« Reprendre le contrôle de nos corps ». C’est le titre de la rencontre animée par les sages-femmes Annaig Rocheron et Marlène Lecocq avec la gynécologue Louise Jacquot-Thierry le 22 mars 2023 aux Champs libres dans le cadre du festival Nos Futurs. Ces trois professionnelles de santé proposent une vision bienveillante de la gynécologie pour en finir avec les abus d’une partie du corps médical.
Dans la salle Vie du citoyen des Champs libres, une trentaine de chaises sont disposées. Le public, majoritairement composé de jeunes femmes, compte tout de même parmi lui quelques garçons et des personnes plus âgées. L’audience est venue pour écouter Annaïg Rocheron, Marlène Lecocq et Louise Jacquot-Thierry.
Les métiers de sage-femme et de gynécologue sont deux professions similaires en ce qu’elles ont pour intérêt commun le bien-être des femmes. Comme le définit Annaïg Rocheron du centre de santé du Blosne, « les sages-femmes accompagnent les femmes tout au long de leur vie. Nous sommes spécialistes de la physiologie en ce qui concerne la grossesse mais aussi le corps et les organes génitaux ». Gynécologue au CHU de Rennes, Louise Jacqot-Thierry effectue elle aussi un travail de suivit auprès de ses patientes. « Je suis les femmes à des moments clés de leur vie, depuis la découverte du corps, de la sexualité, en passant par la grossesse, ou l’absence de grossesse, puis la post-maternité, la ménopause et parfois, malheureusement, jusqu’en cancérologie ».
C’est sur ce dernier point que les deux professions diffèrent, « en tant que gynécologue, j’interviens quand s’installe la pathologie », fait remarquer Louise Jacquot-Thierry. Les sages-femmes accompagnent aussi le suivi gynécologique, « on a acquis de plus en plus de compétences en suivi gynéco de prévention », ce qui leur permet d’intervenir auprès des patientes en cas d’indisponibilité des gynécologues. Cependant, Marlène Lecocq, qui travaille elle aussi au CHU de Rennes, spécifie bien que leur champ de compétences s’arrête là où commence la pathologie. Il s’agit donc d’un travail d’équipe.
Les deux sages-femmes, accompagnées de la gynécologue, se sont donc réunies pour organiser un espace d’écoute et d’échange pour informer sur des métiers qui poussent les barrières de l’intimité mais qui ne doivent jamais les briser. Pour ces trois professionnelles de santé, il n’existe qu’une seule manière pour respecter cette nuance, il faut de la bienveillance, de la confiance et par-dessus tout, du consentement.
Depuis le mouvement #Metoo, démarré en 2017, la parole des femmes s’est libérée et a révélé divers témoignages qui relatent la souffrance de femmes ayant subi des violences gynécologiques. Au-delà de celles qui ont trait aux agressions physiques comme le viol ou les attouchements abusifs, d’autre violences, plus insidieuses peuvent prendre cours au sein d’un cabinet gynécologique. Il s’agit de celles qui ont un impact psychologique plus ou moins fort en fonction de chaque patiente. Ce sont toutes les circonstances dans lesquelles une patiente peut se sentir embarrassée ou tout simplement pas écoutée. Ces situations d’inconfort sont le fait d’une négligence de la part du praticien ou de la praticienne qui fait fi de toute pédagogie et de considération envers sa patiente.
Par ailleurs, ces types de violences sont aussi favorisées par le fait que les femmes ne soient pas assez informées et sensibilisées sur la manière dont se déroule une consultation ou en ce qui concerne leur sexualité plus largement. Un constat affligeant que Louise Jacquot-Thierry pointe du doigt, « Il est déplorable que l’éducation nationale ait échoué sur ce point là. Notre mission consiste donc, entre autres, à redonner des clés à nos patientes pour comprendre leur corps ». En tant que sages-femmes, Annaïg Rocheron et Marlène Lecocq partagent ce bilan. « On remplit beaucoup ce rôle de redistribuer l’information », déclare la première, « oui, on pallie le manque d’éducation sexuelle de l’éducation nationale », surenchérit la seconde. Parmi les différents témoignages partagés par le public, beaucoup de jeunes femmes ont exprimé des regrets communs. « J’aurais aimé savoir à quoi m’attendre » ou « comme je ne savais pas, je n’ai pas osé ».
La conférence a donc constitué l’occasion de revoir les modalités du déroulement d’une consultation ainsi que les droits dont peuvent se prévaloir les patientes. « Déjà, il est important de savoir que consultation n’est pas égal à examen ». Annaïg Rocheron met au clair le fait que si tout va bien, il n’y a pas de raison particulière de procéder à un examen. Par ailleurs, ce dernier ne constitue qu’une proposition et peut être refusé par la patiente. « Rien n’est obligatoire, tout est proposé. C’est au professionnel de santé de justifier son choix pour que le patient puisse comprendre l’examen et éventuellement l’accepter », affirme la gynécologue Louise Jacquot-Thierry. Cette idée rejoint donc la question de la relation du soignant avec le patient. Il est essentiel que ce dernier soit à l’aise pour poser toutes les questions nécessaires. « Il faut absolument respecter la pudeur et le consentement de la patiente à chaque examen pour qu’elle se sente capable d‘exprimer ses craintes. Il est possible de couvrir la patiente d’un draps lors d’un examen vaginal si cela la met plus à l’aise », ajoute Marlène Lecocq. En effet, ces examens peuvent être impressionnants et nécessitent un temps d’explication. Certains instruments d’auscultation comme le spéculum ou la sonde endovaginale sont invasifs et nécessitent qu’on s’y attarde.
Bien que la conférence ait ratissé divers sujets au grès des interrogations du public, ces questions de bien-être en consultation sont revenues de manière récurrente. Aujourd’hui beaucoup d’informations concernant les examens gynécologiques ou relevant de la contraception manquent de diffusion. Saviez-vous, par exemple, que la contraception (pilule, préservatif) est à présent disponible gratuitement en pharmacie au moins de 26 ans ? Saviez-vous que l’examen du frottis (pour détecter le cancer du col de l’utérus) ne s’effectue, sauf si cas particulier, qu’à partir de 25 ans ? Saviez-vous aussi que les consultations gynécologiques pour les mineurs peuvent être gratuites et anonymisées, c’est-à-dire que la consultation n’apparaîtra pas sur le relevé de santé ?
Ce genre d’informations est primordial, pourtant celles-ci ne sont pas assez connues du public. La difficulté de mettre en place des cours d’éducation sexuelle décents au cours de la scolarité, rejoint la problématique plus vaste d’un tabou existant autour de la sexualité. Des canaux alternatifs d’éducation et de sensibilisation à la sexualité se mettent en place pour pallier ce manquement. Sur les réseaux sociaux, plusieurs comptes sont apparus ces dernières années qui revendiquent une sexualité bienveillante basée sur le consentement, l’acceptation etc. (@la_vie_sexo, @orgasme_et_moi, @jouissance.club, @charline.sagefemme). Ces comptes traitent des sujets sans tabou et abordent diverses formes de sexualité et schémas relationnels. Ils constituent un réel lieux de soutien, d’expression et d’accompagnement qui permettent à beaucoup de personnes de s’épanouir et de reprendre le contrôle sur leur corps. Cependant, il ne s’agit que de compensations à un système éducatif pour le moins défaillant.
Conférence « Reprendre le contrôle de nos corps », 22 mars 2023 par Annaïg Rocheron, Marlène Lecocq et Louise Jacquot-Thierry, dans le cadre du festival Nos futurs
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