Corinne Lovera Vitali s’appelle « clv », mais aussi « c’est la vie » et dans son livre au titre énigmatique, mathématique, à la résolution simple, le lecteur est vite happé et propulsé dès les premières pages.
78 moins 39 est un recueil de trente-neuf textes dans lequel l’auteur évoque l’enfance sans nostalgie profonde, mais par des souvenirs convoqués, des émotions, des sensations qu’il faut absolument transmettre comme une lumière qu’elle adresse à un intime disparu.
Admettons, je suis allée à l’école à deux ans, et admettons que ça ait commencé là, à l’école, quarante et un moins deux, trente-neuf ans que je souhaite sa fête…
La narratrice se raconte, dépose çà et là ce qu’elle aurait voulu dire à celui qui manque et c’est au travers de ses textes qui hoquètent parfois et dont la ponctuation est volontairement mise entre parenthèses, qu’elle s’exprime avec ardeur.
Homme qui manque, parti noyé, il a voulu, il voulait naviguer, flotter, ramer, il n’a pas su, a méconnu la tortue (tortue mon œil), ce qui a la forme de n’est pas forcément le, ce qui a l’air du, plus calme des lacs plus doux des animaux, tient dans son ventre un crochet capitaine, un crochet équipé d’un filin augmenté d’une hélice accouplée à une ancre, imprévisible torture d’homme, déséquilibre d’homme embarqué vite débordé, affolé, pauvre pêcheur, pauvre et malheureux, sans plus d’espoir jamais, jamais plus d’eau sous sa rame, sa dame de nage désespérée, tout un plaisir naufragé, tout un terminé en rien et pour toujours en plus jamais, arbre abattu maison qui brûle enfant perdu poisson grillé.
C’est la vie inclassable et originale unit les mots, les fait tourbillonner, les mêlent, les fait s’entrechoquer sans point ou peu pour ne pas enrayer le flux incessant de ses pensées, d’un rythme effréné au gré ou malgré de l’enfant espiègle qui demeure.
Il y a autour de ce recueil à la prose poétique, en communion avec la nature et ses éléments, une aura qui enveloppe comme une seconde peau, qui étreint, mais aussi une révolte qui consume, fait état de, avec une mise en opposition des mots qui se contredisent, s’animent tout en rime.
On le force on l’attaque il ne se défend pas (il ne se défend pas autrement qu’en restant pour la vie le resté rentré), le bête ne s’est jamais battu, jamais battu pour de bon, s’il griffe, pauvre bête, c’est de l’intérieur, bête bête bête il se saigne dessus.
78 moins 39 est un souffle qui répond à une voix qui semble éteinte sans avoir tout entendue et comme on ne dit pas tout, il reste les mots à adresser comme des vibrations, des ondes de chocs ou de douceurs dans l’intime espoir qu’ils parviennent.
J’avais aimé quand tu chantais pour moi, j’ai aimé quand tu as chanté pour moi, pour moi, (ne vous déplaise) j’ai aimé tout ce que tu as fait pour moi, mais jamais autant que lorsque tu chantais pour moi, rien n’a jamais été aimé par moi autant que ces chansons oubliées que tu chantais pour moi.
Corinne Lovera Vitali a publié chez Gallimard, mais aussi ailleurs des textes très adultes, mais aussi des poèmes aux bébés, des albums illustrés, des monologues tout le temps des choses en revues en ligne, des petites pièces plastiques des mini sons maison et elle dit qu’elle écrit aussi des textes qu’elle ne publie pas.
78 moins 39, Corinne Lovera Vitali, paru en juin 2016, Éditions Louise Bottu, 56 pages, 7 €
Éditions Louise Bottu
Larribère 40250 Mugron
05 58 97 92 20
louise.bottu[@]laposte.net
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