Restructuration, pression des objectifs, management agressif, transports de plus en plus fastidieux, les salariés n’ont plus le temps et l’envie de croire au bonheur. Vincent Message pose sur son époque un regard de témoin en campant l’histoire de Cora Salme, jeune femme sensible au monde, prise dans la spirale d’un métier qui la broie.
Cora est née dans les années 80. Passionnée de photographie, elle rêve d’en faire son métier. Diplômée d’une école de commerce, elle vit quelque temps à Berlin où elle rencontre Pierre, un jeune ingénieur français. Convaincus qu’ils y auront davantage d’opportunités professionnelles, le couple rentre en France. Faire carrière dans la photographie s’avère difficile et précaire. On ne fait pas toujours ce que l’on veut dans la vie. En 2007, Cora entre au service marketing de Borelia, une entreprise d’assurances.
Créée par Georges Bories dans les années 60, la mutuelle d’assurances progresse rapidement dans ce monde où chacun veut assurer les biens durement gagnés. Le fils, Pascal Bories reprend l’entreprise et la dirige avec rigueur et paternalisme. Quand il décide de se retirer, une crise de succession impose la nomination d’un PDG, Antoine Mangin. Puis la crise économique de 2008 entraîne Borelia vers un management plus agressif et une restructuration des site afin d’optimiser les charges.
C’est à ce moment, en 2010, que Cora reprend son travail chez Borelia à l’issue d’un congé maternité. Le couple a acheté une maison à Montreuil. Cora dépose la petite Manon chez la nourrice, puis prend les transports en commun jusqu’à son bureau dans le quartier de Saint-Lazare. Elle aime travailler avec Édouard, un responsable très humain. L’homme sera très vite renvoyé pour sa vision trop conservatrice. Commence alors pour Cora une période sombre sous le management agressif de son nouveau chef, Franck Tommaso.
Son bureau déménage à La Défense, lieu à la fois fascinant et inquiétant. Elle passe désormais plus d’une heure dans les transports, travaille dans le bruit en open space. Ses tâches sont de plus en plus nombreuses et urgentes. Sa vie de couple en pâtit.
La vie c’est le nom de tout ce qui creuse l’écart entre ce qu’on est en train de devenir et ce qu’on aurait voulu être.
Cora rêve encore d’aimer et d’être utile aux autres. Mais y a-t-il encore une place pour le bonheur dans cette vie ? Entre 2010 et fin 2012, Cora va noircir trente carnets. Écrire devient pour elle une question de survie.
Grâce à ces journaux, l’histoire de Cora est racontée par Mathias, un journaliste, qui, des années plus tard a enquêté sur l’affaire Cora Salme. Si on comprend qu’un drame s’est joué le 8 juin 2012, nous n’en connaîtrons les détails qu’à la fin du roman. Cette subtile gestion du suspense donne l’envie de suivre un récit particulièrement détaillé.
Avec un grand souci de la précision, Vincent Message creuse ses personnages secondaires, détaille toutes les rencontres, les événements au quotidien. Chaque détail a son importance dans cette petite histoire d’une femme ordinaire, pourtant si représentative de toutes les femmes actives qui doivent mener de front vie professionnelle et maternité. L’auteur s’est particulièrement documenté sur la vie en entreprise. Il en maîtrise le langage, le lieux, les objectifs. Les femmes travaillant dans les entreprises de service n’auront aucun mal à s’y reconnaître. L’auteur va jusqu’à parfaitement restituer le dilemme de la mère au travail, coupable de devoir partir plus tôt, mais aussi d’être en retard auprès de sa famille.
Le récit peut paraître trop détaillé, les propos diserts, mais chaque détail compte lorsque l’on veut expliquer les choix d’une vie, les prises de position. Nous représentons la somme de nos expériences. Le passé, l’éducation, le milieu influent nos comportements. Pourquoi certains sont-ils plus forts que d’autres, mieux armés pour affronter les enjeux de notre société ? Si Franck Tommaso a une revanche à prendre, Delphine, la consultante en entreprise s’est endurcie face aux épreuves. Cora, elle, a une âme d’artiste qui porte un regard sur les autres. Il y a les forts et les faibles, il est difficile d’appartenir à la mauvaise catégorie.
De cette petite histoire parmi toutes les histoires du monde, Vincent Message pose un regard réaliste sur nos vies actuelles stressantes au service d’entreprises avides de profits. Peut-on demander aux hommes et femmes de créer des familles pour conforter le pouvoir d’achat et les empêcher de passer du temps avec eux en les aliénant à leur poste de travail ? Comment accepter que des dirigeants gonflent leurs salaires au détriment de coupes salariales ? La sinistrose actuelle ne vient-elle pas du sacrifice permanent de notre envie viscérale de bonheur ?
Autant de questions actuelles, fondamentales que l’histoire de Cora Salme, prise dans la spirale de la violence économique et de désirs contradictoires met en lumière.
Cora dans la spirale de Vincent Message est paru chez le Seuil le 14 août 2019, 464 pages, 21 euros TTC, EAN 9782021431056.
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Vincent Message est né en 1983. Cora dans la spirale est son troisième roman, après Les Veilleurs (Seuil, 2009), lauréat du prix Virgin-Lire, et Défaite des maîtres et possesseurs (Seuil, 2016), récompensé par le prix Orange du livre.
Photo : ©Astrid di Crollalanza