J’aime être dans cette recherche de ce point zéro qui n’arrivera pas. »
Pour autant, ce n’est pas tant l’envie d’aller toujours plus haut ou de parcourir la distance la plus longue que la recherche de la traversée la plus logique selon l’espace qui l’attire. Mais si cette éventualité se présente, « on ne se pose pas la question de si on est capable de la faire, on va mettre les choses en place pour la faire », explique-t-elle avant de poursuivre : « Je ne suis pas dans le défi, parce que, pour moi, on a déjà gagné. Ça peut paraître prétentieux, mais c’est un métier donc je suis censée être capable de faire n’importe quelle traversée malgré la distance et la hauteur. »
Cinq années en tant qu’interprète laisse ensuite place, en 2013, à de la direction artistique avec la création de la Cie Basinga avec Jan Naets qu’elle rencontre sur un spectacle d’une autre compagnie de cirque. « On était à trois pour l’installation et c’était chouette de faire ça ensemble donc on s’est demandé si on ne pouvait pas créer une compagnie pour voyager avec un projet comme ça », raconte avec simplicité Jan Naets, directeur technique et codirecteur artistique. Depuis 10 ans, la compagnie a pris son envol et l’équipe travaille quasi exclusivement sur ce projet. « Jan était éducateur spécialisé et j’ai fait des études de psychologie donc cette rencontre a été hyper forte », se souvient Tatiana-Mosio Bongonga.
Pour un festival, un événement, la mise en valeur d’une place ou d’un bâtiment, en collaboration avec d’autres artistes ou dans son plus simple appareil, Basinga propose des traversées funambules uniques à voir comme une ouverture sur le monde et les autres plus que comme un exploit réalisé en solo. Inscrit profondément dans son ADN grâce à des créations participatives, ce rapport aux autres se prolonge grâce à la médiation culturelle avec des ateliers. « J’ai toujours eu une sorte de frustration de ne pas pouvoir partager plus mon art, je voulais prendre le temps de la rencontre. »
Ainsi, Basinga, ce sont certes des performances d’exception, mais c’est aussi, et surtout, le partage de plusieurs métiers érigés sur un même pied d’égalité, tous des super-héros selon Jan et Tatiana. Le premier spectacle, Traversée, dessine les lignes de ces choix autant artistiques qu’humains. Ce projet de territoire de deux semaines fait émerger une complicité entre habitants et compagnie, moteur fondamental à la réalisation d’une « cérémonie plus que spectacle ». Le spectacle Soka Tira Osoa prolonge la réflexion. Avec un fil partant du sol, la création aborde tous les métiers et soulève les questions de l’être, de l’être ensemble et de l’importance du rôle de chacun. Lignes Ouvertes aspire à la même réflexion. « C’était en fait notre premier spectacle, mais il n’avait pas ce nom-là », nous apprend Tatiana Mosio-Bongonga. « C’était la volonté de faire des grandes traversées en faisant participer un maximum de personnes que ce soit dans la musique ou avec la partie cavaletti. »
À Rennes, sur terre, 70 cavalettistes accompagneront la funambule dans sa traversée dans le ciel en stabilisant le fil. Tous les huit mètres, deux personnes tiendront une corde, elle-même reliée au fil de marche. « On aime partir du principe que c’est un immense jeu coopératif et que je ne peux pas traverser si toutes ces personnes ne sont pas là pour tenir les cordes », affirme Tatiana. Jan annonce : « Ils vont sentir chaque glissement de pied de Tatiana, mais aussi s’il y a des vibrations dans les cordes. On sent aussi la personne en face qui tousse. Tout ce groupe de gens va participer à rendre possible cette traversée. » Avec cette expérience participative forte, la compagnie souhaite questionner la responsabilité : que veut dire être responsable, pourquoi a-t-on de plus en plus de mal à l’être et à quel point la responsabilité de chacun permet de faire de grandes choses ? « C’est vraiment cette symbolique qu’on a envie de mettre en place quand on propose ces cavalletti », précise la funambule.
Au sentiment d’héroïsme que la performance suscite chez le public, au mythe du super-héros ancré dans l’imaginaire collectif, la compagnie préfère ainsi véhiculer des valeurs humaines fortes autour du collectif. « Il s’agit de montrer que c’est le fait d’être ensemble qui fait qu’on y arrive », afin de sortir l’art du funambule de sa bulle de solitude et de le faire redescendre au sol. À Rennes, des ateliers funambule seront organisés à cet effet. Les participants pourront marcher sur un fil à 50 cm du sol et appréhender cette recherche d’équilibre sur un câble, celui-là même qui fait vibrer le cœur de la circassienne. « Ça permet de rendre la discipline accessible. Je suis en hauteur et je n’ai pas de longe de sécurité, mais c’est tout un travail, on gravit les échelons petit à petit », exprime la funambule avant de conclure : « On est tous funambules, on cherche tous notre équilibre et on est tous capables de faire de grandes choses ».
Les installations sur la toiture de la cité internationale Paul Ricoeur et sur la chambre des métiers de l’artisanat commenceront mardi 4 juillet. Les ateliers se tiendront le même jour avant que le fil ne soit installé mercredi 5, jeudi 6 aura lieu la marche test, vendredi 7 une répétition générale avec la musique et samedi 8, à 19h30, levez les yeux au ciel et suivez du regard le fil tendu, une silhouette apparaîtra…
Samedi 8 Juillet 2023 : 19h30 > 20h15
Esplanade Charles-de-Gaulle, Rennes (45 min), gratuit, tout public
Métro ligne A : arrêt Charles-de-Gaulle • Bus C1, C3, 54, 53 : arrêt Charles-de-Gaulle • Vélo Star : Charles-de-Gaulle
La compagnie recherche toujours des bénévoles pour jouer le rôle des cavalettistes. Elle recherche des personnes majeures (même si la possibilité de mettre des parents et des enfants dans une boucle est possible) pesant 50 kg minimum pour avoir assez de poids pour tenir la corde. « Si des gens sont trop légers par rapport à la longueur de la corde, on peut mettre deux personnes dans la même boucle, ce qui va permettre d’avoir un poids double. Ça rassure certaines personnes aussi », précise Jan. Il faut également être disponible trois fois (pour la marche test le 6, la répétition le 7 et la représentation le 8). Plus d’infos
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